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Retraites par points : les arguments infondés des opposants à la réforme

La transformation de l’incompréhensible système de retraite français aux 37 branches vers un régime unique par points semble enfin pouvoir se concrétiser. Mais une nouvelle salve de critiques sont émises en France sur les deux modèles, très voisins, qui servent de référence à notre futur système : les comptes notionnels du système suédois et les comptes par points de nos ARRCO/AGIRC/IRCANTEC (ex. « le piège des comptes notionnels », « enfumage et mystification »). Une nouvelle tentative des opposants à la réforme qui profitent des injustices et de la complexité du système actuel pour faire dérailler la réforme. Passons en revue leurs arguments :

Les régimes suédois ou par points ne préviennent pas automatiquement contre l'apparition de déficits dans ce secteur. Ce point ne fait pas débat, même si l’adoption d’un régime unique entrainera  des milliards d’économies de gestion dans les caisses de retraites. Mais comme le montrent les régimes complémentaires français ou par comptes notionnels suédois, les mécanismes de responsabilisation qui leur sont propres permettent en pratique de rester en équilibre.

La Suède serait en train de revenir en arrière sur sa réforme ?

Exemples :

  • Arrêtons de prendre l'exemple suédois en disant qu'il est extraordinaire, puisque sur la réforme des retraites, la Suède a dû revenir en arrière[1] ;
  • Le système par comptes notionnels auquel est adossée de l’épargne capitalisée ne règle rien. D’ailleurs le gouvernement (suédois) actuel en prépare le remodelage.[2]

Cette critique est la plus étonnante. Votée par le Sociaux-démocrates et les Modérés en 1999 suivant des objectifs fixés en 1981, le système de retraite suédois semble au contraire très solide. Tous les ans, les Suédois reçoivent leur « enveloppe orange » contenant le résumé de leurs droits acquis, et tous les ans, l’Orange Report fournit à tous sur Internet un état précis du système de retraite suédois. L’alternance de gouvernements et de majorités de gauche et de droite n’a pas entrainé de changements ni même de projets de changements du système. Les personnes qui annoncent sa fin tentent d’exploiter de minimes ajustements qui ont montré au contraire sa résilience.

Le système suédois de retraite par répartition est prévu pour s’adapter automatiquement aux variations économiques (taux d’indexation des retraites) et démographiques (prise en compte de l’espérance de vie). Naturellement, en cas de crise grave comme celle de 2009, des correctifs ont dû être apportés. Comme l’application stricte de la règle d’indexation aurait entrainé une forte sous-indexation des retraites, le gouvernement a décidé de la modifier provisoirement, estimant que cette crise serait très passagère. C’est exactement ce qui s’est passé, et le système fonctionne très bien depuis vingt ans sans être en déficit.

Au cours de cette même crise, la valeur de la petite part de retraite en capitalisation des Suédois a fortement baissé, mais s’est rétablie très rapidement. 

Enfin, le nombre de ces caisses de retraites par capitalisation est parfois jugé trop important, et les Suédois trop peu actifs dans le choix de leur caisse. Des adaptations sont donc régulièrement envisagées sans remettre en cause cette part minoritaire de capitalisation. 

Le régime suédois de retraite serait injuste ?

Exemples :

  • Toutes les personnes qui ont une espérance de vie inférieure à la moyenne seraient pénalisées, car leur rente serait minorée par un calcul tenant compte d’une espérance de vie supérieure à la leur ;  
  • Leur  système (suédois) de retraite abandonne la solidarité ;
  • De la solidarité à la contributivité pure ;
  • Cette technique met à mal les solidarités intergénérationnelles[3] ;
  • Dans ses propositions, Emmanuel Macron retire une partie de ce qui constitue la solidarité nationale pour renvoyer chacun à sa capacité à avoir une assurance privée pour assurer sa retraite.

La première critique est justifiée mais surprenante puisque tous les régimes de retraite français (fonctions publiques et autres régimes spéciaux, régime général CNAV, complémentaire ARRCO/AGIRC/IRCANTEC …) souffrent du même problème : les personnes dont l’espérance de vie est faible perçoivent moins de retraite que celles dont l’espérance de vie est supérieure (ex : cadres, enseignants, femmes). Seules des retraites par capitalisation où le capital serait entièrement versé au nouveau retraité au moment de sa cessation d’activité pourraient en partie corriger ce problème. Une approche qui est catégoriquement refusée par les auteurs de cette critique.

Les critiques suivantes ne sont pas fondées. Les systèmes de répartition par points ou par comptes notionnels n’empêchent absolument pas de prendre en compte les périodes de chômage, de fournir des  avantages familiaux ou des minima de retraites. C’est d’ailleurs ce que font les régimes ARRCO/AGIRC/IRCANTEC et autres. 

Le régime suédois ne garantirait pas le niveau des retraites ?

Exemple :

  • Il n’est plus possible de connaître sa retraite à l’avance[4]

Ceci aussi est exact, mais aucun système de retraite, y compris les régimes actuels français, ne garantit un niveau de retraite : comment garantir à un salarié qui commence à travailler à 22 ans en 2017 quelle sera sa retraite vers 2077 ? En Suède, les actifs reçoivent chaque année une estimation de leur future retraite, et c’est au moment où une personne part en retraite que le montant de sa retraite est calculé en fonction de son nombre de points et de l’espérance de vie de sa génération. Cette espérance de vie évoluant lentement, cette méthode n’introduit aucune distorsion entre générations mais est au contraire équitable.  

Exiger un système de retraite « à prestations garanties » ne prenant donc pas en compte la situation économique et démographique du pays revient à refuser la solidarité des retraités avec le reste de la population. Quand l'un ou les deux paramètres de la situation sont dégradés, la seule solution au refus de solidarité serait d’augmenter les cotisations des actifs (ou de creuser les déficits).

En France, cette supposée garantie du niveau de la retraite de base des salariés du privé ou de celle des fonctionnaires s’est avérée purement fictive. L’indexation des retraites sur l’inflation et non plus sur les revenus, le calcul de la retraite de base sur les 25 « meilleures » années, au lieu de 10,  ou le recul de l’âge de la retraite l'ont clairement montré.

Conclusion

La liste des critiques se poursuit avec par exemple un étonnant   La « retraite par points », ou la marche vers la capitalisation ![5]

Le système suédois de retraite de 1999 a été plus étudié en France que partout ailleurs. Un nombre considérable de délégations d’experts et d’élus français se sont succédé en Suède pour s’informer. Les créateurs et les gestionnaires du système suédois sont plusieurs fois venus en France pour le présenter (ex. Colloque du COR de 2008). Au moment de passer à l’acte, des critiques infondées sont émises en France, soit par ignorance, soit pour protéger les adhérents ou simplement les gestionnaires de régimes qui seront supprimés par la réforme Macron. La nouvelle commission qui va être réunie pour préparer la réforme devra être équilibrée (secteur privé, secteur public) et résister à de fortes pressions conservatistes. 


[1] Anne Hidalgo

[2] ATTAC

[3] FO   

[4] CGT

[5] CGT