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Pénibilité et retraites : quels modèles en Europe ?

La réforme des retraites actuellement en discussion au parlement prévoit d’améliorer le compte-prévention pénibilité (C2P) en déplafonnant le nombre de points acquis, en accélérant le rythme de constitution des points pour les salariés poly-exposés, en abaissant le seuil d’exposition à certains risques pour bénéficier de points de pénibilité (travail de nuit, travail en équipe successives alternantes) et en augmentant les droits associés (droits à formation ou au travail à temps partiel, prise en compte de trimestres pour le calcul de la pension).

Quels sont les facteurs de pénibilité au travail ?

Les critères de pénibilité étaient au nombre de quatre au moment de la création du compte pénibilité en 2015 (il s'agissait d'une proposition introduite par la réforme des retraites 2014) : travail de nuit, travail répétitif ou à la chaîne, travail en équipes successives alternantes et travail en milieu hyperbare (travail sous l’eau ou sous terre). Six autres critères ont été ajoutés le 1er juillet 2016 pour mieux prendre en compte la pénibilité au travail :

  • Le port de charges lourdes ;
  • Les postures pénibles ;
  • Les vibrations mécaniques ;
  • L’environnement bruyant ;
  • Les températures extrêmes ;
  • L’exposition à des agents chimiques dangereux.

Le C2P est venu remplacer le C3P le 1er janvier 2018. Quatre facteurs ont été supprimés (les seuils d’exposition étant jugés incontrôlables) : le port de charges lourdes, des postures pénibles, des vibrations mécaniques et de l’exposition aux agents chimiques dangereux. Depuis, 2018, il y a donc 6 critères de pénibilité pris en compte :

  • Le travail de nuit ;
  • Le travail répétitif (à la chaîne) ;
  • Le travail en équipes successives alternantes (3 × 8) ;
  • Le travail en milieu hyperbare (sous terre ou sous l’eau) ;
  • L’environnement bruyant ;
  • Les températures extrêmes.

Le projet de loi prévoit de revenir sur les critères qui avient été écartés en 2018.

D’autres mesures devraient accompagner ce renforcement du C2P : reconversion professionnelle, accès facilité à la retraite pour incapacité permanente, fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, mise en place d’un suivi spécifique des salariés exposés, …

Mais la particularité française est de superposer les aménagements de fin de carrière pour tenir compte des effets sur la santé ou sur l’espérance de vie de conditions de travail réputées difficiles. On compte en France au moins 5 dispositifs : compte prévention-pénibilité, catégories actives pour les fonctionnaires, départs en retraite anticipé pour incapacité permanente ou pour inaptitude / invalidité, carrières longues. On peut rapprocher deux autres dispositifs la retraite progressive et la retraite anticipée des travailleurs handicapés.

La Cour des comptes avait retenu pour ce périmètre un impact massif : les dispositifs ici examinés permettent depuis le début de la décennie le départ à la retraite d’un grand nombre d’assurés, de l’ordre de 400 000 en 2017. Ces départs ont un coût élevé pour la collectivité, qui a atteint près de 14 Md€ en 2016. Trois dispositifs concentrant la majorité des dépenses de solidarité : les carrières longues (plus de 250 000 départs et 6,1 Md€ de dépenses), les catégories actives de la fonction publique (31 000 départs et 3,3 Md€ de dépenses) et l’inaptitude, substituée ou non a une pension d’invalidité (130 000 départs et 1,7 Md€ de dépenses).

Comment ça se passe ailleurs en Europe ?

Notons d’abord que dans les pays suivants, il n’existe pas de dispositions pour les métiers pénibles ou dangereux : Allemagne, Belgique, Danemark, Irlande, Luxembourg, Malte, Pays-Bas et Suède.

