Actualité

Retraite : pourquoi l’allongement de la durée de cotisation n'est pas forcément la solution la plus juste

Dans le débat actuel sur la réforme des retraites, de plus en plus de voix s'élèvent pour une accélération de la réforme Touraine, autrement dit un allongement de la durée de cotisations à 172 trimestres accélérée dès 2025, plutôt qu'un report de l'âge légal à 65 ans comme l'a proposé le Président de la République lors de sa dernière campagne présidentielle. Pour les tenants de cette solution, elle serait moins pénalisante, notamment pour les femmes qui ont eu des carrières heurtées ou pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes. Ce constat est cependant à nuancer : d'abord parce que les retraités bénéficiant du dispositif carrière longue sont nombreux à choisir le cumul-emploi retraite, battant ainsi en brèche l'image de salariés plus usés que les autres ne pouvant partir plus tard à la retraite. D'autre part, les difficultés d'insertion dans la vie active, particulièrement pour les jeunes les moins qualifiés, contribuent à reculer l'âge de validation d'une première année complète en termes de trimestres. Des difficultés qui reporteront d'autant l'âge à partir duquel ces futurs retraités pourront partir avec des retraites décentes. L'allongement de la durée de cotisation n'est pas forcément la solution la plus juste.

L’allongement de la durée de cotisation serait moins pénalisant que le report de l’âge légal. C’était déjà le discours que l’on entendait en 2013 quand le gouvernement Ayrault et sa ministre des affaires sociales Marisol Touraine préparaient la dernière réforme des retraites qui a débouché sur un allongement de la durée de cotisation, passant de 167 à 172 trimestres pour les personnes nées en 1973 au rythme d’un report de trois mois tous les trois ans ? C’est ce rythme que certains voudraient accélérer pour aller vers un report annuel et une durée de cotisation de 43 ans en 2025 et non en 2035.

C’est aussi ce qu’on peut lire entre les lignes de la position de plusieurs syndicats qui ont fermé définitivement la porte à un report de l’âge se disant prêts à discuter d’autres modalités. C’est notamment ce que suggère l’interview au « JDD », de Laurent Berger qui dit clairement "non aux 65 ans", mais se dit ouvert à des solutions alternatives[1]. Même la Première ministre, Elisabeth Borne, semblait le reconnaître, elle pour qui le report de l’âge à 65 ans n’est pas un totem[2].

Le recul de l’âge est un paramètre ultra-symbolique

C’est en effet un marqueur politique fort depuis la retraite à 60 ans en 1982 avec l’arrivée de F. Mitterrand. Depuis, plusieurs candidats ou responsables politiques se sont positionnés en référence à cet âge emblématique. De plus, le recul de l’âge légal ne laisse pas le choix aux futurs retraités tandis qu’avec la durée de cotisation, il reste possible de partir dès l’âge légal, sans avoir tous les trimestres requis, au prix d’une baisse des pensions. Sans surprise, plusieurs enquêtes d’opinion soulignent que l’allongement de la durée de cotisation serait plus facilement admis que le report de l’âge légal.

Reculer l’âge est souvent perçu comme une injustice envers ceux qui ont commencé tôt et qui devront attendre, même s’ils ont tous leurs trimestres. L’allongement de la durée de cotisation est aussi perçu comme plus pénalisant pour les femmes qui ont des carrières heurtées. De nombreuses femmes attendent déjà leurs 67 ans pour prendre leur retraite sans pénalité. Si le recul de l’âge légal s’accompagne d’un recul de l’âge du taux plein (mais ce recul de l’âge d’annulation de la décote n’est pas automatique), ces femmes seront défavorisées.

Le contre-exemple du dispositif carrière longue

C’est dans cet esprit qu’avait été créé le dispositif de retraite carrière longue, permettant de ne pas avoir à attendre l'âge de 62 ans pour partir à la retraite en justifiant d'un nombre maximum de trimestres. Il est cependant paradoxal de regretter le faible taux d’emploi des seniors et, en même temps, de les encourager à partir en retraite plus tôt. De plus, plusieurs études soulignent que les personnes cumulant emploi et retraite sont aussi des personnes ayant des durées de carrières longues. Ainsi, dans leur rapport sur l’emploi des seniors de 2019, les sénateurs Lubin et Savary notaient que « un quart des personnes en situation de cumul sont parties à la retraite avec le dispositif de la retraite anticipée pour carrière longue. La Cnav note que l’assouplissement des conditions d’accès à la retraite anticipée au titre de la carrière longue (RACL) a eu un effet favorable sur le cumul ». Comme le soulignent les sénateurs : « Ce constat interroge alors que la RACL est censée compenser les carrières longues de bénéficiaires supposés plus usés que les autres salariés ne pouvant partir qu’à 62 ans ». D’autres études vont dans le même sens : Les personnes exerçant un cumul emploi‑retraite ont acquis un nombre important de trimestres en lien avec une longue carrière professionnelle. Cela tendrait donc plutôt à montrer une nécessité de poursuivre son activité au-delà de l’âge légal pour s’assurer un niveau de revenu adéquat une fois à la retraite.

D’ailleurs, quand l’âge légal recule, l’impact est souvent positif sur le niveau des pensions car cela implique plus de points de complémentaire et de trimestres dans l’hypothèse où les futurs retraités ne connaissent pas d’accidents de carrière. L’impact est en revanche négatif quand la durée d’assurance est allongée, pour ceux qui souhaiteront partir à l’âge légal sans leur compte de trimestres. Ils subiront une décote, justement faite pour les inciter à travailler plus longtemps, dont les règles sont assez sévères, mais globalement méconnues compte tenu de leur complexité. Les Français ne se rendent pas toujours compte qu’en partant tôt, ils perdent en niveau de pension, ce qui sera leur revenu pendant 25 ans.

