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L'inquisition foncière s’accroît sur les propriétaires

La loi de finances pour 2020 dans son article 16, a mis en place une nouvelle déclaration obligatoire chaque année à la charge du propriétaire d’un bien d’habitation. Et peu importe sa qualité, qu’il soit seul propriétaire du bien, indivisaire, nu-propriétaire ; qu’il s’agisse de sa résidence principale, de sa résidence secondaire ou de toute autre résidence à usage d’habitation, voir qu’il s’agisse de parts de SCI (sociétés civiles immobilières) démembrées ou non. Les contribuables concernés ont entre le 1er janvier et le 30 juin minuit pour se rendre sur leur espace personnel sur impots.gouv.fr et valider/remplir/compléter la-dite déclaration faute de quoi ils seront redevables d’une amende de 150 euros, par bien ou omission/inexactitude commise…. Précisons enfin que l’ensemble du dispositif juridique n’est pourtant pas encore totalement connu dans la mesure où le décret d’application qui doit activer définitivement le dispositif n’est toujours pas publié. Cette nouvelle tracasserie fiscale est mise sur le compte de la suppression de la taxe d’habitation et son remplacement par la THRS (taxe d’habitation sur les résidences secondaires…et autres locaux meublés non affectés à l’habitation principale. » Elle doit également et même surtout permettre un meilleur recoupement s’agissant de la taxe sur les logements vacants et aura très certainement de lourdes répercutions en matière d’IFI… une nouvelle déclaration en rien « neutre » donc, et qui pourrait générer de sérieux effets de bords.

Un dispositif voté en 2019 pour une application en 2023

Si certaines personnes n’ont pas vu venir cette nouvelle déclaration en matière de fiscalité immobilière, c’est avant tout parce qu’elle était bien cachée… au sein de l’article 16 de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020. Et le dispositif concocté par Bercy était présent dès la présentation du projet de loi au sein de l’article 5 (d’alors) créant un article 1418 nouveau au sein du CGI (Code général des impôts). Le dispositif étant présenté dans l’étude d’impact annexé au PLF 2020 comme une simple mesure de coordination[1] : « En effet, les modalités actuelles d’identification des résidences secondaires et des locaux vacants reposent sur des travaux annuels lourds de mise à jour des occupants des habitations principales par les agents des SIP [services des impôts des particuliers ndlr]. La suppression de la TH afférente à l’habitation principale offre l’opportunité d’une modernisation des modalités de gestion de l’imposition des résidences secondaires et des logements vacants. »

Dans son rapport relatif au projet de loi de finances, le rapporteur général du Sénat Albéric de Montgoflier note[2] : « Ces dispositions prendraient effet en 2023 et concernent (…) la création d’une obligation de déclaration relative à l’affectation des locaux. » Obligation qui interviendrait avant le 1er juillet de chaque année. « Les détenteurs des biens seraient toutefois exemptés de l’obligation de déclaration dès lors qu’aucun changement d’affectation ne serait intervenu au cours de l’année écoulée. »

A date, la déclaration prévue n’existe pas sous format papier. Il est prévu soit la consultation via l’espace personnel de chaque contribuable, soit pour les propriétaires ayant plus de 200 biens (ou fractions de biens) un tutoriel pour téléverser les déclarations éventuelles en CSV[3]. L’article 16 de la loi n’étant pas très explicite en la matière pour les personnes faiblement compétentes sur le plan informatique : « il s’agirait d’une déclaration préférablement effectuée par voie électronique mais pouvant être effectuée, le cas échéant par « les autres moyens mis à […] disposition par l’administration. » c’est-à-dire actuellement par une assistance téléphonique[4].

Il n’est donc pas possible de déclarer de façon physique (pas de fiche cerfa), et cette obligation incombe également aux non-résidents et à l’ensemble des étrangers détenant des biens immobiliers à usage d’habitation en France (mais aussi des abris de jardin, des piscines, des caves, des parkings/box etc), soit directement soit par l’intermédiaire de structures interposées. 