Toutefois, en Allemagne, en Belgique, au Danemark, au Luxembourg, à Malte, il existe des dispositifs de départs anticipés pour les personnes justifiant de carrières longues, estimées à partir d’un âge de début d’activité et/ou d’un certain nombre de trimestres d’activité. Cela doit conduire à réfléchir à une meilleure complémentarité entre carrières longues et départs anticipés au titre de la pénibilité.

Les pays suivants prévoient des dispositifs pour métiers pénibles ou dangereux qui visent des professions spécifiquement listées :

Chypre : mineurs ayant accompli un minimum de 3 années de travail à la mine pour lesquels l’âge de la retraite est fixé à 63 ans mais ils ne peuvent en aucun cas bénéficier de la pension avant l'âge de 58 ans.

Espagne : les catégories professionnelles considérées comme étant exceptionnellement pénibles, dangereuses, toxiques ou insalubres qui bénéficient d’une diminution de l’âge normal de départ à la retraite sont les travailleurs de l’industrie minière; le personnel de vol; les travailleurs des chemins de fer; les artistes; les professionnels de la tauromachie; les pompiers du service civil et auprès des organisations publiques; les membres des Forces de police basques, de Catalogne ou de Navarre.

Bulgarie : trois catégories sont listées dans une ordonnance spécifique. La première et la deuxième catégories incluent les emplois les plus pénibles et dangereux (mineurs, pilotes, conducteurs de camions transportant 12 tonnes ou plus, travailleurs du secteur de la métallurgie, etc.).

Portugal : la législation prévoit des conditions spéciales d’accès à la pension de vieillesse pour les bénéficiaires ayant exercé une profession dont la nature est spécialement pénible: Mineurs de fond et travailleurs de l'industrie de carrière (accès à la pension à partir de 50 ans); Marins et marins-pêcheurs (à partir de 55 ans si au moins 15 ans de service) ; Contrôleurs de trafic aérien – 58 ans si au moins 22 ans de services ; danseurs (45 ans si 20 années d’activité à mi-temps ou 55 ans si 10 années d’activité à temps plein) ; brodeuses de l’Ile de Madère – 60 ans si 15 années de cotisations.

République tchèque : un âge de la retraite inférieur s’applique aux personnes ayant exercé certains métiers dans les mines souterraines.

En Hongrie, bien qu’il n’y ait pas de disposition spécifique, les mineurs de fond et les danseurs professionnels peuvent bénéficier d’une prestation avant l’âge de la retraite.

En Grèce, une décision ministérielle fixe les lieux de travail qui relèvent du régime des métiers pénibles et insalubres (par exemple, l’exploitation minière, sites de construction, tannage, sidérurgie, industrie du ciment, usines textiles, industrie chimique, industrie des détergents, médicaments agricoles, débardage, traitement du marbre, industrie des peintures et des vernis, industrie des engrais chimiques, verrerie, industrie des matières explosives et raffineries). Les assurés peuvent partir à taux plein à partir de 62 ans sous condition de durée d’activité pénible.

En Estonie, il n’y a pas de définition mais une liste de métiers pénibles et dangereux donnant droit à un départ à la retraite de 5 ou 10 ans avant l’âge légal (sous conditions d’admissibilité). Le système est un peu similaire en Lettonie avec une liste de métiers permettant selon les cas de partir à 59 ou 62 ans. En Lituanie, en revanche, il n’y a plus de système de la sorte depuis 1995 mais ceux qui justifient une certaine durée d’activité peuvent partir avant l’âge légal et bénéficier d’une compensation temporaire.

En Slovaquie, comme en Slovénie, les métiers sont classés en catégories, en fonction du poste et de l’environnement de travail. Les métiers dangereux relèvent des troisième et quatrième catégories. Le versement de cotisations patronales additionnelles à l’épargne-pension (3e pilier) pour les salariés classés dans les catégories 3 ou 4 est obligatoire. En Slovénie, les métiers sont classés en cinq groupes, en fonction du niveau de la prime d’assurance y afférente, lequel dépend du degré de pénibilité ou de dangerosité du travail, ou encore de la nature de ce dernier.