Une entrée de plus en plus tardive sur le marché du travail

La création du dispositif carrière longue associe début de carrière précoce et emploi pénible par opposition à une entrée plus tardive sur le marché de l’emploi associée à des études supérieures et un métier plus qualifié. Ce constat est à nuancer : tout d’abord, l’allongement de la durée d’études et l’insertion plus difficile sur le marché du travail signifient moins de trimestres en début de carrière. Les hommes de la génération 1950 avaient validé plus de 45 trimestres avant leurs 30 ans, contre 31 pour ceux de 1978. La Drees nous informe que l’âge moyen de première année validée complète se situait à environ 19 ans pour la génération 1954 et se situe plutôt maintenant autour de 22,5 ans-23 ans (génération 1986). Des études confirment d’ailleurs que les jeunes trouvent leur premier emploi significatif à 22 ans et 5 mois en moyenne, soit un âge identique à la moyenne nationale (22 ans et 7 mois). Autrement dit les 172 trimestres commenceront à s'appliquer plutôt à partir de 22 ans suggérant un âge départ à la retraite à taux plein autour de 65 ans !

Une insertion professionnelle plus difficile pour les moins qualifiés

Ce décalage n’est pas forcément imputable au seul allongement de la durée d’études : la proportion de jeunes (15-29 ans) encore en études reste élevée jusqu’à 19 ans environ (56%)[3] après quoi elle diminue régulièrement pour n’être plus que de 25% à l’âge de 22 ans. Parallèlement, la part des jeunes en emploi est de seulement 33 % à 20 ans. Ce n’est qu’à partir de 22 ans, qu’une majorité de jeunes sont en emploi (51%). La vraie difficulté vient des jeunes chômeurs ou inactifs qui constituent les NEET (ni en emploi, ni en étude, ni en formation) qui représentent entre 16 et 19% des jeunes sur les tranches d’âge 20-27 ans. Ce qui constitue un vrai défi car la France est particulièrement mal classée par rapport à d’autres pays du Nord de l’Europe. On compte ainsi en moyenne 7,6% de NEET en Allemagne ou 5,7% aux Pays-Bas tandis que la France est à plus de 17%. Et l’insertion professionnelle s’améliore avec le niveau d’études. Autrement dit il serait faux de croire qu’une majorité de personnes peu qualifiées commencent plus tôt et cumulent suffisamment de trimestres pour leur permettre de partir avant 65 ans.

Remettre à plat les dispositifs de départs anticipés plutôt que de favoriser le système « allongement de la durée de cotisations – carrières longues »

Reste la situation des personnes ayant occupé des postes pénibles et pour qui il peut être justifié de partir plus tôt à la retraite étant donné l’impact sur l’espérance de vie. La Fondation iFRAP a depuis longtemps plaidé pour une remise à plat des différents dispositifs qui coexistent, notamment entre public (catégories actives) et privé (compte pénibilité) et se superposent parfois à d’autres dispositifs (invalidité). Une meilleure articulation devrait être recherchée entre ces dispositifs qui n’obéissent pas aux mêmes règles, relèvent de l’assurance retraite ou de l’assurance maladie et par ailleurs, tout cumulé, coûtent cher. Selon la Cour des comptes qui s’est penchée sur le sujet en 2019 en marge de l’analyse des comptes de la Sécurité sociale, ces départs anticipés représentaient 14 Md€ de dépenses tous régimes confondus en 2016 dont trois dispositifs concentrent la plus grande partie des départs et des coûts : les carrières longues (plus de 250 000 départs et 6,1 Md€ de dépenses), les catégories actives de la fonction publique (31 000 départs et 3,3 Md€ de dépenses) et l’inaptitude, substituée ou non à une pension d’invalidité (130 000 départs et 1,7 Md€ de dépenses). S'y ajoute le compte pénibilité qui monte en charge et qui ne fait pas encore l'objet de dépenses particulières. 

Un effet nettement plus significatif sur les comptes publics

Aujourd’hui la formule la plus souvent proposée c’est de panacher un âge minimum à 63 ans avec une accélération de la procédure Touraine. Sauf que toutes les études confirment que le recul de l’âge permet aux régimes de faire des économies plus rapidement. Le gain du passage de 60 à 62 ans a été évalué à 20 milliards € contre 10 milliards € pour un allongement de la durée de cotisation à l’horizon 2040 (même si dans un cas comme dans l’autre en cotisant plus longtemps, les actifs accroissent leurs droits aux régimes de base et surtout aux régimes complémentaires12 ). Plus récemment le Cor a demandé aux services du Trésor de modéliser le passage d’un âge d'ouverture des droits de 62 à 64 ans au rythme de 3 mois par an. Le résultat à long terme sur le solde du système de retraites serait de 12,5 milliards € et l’effet sur les soldes des administrations publiques serait de +22 milliards €13. La situation dégradée de nos finances publiques ne nous permet plus de reporter ce choix.


[1] Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, sur la réforme des retraites : « 65 ans, c’est niet » JDD 3 octobre 2022

[2] JDD 22 mai 2022

[3] 93% à 17 ans, 80% à 18 ans