Un certain nombre de difficultés sont d’ores-et-déjà à attendre

Comme le précisait déjà l’étude d’impact : « le dispositif prévu consiste à associer les propriétaires (particuliers et personnes morales) dans la détermination de la situation d’occupation des biens d’habitation dont ils sont propriétaires. Ainsi, les propriétaires devront, pour chacun des locaux qu’ils possèdent, indiquer à quel titre ils l’occupent ou, quand ils ne l’occupent pas eux-mêmes, l’identité des occupants. »

Première imprécision, comme le relève l’actualité juridique Francis Lefebvre, « selon l’administration, la déclaration concerne les propriétaires de biens bâtis à usage d’habitation ou de locaux professionnels soumis à la taxe d’habitation » cependant l’article 1418 du CGI vise exclusivement les propriétaires de locaux affectés à l’habitation[5].  Les locaux professionnels soumis à la taxe d’habitation devraient donc en être exclus[6], mais cette question n’est pas totalement sécurisée.

Deuxième difficulté, la question des locaux occupés par des tiers : le propriétaire doit fournir l’identité des occupants que ceux-ci soient titulaires d’un bail ou occupants à titre gratuit, en dehors des enfants. En cas de location saisonnières l’identité des occupant n’a pas être dévoilée. Si le bien est victime d’une occupation illégale, c’est au propriétaire de fournir à la DGFiP les éléments justificatifs au travers de son espace personnel/professionnel.

Troisième difficulté, la consistance de la déclaration d’occupation : puisqu’il s’agit d’une déclaration d’occupation des locaux, celle-ci repose uniquement sur la description de la nature (juridique) de l’occupation, de l’usage de ces locaux et de l’identité de ces occupants, mais elle ne doit pas être confondue avec une autre déclaration prévue à l’article 146 de la loi de finances pour 2020 et relative à la révision des évaluations foncières des locaux d’habitation. Aussi si les propriétaires bailleurs doivent préciser les nombres des occupants locataires, ils ne doivent pas mentionner les montants des loyers qui eux seront à inscrire dans la seconde déclaration (qui devait être souscrite elle aussi avant le 1er juillet 2023, mais dont la date à finalement été repoussée au 1er juillet 2025 par l’article 106 de la loi de finances pour 2023). Il y a toutefois un lien entre les deux avec recoupement possible puisque la déclaration d’occupation à souscrire avant le 1er juillet 2023 comporte les biens avec le nombre de leurs pièces foncières (qui ne correspondent pas au nombre de pièces au sens des professionnels de l’immobilier, les cuisines, salles de bain, VC, vestibules étant considérées comme des pièces).

Quatrième difficulté qui doit être considéré comme déclarant ? La question est plus complexe que de savoir « qui est propriétaire ? » en effet, « en cas d’indivision, une seule déclaration est attendue par bien. Si plusieurs déclarations sont déposées, seule la dernière est prise en compte ». Par ailleurs en cas de démembrement, la déclaration est effectuée par l’usufruitier et non pas le nu propriétaire. Enfin en cas de décès, tout propriétaire indivis peut réaliser la déclaration ou le notaire auprès des services des impôts en attendant que la succession soit réglée… Cette complexité peut et va sans aucun doute susciter beaucoup de redondances, ou au contraire des erreurs/oublis de bonnes foi, à cause de l’imprécision de la doctrine ou de la simultanéité des voies déclaratives… Souhaitons que le droit à l’erreur s’applique largement pour la 1ère année déclarative afin de limiter l’avalanche de pénalités pour inexactitudes à 150 euros.

Cinquième difficulté, les copropriétés : puisque l’article 1418 du CGI vise les propriétaires des biens affectés à l’usage d’habitation, comment déclarer les parties communes des syndicats de copropriétaires comme les logements de gardiens ? L’obligation s’applique aux syndicats de copropriétaires puisqu’ils sont dotés de la personnalité morale et que l’obligation déclarative s’impose aux personnes physiques comme morales. Cette formalité doit être remplie par le syndic conformément à son mandat de représentation des copropriétaires. Cependant les syndics « vont très certainement rencontrer des difficultés pratiques car les logements de gardiens sont des parties communes (…) » qui n’ont pas de n° de lots de copropriété et ne sont pas grevés de taxe foncière… l’administration ignorant leur existence. Des régularisations massives et une augmentation significative de la taxation de ces biens souvent nulle actuellement est donc à attendre[7].

