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Remettre de l'ordre dans les retraites : un exemple avec l'AGFF

Le comité de suivi des retraites vient de rendre son 3e avis à Manuel Valls et Marisol Touraine. Dans cet avis le comité juge un peu précipitamment que les résultats sont en amélioration lente mais sensible, sous l’effet des réformes intervenues, notamment l’accord sur les retraites complémentaires du 30 octobre 2015. Nous avons pourtant montré dans une note (Retraites Agirc Arrco, situation des finances toujours périlleuse) que les engagements pris par les partenaires sociaux qui devaient rapporter 3,5 milliards d'euros en 2020 risquent de ne rapporter (au mieux) que 0,2 milliard.


Cet accord pose également la question de l’AGFF (association pour la gestion du fonds de financement), bizarrerie des retraites complémentaires, puisqu'il s'agit d'une cotisation censée financer le surcoût de la retraite à 60 ans pour les retraites complémentaires dont l'âge de liquidation est resté fixé à 65 ans. La contribution des cotisations AGFF aux retraites complémentaires est loin d’être négligeable puisqu’elle a représenté 4,65 milliards d’euros en 2015.  Les salariés et leurs employeurs sont obligés d’y cotiser à hauteur de 2% pour la tranche A et 2,2% pour la tranche B. Pourquoi avoir maintenu à un niveau aussi élevé les cotisations à l’AGFF ?

Historique de l’AGFF

L’AGFF pour Association pour la gestion du fonds de financement est un dispositif permettant de financer le surcoût pour les retraites complémentaires du privé résultant du départ anticipé à la retraite de personnes bénéficiant du taux plein dans le régime de base. Ces cotisations ne rapportent pas de points et ne génèrent donc pas de droits, à l’exception d’une anticipation possible de la retraite dans les régimes complémentaires.

Une ordonnance du 19 novembre 1945 avait fixé l’âge de la retraite à taux plein à 65 ans, moyennant 37,5 années de cotisations. Une ordonnance du 26 mars 1982 instaura la retraite à 60 ans, mais il fallut attendre le 4 février 1983, pour que  le patronat, sous la pression du gouvernement, signe un accord qui mette les régimes complémentaires du privé au diapason du régime général.

Les négociations alors menées ont abouti à la création de l’Association pour la Gestion de la Structure Financière (ASF), chargée d’assurer le surcoût, pour les régimes complémentaires Agirc/Arrco, des retraites à taux plein versées entre 60 et 65 ans. La retraite à taux plein à 60 ans n’est donc réellement entrée en vigueur que le 1er avril 1983.

L’ASF a été conçue comme un système de préretraites, dont les charges étaient financées pour partie par une cotisation spécifique recouvrée par l’UNEDIC et le reste par l’Etat, qui avait imposé cette décision. Ce dernier a bien sûr souhaité se désengager. Des négociations régulières ont donc eu lieu, pour organiser une réduction progressive de la participation de l‘Etat, jusqu’à la création, par accord du 18 mars 2001 de l’AGFF, qui relève de la responsabilité exclusive des partenaires sociaux. 

Le rôle obscur de l'AGFF

En fait l’AGFF, dont le dernier accord prévoit que les activités soient reconduites jusqu’au 31 décembre 2018, contribue discrètement mais substantiellement au financement de l’Agirc/Arrco, qui recouvre les cotisations correspondantes. Ses excédents, intégrés très pudiquement dans les comptes, sous la rubrique « contribution d’équilibre » étaient de 2,66 Mds € en 2013, 3,85 Mds € en 2014 et 4,65 Mds € en 2015.

La Cour des comptes précise d’ailleurs que le caractère contributif et la transparence de l’AGFF pourraient être améliorés. Elle propose sa suppression en tant que structure distincte des régimes, et l’intégration de ses produits et ses charges aux régimes eux-mêmes.

Dans leur rapport 2014, les présidents paritaires de cette association confirment de leur côté, que : « L’Association constitue une composante importante du financement des retraites complémentaires. Elle sera certainement un point central des négociations paritaires pour les périodes postérieures à 2018. Elle est cependant mal connue des 18 millions d’affiliés aux régimes Agirc et Arrco, dont les bulletins de paie comportent pourtant une ligne de prélèvement au titre de la cotisation AGFF. Le Conseil d’Administration a donc décidé de mettre à disposition le présent rapport d’activité… par diffusion sur site internet. »

Dans les faits marquants mentionnés par l’AGFF dans son rapport pour l’exercice 2014, il est par ailleurs précisé que « le relèvement de l’âge de la retraite réduit progressivement les suppléments de charges résultant des mesures d’anticipation de la retraite ». Pourquoi envisager des coefficients de minoration des retraites, alors que le surcoût résultant des départs anticipés doit être financé par l’AGFF ?

De deux choses l’une :

  • Ou bien le relèvement progressif des mesures d’âge fait converger l’âge de la retraite entre le régime de base et le régime complémentaire, et l’AGFF devrait progressivement s’éteindre
     
  • Ou bien ces mesures sont insuffisantes à régler le déficit des régimes complémentaires et on comprend pourquoi le taux de l’AGFF n’a pas été modifié et a même été étendu à la tranche C.

Quoi qu’il en soit la question du financement des retraites complémentaires du privé est loin d’être réglée. On est surpris que le comité de suivi des retraites ne creuse pas cette question, jugeant "qu'au regard de l’analyse des indicateurs de suivi de notre système de retraites, la situation et les perspectives du système de retraites ne s’éloignent pas de façon significative des objectifs définis par la loi. Il ne formule pas de recommandations pour l'année en cours". Une conclusion optimiste qui a conduit le Premier ministre à y voir "le très net rétablissement de notre système de retraites", "sur la voie d'un équilibre financier durable".

La soutenabilité de notre système de retraites passe par son retour à l'équilibre mais il passe aussi par une plus grande transparence et cohérence dans sa gouvernance et son mode de financement. A l'heure où le gouvernement se félicite d'un redressement des comptes, il faut se saisir de cette occasion non pas pour considérer que le problème est réglé mais pour continuer à le réformer avec pour objectif baisser le poids des retraites dans le PIB - 14% - ce qui nous place avec l’Italie et le Portugal dans le trio des pays européens qui dépensent le plus pour le financement des retraites.