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Pourquoi la réforme des retraites annoncée favorisera le public au détriment du privé

Allons-nous encore une fois vers une réforme des retraites contraignante pour les salariés du privé et qui ne réclamera quasiment aucun effort aux salariés du public? Cela semble bien être le cas puisque la piste de l’allongement de la durée de cotisation paraît tenir la corde plutôt que le report de l’âge de départ à la retraite. Or, ce choix favoriserait les agents publics qui pourront continuer à partir plus jeunes avec de meilleures pensions.

Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le mercredi 28 septembre. A voir, en cliquant ici.

L’État et les autres employeurs publics versent en effet 40 milliards d’euros de cotisations employeur en plus par rapport à ce qu’ils verseraient s’ils cotisaient le même pourcentage qu’un employeur privé. Et ces 40 milliards de cotisations en plus sont financés notamment par l’impôt sur le revenu des Français.

Chaque ménage imposable paie ainsi chaque mois autour de 200 euros pour financer les pensions surdotées de nos agents publics. Surdotées parce que la Fondation iFrap a pu montrer, à partir d’un échantillon de 4.000 carrières publiques, que l’application des règles en vigueur pour le privé entraînerait pour ceux-ci une baisse de pension de 21 % en moyenne sur les trois générations étudiées. En clair : avec les règles de la fonction publique, la retraite moyenne annuelle de notre échantillon public est de 27.847 € tandis qu’elle ne serait que de 21.975 € avec les règles du privé.

Le mode de calcul de pensions publiques est donc beaucoup plus généreux que le mode de calcul des pensions privées et, étrangement, ce sujet ne revient jamais sur la table. Comment croire qu’il est identique de calculer la pension sur les six derniers mois ou sur les vingt-cinq meilleures années (Cnav) et sur l’ensemble de la carrière (retraites complémentaires) ? Et que l’on ne réponde pas par l’argument des primes, non comprises dans ce calcul des pensions, puisqu’elles donnent lieu à cotisation en vue d’une pension distincte, par capitalisation.

L’écart de pensions était d’ailleurs un argument de poids des syndicats des agents contre la réforme systémique de 2019 car ils ne voulaient pas perdre en montant de leurs pensions publiques, entre 20 % à 25 % s’ils adoptaient le même mode de calcul que les salariés du privé.

Par ailleurs, faut-il s’étonner que la réforme dite Touraine, passée sous la présidence de François Hollande, ait été une réforme fondée sur l’allongement de la durée de cotisation et non sur l’âge ? Un tel choix favorise les agents publics étant donné que ceux-ci ont des carrières beaucoup plus complètes que les salariés du privé car ils bénéficient de l’emploi à vie. C’est d’ailleurs ce que répondent les spécialistes publics du sujet : « Il y a moins de périodes blanches, sans cotisations, chez les fonctionnaires »…

Or, pour 2021, la durée moyenne en trimestres d’assurance tous régimes des nouvelles pensions civiles de droit direct de l’État s’élève à 171,7 trimestres. 171,9 trimestres pour les hommes et 171,6 pour les femmes selon le service des retraites de l’État. Les « catégories sédentaires » (qui ont l’âge de départ à la retraite à 62 ans, contrairement aux « catégories actives », qui peuvent partir plus tôt) atteignent même une moyenne de 174,2 trimestres. Alors que, pour les salariés du privé, la moyenne des trimestres cotisés au moment de partir en retraite est de 160 trimestres selon les statistiques de la Cnav. Un écart énorme qui équivaut à trois ans de travail.

Mais comment font donc les agents publics pour valider autant de trimestres en aussi peu de temps ? En réalité, ils bénéficient, pour beaucoup, des trimestres de retraite bonifiés ou offerts : bonification de dépaysement pour les services civils rendus hors Europe, bonification pour le service militaire, bonification accordée aux professeurs d’enseignement technique, bonification pour enfants, etc. Il y a aussi des trimestres comptés quand on a étudié dans une école qui forme les fonctionnaires et des trimestres que l’on peut racheter pour la période d’études.

Malgré tout, les informations restent très floues car il n’y a pas de caisse de pension des agents de l’État et donc pas de statistiques vraiment fiables. Ainsi, il est quasiment impossible de connaître le détail des dépenses de solidarité (majoration pour enfants, réversion…) du principal régime de retraite public - celui de l’État - dont les dépenses s’élèvent à 55 milliards d’euros !

Ce que cela signifie ? Tout simplement que si l’option choisie par le gouvernement et sa majorité relative à l’Assemblée était de faire une simple accélération de la réforme Touraine sans toucher à l’âge de départ à la retraite ni au calcul des pensions publiques, cela conduirait à cotiser 172 trimestres en 2025 pour avoir le droit de prendre sa retraite. Ces 172 trimestres seraient clairement plus facilement accessibles pour nos agents publics.

Les syndicats du public, arc-boutés qu’ils sont contre le report de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, n’auront vraisemblablement aucun mal à signer des deux mains une accélération de la réforme Touraine. Pas étonnant que cette solution semble avoir les faveurs de l’exécutif alors qu’elle génère deux fois moins d’économies que le report de l’âge. Cela permettrait à toutes les parties de dire qu’elles ont négocié âprement pendant des nuits. Et au gouvernement de faire passer le message aux marchés ainsi qu’à la Commission européenne que la France peut encore accomplir des réformes.

Le dindon de la farce? Pas besoin de le chercher très loin : c’est le salarié du privé, qui en moyenne travaillera, avec l’augmentation de la durée de cotisation, environ trois ans de plus et continuera de payer avec ses impôts de meilleures pensions à ses camarades du public. Mais personne ne semble trouver à redire à ce scandale qui veut que la moitié de la recette totale de l’impôt sur le revenu finance de meilleures pensions publiques à des agents qui peuvent (et encore à l’avenir si la réforme porte sur les trimestres plutôt que sur l’âge) continuer à partir plus tôt en retraite que les salariés du privé !

Il faut absolument repousser l’âge de départ à la retraite, seul choix équitable pour les salariés du privé. Et créer une caisse des pensions de l’État au plus vite afin de comprendre comment se financent vraiment les pensions publiques.