La volonté de recouper davantage les données foncières

Si le projet de loi mettait en exergue que « Le nouveau service « Gérer mes biens immobiliers », accessible (…) depuis l’espace sécurisé du propriétaire offrira à celui-ci une vision d’ensemble des propriétaires bâties sur lesquelles il détient un droit de propriété (…) [mais aussi] la possibilité de mettre à jour à tout moment, la situation d’occupation de chacun de ses locaux », il devrait également à terme présenter d’autres fonctionnalités : telles que la dématérialisation des déclarations des propriétés bâties (à la suite d’une modification de consistance d’un local ou d’une construction neuve) ou la délivrance des relevés de propriétés bâties.

En réalité, l’administration fiscale devrait en profiter pour recouper un certain nombre de données en reportant la charge déclarative sur le contribuable :

  • Tenir à jour son registre des habitations principales des propriétaires voire des locataires (puisque ces derniers seront déclarés par les premiers en tant que locataires[8]). Ce qui pourra permettre l’amélioration de la domiciliation des contribuables et l’amélioration du contrôle des plus-values.
  • Débusquer les habitations principales factices pour raison fiscale ;
  • Répartir les impositions au prorata des indivisaires puisque l’administration ne peut plus imposer pour la totalité l’un d’entre eux, mais chacun à raison de sa quote-part (CE. 20 octobre 2016 n°388940[9]).
  • Tenir un compte le plus à jour possible des logements vacants ou occupés illégalement. S’agissant de la première situation, cette faculté serait rendue nécessaire à cause des modifications liées à l’extension du champ d’application de la taxe sur les logements vacants et une majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires votée en LFI 2023 (article 73) mais dont la mise en place a été repoussée à 2024. Au total près de 4.000 communes devraient être concernées par le nouveau dispositif[10], 250 l’ont institué dès 2022[11]. Désormais toute communes connaissant des tensions locatives même si elles ne font pas partie d’une grande agglomération. Cependant l’extension de la TLV va restreindre quelque peu celui de la THLV (qui ne peut être instituée désormais que sur les logements hors zones tendues). Mais les communes imposant à la TLV pourront décider d’une majoration complémentaire de 5% jusqu’à 60% de la THRS sur les résidences secondaires de leur périmètre.
  • Enfin, des incidences importantes sont à attendre de ces déclarations sur l’IFI : « la déclaration des biens va grandement faciliter pour l’administration fiscale le croisement des informations ». Le contrôle des déclarations sera facilité notamment en identifiant précisément l’usufruitier du nu-propriétaire. Seul le premier devant déclarer le bien à l’IFI[12].

Pourquoi le croisement des fichiers n’a pas exonéré les contribuables de toute déclaration ?

Le processus de déclaration dans l’espace personnel GMBI, est déjà pré-rempli même de façon incomplète ou erronée par l’administration fiscale. Il y a donc déjà eu un travail initial de recoupement des données foncières et fiscales disponible de la part de la DGFiP. Le processus déclaratif devrait permettre d’affiner le diagnostic et de corriger les erreurs. Il faut sans doute attendre la publication du décret d’application afin d’agir une fois que la procédure sera totalement stabilisée et bien balisée.

  • L’administration devra être totalement claire sur la procédure à suivre pour éviter les zones d’ombres que nous avons listés plus haut.
  • L’usage des biens est sans doute irréductible à toute demande administrative ou situation juridique ce qui impose effectivement une déclaration au moins initiale d’occupation ;
  • Des redressements massifs sont à attendre s’agissant de la déclaration des logements situés dans les parties communes de copropriétés (notamment en zone urbaine).