Certains pays renvoient à une description des métiers pénibles mais sans se référer à une définition précise. C’est le cas en Pologne, Italie, Roumanie

En Pologne, pour les personnes nées après le 1/1/1949, il existe une définition des emplois soumis à des conditions spéciales ou des emplois présentant des caractéristiques spéciales et une liste des types d’emplois. Les emplois soumis à des conditions spéciales sont liés aux facteurs de risque qui, avec l’âge, sont très susceptibles d’entraîner des effets nocifs permanents sur la santé. Les personnes exerçant dans des conditions de travaux pénibles et insalubres ou exerçant une tâche spécifique (dont il existe une liste officielle), peuvent accéder à la prestation de vieillesse 5, 10 ou 15 années plus tôt.

En Roumanie, les personnes ayant complété la période de cotisation totale sont en droit de partir plus tôt si elles ont travaillé dans des conditions de travail particulières et difficiles, en plus des anciens groupes de métiers I et II, existants jusqu’au 1er avril 2001. La diminution totale de l’âge de départ à la retraite ne saurait être supérieure à 13 ans, et l’âge de départ à la retraite ne peut pas être inférieur à 50 ans pour les femmes et 52 pour les hommes. Des dérogations sont cependant prévues pour des métiers spécifiques.

Reste les pays qui ont mis en place des mesures de pénibilité plus sophistiquées soit 4 pays y compris la France :

En Autriche, la classification en travail pénible, se définit par un travail impliquant des moments de surcharge physiques et psychiques. Ces moments de surcharge sont fixés dans le règlement sur le travail pénible qui ne cite pas des professions concrètes mais règlemente des activités pénibles dans le cadre d'une profession. Les conditions de départ sont les suivantes : au plus tôt à 60 ans révolus et au moins 540 mois d’assurance (45 ans), à noter que les 240 derniers mois calendriers (20 ans) avant le jour de référence doivent contenir au moins 120 mois de travail pénible (10 ans).

En Croatie, les métiers pénibles et dangereux sont ceux effectués « sur des lieux de travail ayant des effets nocifs sur la santé et la capacité de travail des employés, malgré la mise en place de mesures de protection de la santé et de sécurité générales et spécifiques ». L’âge de la retraite est réduit sous conditions de durée d’activité dans des conditions reconnues pénibles. De plus, des âges de départs inférieurs sont fixés pour les membres d’équipage de navires, pour les travailleurs du secteur du déminage ou en service pendant la guerre patriotique, pour les travailleurs ayant été directement ou indirectement exposés à l’amiante.

En Finlande, une pension d'ancienneté est accordée à partir de 63 ans, indépendamment de l'année de naissance après 38 années de travail pénible, ce qui comprend les facteurs suivants : des mouvements professionnels ayant nécessité une grande force musculaire ou l‘exercice d‘une pression à long terme sur les muscles; une très forte sollicitation du système respiratoire et du cardiovasculaire; des positions de travail pénibles et difficiles; des mouvements répétitifs exigeant de la force ou de la rapidité, ou des mouvements techniques; un travail interactif particulièrement exigeant, nécessitant un effort mental exceptionnel; et un travail nécessitant d'être constamment sur ses gardes ou particulièrement vigilant et comportant des risques élevés ou dans lesquels la menace de violence est marquée.

Avec le compte pénibilité, la France emprunte une voie difficile de reconnaissance des facteurs d’exposition bien qu’elle ne soit pas seule en Europe. La spécificité française est le système en points qui permet une portabilité des droits pour faire valoir la reconnaissance de la pénibilité quel que soit le parcours professionnel mais qui doit ouvrir aussi des droits à de la formation ou des aménagements du temps de travail, en plus de bénéficier dans le calcul de la durée d’assurance. Un tel schéma aurait supposé a minima de remettre à plat les autres dispositifs de départs anticipés pour harmoniser les règles entre régimes.