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Prime au mérite dans le public, la France en retard

Lundi matin, Emmanuel Macron confiait à Europe 1 « une conviction personnelle » : « Il faut accroître la part de mérite, la part d’évaluation dans la rémunération de la fonction publique. C’est une façon de la moderniser. Simplement, la performance ne se mesure pas comme dans l’entreprise. Car on est en charge de l’intérêt général ». Une remarque validée par Marylise Lebranchu le lendemain sur BFM, elle qui a pourtant supprimé la prime de fonction et de résultat pour les fonctionnaires instaurée par la précédente majorité, puisqu’elle se disait favorable à la mise en place dans la ville de Suresnes, du versement d'une prime en fonction du mérite pour les agents municipaux. Lier mérite et salaire dans la fonction publique, où en est-on en France et à l’étranger ? 

Les exemples étrangers 

  • Royaume-Uni : La rémunération liée à la performance depuis 2001

Le salaire lié à la performance est en train de se mettre en place pour tous les agents du service public britannique dont 92% sont non titulaires et ont, donc, un statut très proche de celui du privé. Pour les hauts fonctionnaires (environ 3.700 senior civil servants), le suivi de la performance est renforcé ; engagés pour des contrats de 4 ans en moyenne, 3 à 4 objectifs détaillés leur sont fixés ainsi que les détails sur le « comment y parvenir » et les « compétences à développer nécessaires » pour y arriver. Tous les ans, ensuite, un bilan de la performance est assuré (qui donne, notamment, des recommandations en termes de rémunérations et de primes, voire sur l’avenir du contrat de travail). Si le bilan est décevant, un plan personnel d’amélioration de performance doit être décidé dans le mois et ces retombées sont évaluées dans les 6 mois qui suivent. Enfin, ces bilans permettent à l’administration de classer les agents en 3 catégories : ceux à la performance élevée (25%), ceux à la performance normale (65 à 70%) et ceux à la performance en dessous de la moyenne (5 à 10%).

Mis en place depuis 2001, ces évaluations étaient, au début, trop administratives, avec trop de formulaires à remplir et donc, incomprises. Depuis, un travail de simplification des entretiens et de transparence, de la part de l’employeur public, sur les données et les objectifs fixés a été fait.

Le salaire lié à la performance pour motiver les enseignants :

Après plusieurs années de refonte qui a accordé plus d'indépendance aux établissements, aux directeurs et aux collectivités, le gouvernement britannique a introduit pour tous les enseignants, des salaires liés à la performance. Malgré l'opposition des syndicats d'enseignants, la mesure est effective depuis 2015, car confortée par des expérimentations déjà concluantes dans des établissements indépendants et/ou volontaires. Dans les établissements publics, la politique salariale est désormais la suivante : les rémunérations minimale et maximale sont toujours fixées par la grille du gouvernement mais la progression sur cette grille se fait maintenant en fonction de la politique établie par l'établissement, sur la performance. Sans progression automatique, les établissements sont libres d'édicter leur politique de progression : ils peuvent décider d'augmenter les 20% d'enseignants les plus performants, ou déterminer un bonus annuel selon la note obtenue par l'enseignant, ou encore choisir de ne récompenser que les enseignants qui en auraient fait la demande… Tous ces éléments, l'évaluation de l'enseignant et l'avis du directeur, sont ensuite transmis au governing body de l'établissement qui prendra la décision finale (il s'agit d'une sorte de Conseil d'administration qui regroupe des parents d'élèves, des membres du personnel, des représentants de la collectivité et des fondations, sponsors de l'école.)

  • Suède : La sécurité de l’emploi dépend uniquement des compétences de l’agent 

On peut aussi compter la Suède qui, au début des années 1990 à complètement réformer sa fonction publique, un long chantier fait avec le support des représentants syndicaux et des agents qui a abouti à la suppression de l’emploi à vie et à des salaires liés à la performance. Depuis, pas de grille, la rémunération varie selon le niveau de performance, le niveau de responsabilité, les initiatives de l’agent, l’accomplissement (ou non) des missions fixées dans le contrat. Le niveau de rémunération dans la fonction publique est aussi, systématiquement, comparé et aligné avec la rémunération des postes équivalents dans le privé. Pour l’agent, il y a un entretien individuel minimum et obligatoire par an.

Autre point, lors des recrutements, il n’y a aucun avantage donné aux agents déjà intégrés dans la fonction publique : les entretiens sont les mêmes pour les « internes » et les personnes issues du privé, une situation tout à fait inverse à ce qui se pratique en France un profil d’agent ayant validé le concours est avantagé par rapport à un contractuel (pourtant déjà en interne) et encore plus par rapport à un profil issu du privé (c’est particulièrement le cas dans la haute fonction publique).

  • Suisse : Les agents publics notés de A++ à C

Depuis 2002, date de la suppression du statut de fonctionnaires, les salaires sont liés à la performance Pour les fonctionnaires engagés sous contrat individuel de droit public, les objectifs qui lui sont assignés sont convenus entre ce dernier et son supérieur hiérarchique immédiat. Si les objectifs sont atteints et à l’issue d’une évaluation (avec une notation allant de A++ à C pour l’agent – voir le tableau ci-dessous), alors le fonctionnaire peut se voir accorder une augmentation annuelle du salaire ou une prime complémentaire. À l’inverse, une mauvaise évaluation peut avoir des conséquences concrètes sur le maintien du poste et peut, dans les cas les plus graves, entraîner la résiliation du contrat.