Cependant on mesure également l’insuffisante numérisation et partage d’informations entre les différents détenteurs publics ou professionnels de données foncières et immobilières :

  • Elle devra sans doute mettre bien davantage à contribution les notaires, qui disposent de toutes les données foncières et notamment des répartitions d’indivisaires et de démembrements de propriétés ;
  • Des éclaircissements devraient également être automatiquement obtenus aux greffes des tribunaux compétents pour obtenir les répartitions de parts de SCI.
  • Enfin, le risque est grand que cette « fiabilisation » en temps réel ne débouche sur un nouveau volet de répression foncière par l’alourdissement des taxes existantes pesant sur l’immobilier. Une stratégie en deux temps puisqu’une autre déclaration sur la valeur des biens dans le cadre de la réforme des valeurs locatives cadastrales (VLC) pour les logements d’habitations devrait avoir lieu en 2025.

Conclusion : le sombre avenir du foncier en France

Le caractère inquisitorial d’une nouvelle obligation déclarative foncière pour 2023 (et bientôt d’une seconde en 2025) est symptomatique d’une démarche de « fiabilisation » qui se veut en réalité préparatoire à une augmentation de la pression fiscale sur le foncier d’autant plus redoutable qu’elle va s’opérer sur un nombre de redevable plus restreints (les propriétaires uniquement et non plus les locataires).

La démarche semble se dérouler en 3 temps :

  • 2023 : phase déclarative sur la localisation des biens, leur statut juridique, leur usage, leurs modalités de détention ;
  • 2024 : phase d’extension de la TLV et de la majoration de la THRS dans ces mêmes zones ;
  • 2025 : nouvelle phase déclarative permettant la réformer de l’évaluation des bases locatives cadastrales des locaux d’habitation

Enfin plus généralement, augmentation des risques de contrôle fiscal en cas d’incohérences et de redressement tous azimuts à l’IFI.

A minima la phase déclarative ne devrait pouvoir débuter qu’à compter de la publication du décret d’application et d’une doctrine administrative envisageant l’ensemble des cas disponibles… ce qui n’est toujours pas le cas.


[1] Etude d’impact annexée au PLF 2020, p.90.

[2] Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapport relatif au PLF 2020, tome II volume 1, p.196 https://www.senat.fr/rap/l19-140-21-1/l19-140-21-11.pdf#page=196

[3] https://www.impots.gouv.fr/bailleurs-administrateurs-de-biens

[4] https://www.impots.gouv.fr/particulier/questions/puis-je-declarer-loccupation-de-mon-bien-immobilier-au-moyen-dune-declaration

[5] https://www.efl.fr/actualite/declaration-locaux-habitation-2023-03-03_f389436ca-8261-4d59-88d1-bb8c2dfb035f#f2984a0c7-4705-4d8c-a633-4c5357480ba8

[6] Etant précisé que la THRS a un champ nettement plus large que les locaux des résidences secondaires, voir supra.

[7] Sauf si le logement est constitué en un lot donc la propriété est affectée au syndicat des copropriétaires. Il dispose alors d’un numéro d’indexation dans les bases d’enregistrement de la DGFiP. Voir, https://www.audineau.fr/actualites-conseils/nouvelle-obligation-declaration-proprietaires-immobilier-copro

[8] Les locataires permanents de résidences secondaires étant rarissimes.

[9] L’administration fiscale ne peut pas mettre la taxe foncière à la charge d’un seul propriétaire indivis au nom des autres. CAA Douai 17 novembre 2005 « l’obligation de payer la taxe foncière incombant à un propriétaire indivis ne saurait excéder ses droits dans l’indivision. » https://www.toutsurmesfinances.com/impots/en-indivision-la-taxe-fonciere-est-a-la-charge-de-l-indivision.html

[10] https://www.lagazettedescommunes.com/851306/la-majoration-de-la-taxe-dhabitation-sur-les-residences-secondaires-est-reportee-a-2024/

[11] https://www.quechoisir.org/actualite-impots-locaux-la-taxe-sur-les-logements-vacants-s-alourdit-en-2023-n105310/

[12] https://www.contentieux-fiscal-riviere-avocats.fr/wp-content/uploads/2023/02/Bulletin-Nouvelle-obligation-declarative-1.pdf