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La Cour des comptes plus transparente mais moins indépendante ?

Le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, met progressivement en place sa réforme intitulée JF 2025. Celle-ci repose sur trois ambitions stratégiques déclinées en douze orientations :

  • Renforcement du service aux citoyens avec des travaux « plus diversifiés, plus rapides, plus accessibles » ;
  • Confortation et modernisation des métiers de la Cour dont le renforcement de la conduite et de l’évaluation des politiques publiques ;
  • Promotion d’un fonctionnement des juridictions financières, plus agile et plus intégré.

D’abord, on sent que le Premier président a puisé ses idées dans le grand débat national organisé après les gilets jaunes notamment sur la question des pétitions. En effet, la Cour des comptes va expérimenter un système de pétition pour l’inscription de sujets à son programme, par le biais d’une plate-forme en ligne. La Cour créera aussi une « plate-forme de recueil des signalements par les citoyens lanceurs d’alerte ».

Ensuite, ce qui change vraiment, c’est que les présidents de chambres régionales et territoriales des comptes participeront beaucoup plus aux travaux de la Cour puisque six d’entre eux intégreront le très puissant comité du rapport public et des programmes (CRPP, en charge, notamment, de l’examen des projets de rapports).

Par ailleurs, la réforme fixe un objectif de publication de 100% des documents « non couverts par des secrets protégés par la loi » contre 60% actuellement et prévoit la montée en puissance des activités d’analyse des politiques publiques : 5% aujourd’hui des ressources de la Cour contre un objectif de 20%.

Enfin, et surtout, la réforme prévoit de renforcer les pouvoirs du Premier président : ce dernier pourra désormais choisir quels rapports seront examinés par le au Comité du Rapport Public et des Programmes (CRPP) même si les rapports "obligatoires" (rapport public annuel, sécurité sociale, finances locales, exécution du budget, etc) restent automatiquement soumis. Autre changement, le Premier président pourra choisir, parmi les rapports non « obligatoires » examinés par le CRPP, ceux qui seront soumis à la délibération collégiale de la chambre du conseil, assemblée (plénière ou restreinte) des conseillers maîtres de la Cour. En clair, la Rapporteure générale et le Premier Président deviennent le carrefour quasi-obligatoire de l’ensemble des publications non obligatoires de la Cour. Pour résumer, la réforme entérine un affaiblissement du rite de l’examen collégial par le CRPP et par la chambre du conseil pour une partie des rapports, certes ceux perçus comme les moins importants, au profit d’une décision plus ou moins discrétionnaire du Premier président. 

En guise de garde-fous, les contours de la réforme ont été bien détaillées (les projets de rapports resteront transmis aux membres du CRPP qui pourront faire connaître leurs observations, des critères d’examen par le CRPP seront formulés et le rapporteur général jouera un rôle d’alerte sur les sujets « sensibles », etc.)… sauf que des risques subsistent quant à la pratique : ces derniers sont d’euphémiser le discours de la Cour, de le rendre beaucoup plus politique, et d’écarter de ses publications les constats les plus incisifs et les propositions les plus percutantes. Les derniers rapports de la Cour des comptes aux positions plutôt édulcorées semblent aller dans le sens d'une prudence peut-être excessive.

Des points à surveiller donc, d’autant plus que l’un des autres axes de la réforme JF 2025 vise à renforcer les rôles et moyens du Haut conseil des finances publiques… hébergé par la Cour. Attention donc à ce que la Cour ne devienne pas moins collégiale et moins indépendante, l’objectif de publication à 100% des documents non classifiés pouvant se faire au détriment de la liberté de ton et de la franchise de certains constats et propositions de réforme. 

Rappelons au passage que le comité de réflexion sur la réforme de la Cour présidé par Bernard Attali insistait sur le rôle de cette institution pour « sonner l’alerte sur les erreurs en train de se commettre et leurs effets futurs ». Ainsi, la réforme représente peut-être une nouvelle occasion manquée quant au renforcement du rôle constitutionnel de la Cour des comptes au service du Parlement pour évaluer et contrôler les politiques publiques.