  • États-Unis : L’évaluation est gage d’un service public de qualité.

Pour ceux qui doutent encore, lier rémunération et performance, est-ce que ça marche vraiment ? Oui, si l’on se base sur les résultats aux États-Unis. Depuis 2004, dans la fonction publique fédérale américaine, l’idée est de faire correspondre la rémunération d’un fonctionnaire, quelle que soit sa position hiérarchique, avec sa contribution à la performance du service. De ces modalités a découlé une plus grande rigueur dans l’évaluation des agents : en 2001, près de 80% des hauts fonctionnaires ont obtenu une évaluation de niveau « exceptionnel » contre 45% en 2005 mais pour autant, la qualité du travail n’a pas baissé : les agences ont simplement fait preuve d’un plus grand discernement dans l’évaluation de la performance des agents publics.

En France, la performance n'est pas un critère déterminant

La fonction publique compte pas moins de 1.851 primes qui forment une part plus ou moins variable de la rémunération des fonctionnaires (cela peut monter jusqu'à 51% du salaire total pour un agent de Bercy). Or, sur ces primes, celles qui viennent récompenser la performance des agents se comptent sur les doigts d’une main. Et pourtant, le terme de « prime » a pour étymologie le terme latin praenium qui signifie gain, récompense ou butin...

La prime de fonction et de résultat (PFR) mise en place par le gouvernement Fillon en 2008, n’aura pas fait long feu, elle n’est plus effective depuis le 1er janvier 2015. Elle avait pour objectif de clarifier les systèmes indemnitaires en se substituant à un certain nombre de primes existantes. Celle-ci était constituée de deux parts : une part liée aux fonctions qui tenait compte des responsabilités exercées, et une part liée aux performances individuelles mesurées par l’atteinte ou non d’objectifs fixés. Malgré de bonnes intentions, ce dispositif a raté sa cible. D’abord, le nombre de régimes indemnitaires n’a pas diminué de façon substantielle, ensuite, la prise en compte des résultats personnels des agents fut plus que relative. Et les représentants syndicaux, qui n’ont cessé de s’y opposer (la CGT parlant ironiquement de Prime Faisant Régresser) ont fini par en avoir raison même s’ils regrettent encore que « ce n’est pas effectivement l’abandon total de la référence à la performance » (Bernadette Groison, secrétaire générale de la Fédération syndicale unitaire du FSU). Pour justifier cette suppression, la ministre Marylise Lebranchu avait déclaré qu’elle était le « symbole de la performance individuelle et de la concurrence entre les fonctionnaires » (citations - voir Les Echos). La prime a donc été remplacée par une indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise : une première part est accordée au titre du poste occupé du fonctionnaire (et revalorisée tous les 4 ans), la seconde part peut être accordée au titre d’un «complément indemnitaire annuel qui tient compte de l'engagement professionnel et de la manière de servir », c’est donc la motivation de l’agent qui est récompensé mais ce, sans qu’aucun objectif à atteindre ne soit fixé.

En conclusion, lier rémunération et performance pour les agents publics aurait de nombreux avantages dont la fonction publique française pourrait s’inspirer (voir le rapport de l'OCDE sur les évolutions de la fonction publique dans le pays membres). Tout d’abord, les incitations financières n’étant pas négligeables, cette évaluation a un caractère incitatif permettant d’améliorer le rendement du travail des fonctionnaires et même de lutter efficacement contre l’absentéisme. De plus, l’existence d’objectifs chiffrés permettrait d’éviter les notations complaisantes… ce qui est notamment le cas de l’actuelle indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise : la notation de « terrain » est scrupuleusement lissée par une dizaine de commissions paritaires avant d’arriver en centrale où les agents ne se distinguent plus les uns des autres, ainsi la majorité des fonctionnaires se voit attribuer la note maximale. Conséquence, pour les cadres supérieurs infirmiers dans les hôpitaux de Paris, la note moyenne était en 2007 de 19,3 sur 20. Les agents qui contestent leur évaluation peuvent aussi saisir les commissions administratives paritaires (constituées à nombre égal de représentants du personnel et de représentants de l’administration) qui, du fait de leur composition, donnent presque systématiquement raison aux fonctionnaires contestataires.

Le cas de la ville de Suresnes, une vraie prime au mérite ?

En début de semaine, la ville de Suresnes annonçait avoir trouvé un accord avec ses syndicats pour rémunérer ses 1.300 agents à la performance. Il s’agit, en réalité d’une prime de performance qui sera effective dès l’année 2016. Sur quels critères ? L’absentéisme sera pris en compte même si on ne sait pas encore à quel niveau (sur cette problématique, la ville de Florensac a déjà mis en place une prime de présentéisme de 50 euros par mois, uniquement versé si l’agent n’a été absent aucun jour de l’année). Il faudra aussi, pour les agents, « adopter une attitude positive ou encore prendre des initiatives ». Pour un agent de catégorie A qui touchait la prime précédente de 100 euros, il touchera ainsi 135 euros (note «exceptionnelle »)… ou  85 euros (note «à améliorer»). Une possibilité de relecture des évaluations existe mais c’est tout de même, il faut le noter, que des sanctions financières sont prévues sur une prime déjà existante. Il faudra donc suivre avec attention le passage à la pratique et notamment le pourcentage d’agents qui obtiendront la note maximum.