Tribune

Agnès Verdier-Molinié: «RSA, allocations familiales… L’inquiétant laxisme de la France pour l’attribution des aides sociales»

TRIBUNE - L'IFRAP publie une étude qui met en lumière le faible niveau d’exigence de notre pays pour bénéficier des aides sociales. Il est temps d’imiter nos voisins européens qui, de leur côté, durcissent les conditions d’accès à ces ressources, plaide la directrice* de ce think-tank.

Cette tribune a été publiée dans le journal Le Figaro le 8 juillet 2025

Alors que nous atteignons des sommets en matière d’aides sociales non contributives versées aux ménages en France, la question qu’on peut légitimement se poser est la suivante : est-il plus difficile de toucher les équivalents du RSA, de l’AAH ou du minimum vieillesse dans les autres pays d’Europe pour des aides sociales similaires ? C’est à cette question que tente de répondre la nouvelle étude, à paraître, de la Fondation iFrap. La réponse est clairement oui. Au terme de la comparaison de la France avec les autres pays européens, nous arrivons à la conclusion suivante : la France est trop laxiste sur les critères d’attribution des aides et a trop de trous dans sa raquette sociale.

Quand on compte à la fois le RSA, les allocations logement, les allocations familiales, l’allocation aux adultes handicapés, l’allocation de rentrée scolaire, le minimum vieillesse et une cinquantaine d’autres aides, on atteint 138 milliards d’euros de dépenses en 2022 sous conditions de ressources. Si l’on prend les chiffres de la Drees, nous avons 0,7 point de PIB en plus en dépenses sociales versées sous condition de ressource par rapport à la moyenne de l’Union. Plus de 20 milliards d’euros de plus par an. L’écart se situe sur la pauvreté et l’exclusion avec + 0,7 point de PIB et sur le logement avec + 0,3 point de PIB. Et les Français s’en inquiètent. Selon un sondage CSA de mai dernier, 59 % des Français souhaitent une diminution des aides sociales pour lutter contre le déficit budgétaire.

Nous avons en France des aides généreuses, voire très généreuses, qui permettent par exemple à un parent isolé avec 4 enfants sans travail de toucher plus de 3000 euros d’aides cumulées par mois. Nous n’imposons aussi pas assez d’obligations de retour à l’emploi. Par ailleurs, nous sanctionnons très mollement le refus d’offres d’emploi de la part de personnes indemnisées au chômage ou bénéficiaires de minima sociaux. Impossible d’ailleurs d’avoir des statistiques de France Travail en matière de sanctions pour refus d’offres d’emploi. Alors que, par exemple, le Danemark supprime les allocations ou les aides sociales dès le premier refus d’offre raisonnable d’emploi.

Il faut aussi agir au niveau des conditions d’éligibilité aux aides des personnes, qu’elles soient françaises, européennes ou étrangères extracommunautaires. Le minimum de base à exiger pour percevoir quelque aide que ce soit sous critère de ressource est de résider en permanence en France… Même si l’avancée de six à neuf mois de résidence dans l’année pour toucher le minimum vieillesse est réelle, cela ne suffit pas. Idem pour deux autres aides sociales, dont le versement nécessite neuf mois de résidence (allocations familiales et RSA).

Les dépenses d’aides sociales risquent d’exploser

Au-delà de la question de la résidence en France pendant que l’on touche des minima sociaux ou des aides sociales, se pose aussi la question de la résidence en France dans les années antérieures. Est-il normal de toucher une aide sociale en France quand on n’a pas résidé un certain nombre d’années préalablement en France ? Regardons ce qu’il se passe ailleurs en Europe. Pour toucher l’équivalent du RSA au Danemark, il faut avoir vécu neuf ans sur le sol danois, dont deux ans et demi d’emploi régulier au cours des dix dernières années. Même un Danois qui a vécu hors du pays pendant plus d’un an ne correspond plus aux critères pour toucher le revenu d’existence équivalent au RSA. Pour toucher l’allocation aux adultes handicapés en Suède, il faut pouvoir justifier de trois années de résidence depuis ses 16 ans. Pour toucher les allocations familiales au Danemark, il faut justifier de six ans de résidence dans le pays au cours des dix dernières années. Pour toucher le minimum vieillesse en Italie, il faut dix ans de résidence antérieure. Pour prétendre aux allocations logement au Portugal, il faut un permis de séjour valide, lui-même subordonné à un contrat de travail.

Quand nos voisins sont en train de durcir les accès à leurs aides sociales sous conditions de ressources, nous devrions en faire autant, ne serait-ce que pour éviter tout effet eldorado

Bref, dans ces pays il y a un niveau d’exigence qui n’existe pas en France ab initio. Pour toucher le minimum vieillesse en France par exemple, les étrangers communautaires n’ont pas besoin de justifier de dix ans de résidence en France et, pour les extracommunautaires, ils sont censés justifier de dix ans de résidence préalable en France, mais pas les ressortissants d’une quinzaine de pays qui ont signé des conventions avec la France (Maroc, Tunisie, Algérie, Turquie, Madagascar…). Pour le RSA, pour les communautaires et les ressortissants algériens (jurisprudence), pas de durée de résidence non plus, cinq ans pour les autres. Pour l’AAH, pas d’obligation d’avoir résidé avant en France pour la toucher. Idem pour les allocations familiales. La France ne peut pas en rester là. D’autant plus que, avec la fraude et l’utilisation de l’IA pour frauder en bande organisée, les dépenses d’aides sociales risquent d’exploser encore plus dans les prochaines années si des freins ne sont pas mis. Quand nos voisins sont en train de durcir les accès à leurs aides sociales sous conditions de ressources, nous devrions en faire autant, ne serait-ce que pour éviter tout effet eldorado.

Étant donné que le Conseil constitutionnel et même la CJUE ont créé des jurisprudences qui font que les étrangers ne doivent pas être discriminés sur la durée de résidence, la solution serait de mettre tout le monde à la même enseigne et de devoir justifier de cinq ans de résidence dans les années antérieures pour pouvoir toucher le RSA ou l’AAH ou les allocations familiales, que l’on soit français, européen ou étranger extracommunautaire. Et, pour toucher les APL, une personne devrait avoir un permis de séjour avec l’autorisation de travailler en France, quelle que soit sa nationalité, comme au Portugal.

Quant au minimum vieillesse, nous proposons d’appliquer les dix ans de résidence qui existent déjà pour les extracommunautaires aux Français, aux communautaires et à tous les extracommunautaires, même si leur pays a signé des conventions avec la France. Des mesures de bon sens qui ne sont en aucune façon discriminatoires mais juste exigeantes et pourraient contribuer à sauver nos finances publiques.

*Dernier livre paru : Face au mur (2025, Éditions de L’Observatoire).

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