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Haute fonction publique : le classement de sortie (enfin) supprimé en 2024 ?

Lors du prochain Conseil supérieur de la fonction publique d’Etat du 17 novembre prochain, le Gouvernement présentera un projet de décret actant la suppression du classement de sortie de l’Institut National du Service Public (INSP) pour 2024. Une mise en œuvre d’ici 2 ans qui devrait donner le temps nécessaire aux institutions particulièrement concernées par cette suppression de s’adapter pour tenir compte de cette réforme aussi profonde que structurelle. Une étape décisive vers la mise en place d’une fonction publique véritablement duale (association statut et contrat à parité) ?

La suppression du classement de sortie s’inscrit dans un processus de réforme de la formation des hauts fonctionnaires, entamé dès 2019. Plus précisément, c’est en avril 2019, à l’occasion du « grand débat », lancé pour répondre à la crise des gilets jaunes, qu’Emmanuel Macron avait annoncé sa volonté de supprimer ce qui était encore à l’époque l’Ecole Nationale d’Administration (ENA). Quelques mois plus tard, la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 habilitait dans son article 59 le Gouvernement à réformer l’ENA sur ordonnance. Un rapport sur l’école fut alors commandé : le rapport Thiriez, publié le 30 janvier 2020.

Ce rapport critiquait déjà le classement de sortie pour plusieurs raisons :

  • Le classement ne garantit pas l’adaptation et la motivation des élèves aux besoins des différents secteurs de l’administration.
  • Beaucoup d’écoles, y compris du service public, n’ont plus ou pas de classement.
  • Le classement rend impossible tout enseignement modernisé, les élèves passant plus de temps à subir des épreuves de classement qu’à apprendre.
  • Il est impossible de donner une formation professionnalisante à des élèves qui ne savent pas quels seront leurs métiers à la sortie de l’école.

Le Gouvernement avait alors annoncé dans un communiqué de presse du 14 mars 2020 reprendre plusieurs grands axes du rapport Thiriez, mais la suppression du classement de sortie n’apparaissait pas à l’ordre du jour.[1] Abandonnée durant la crise sanitaire, la réforme de l’ENA fut reprise en 2021 avec deux ordonnances. Une première ordonnance du 3 mars 2021 instaura de nouveaux concours, appelés « concours Talents », pour intégrer les cinq écoles de service public les plus prestigieuses. Puis, une seconde ordonnance, du 2 juin 2021, acta la création de l’INSP, censée remplacer l’ENA dès le 1er janvier 2022. Plus tard, en décembre 2021, fut publié un rapport dirigé par Jean Bassères, censé donner des grands axes de réforme pour l’INSP. A l’instar du rapport Thiriez, le rapport Bassères plaidait lui-aussi pour la disparition du classement de sortie, et préconisait que l'affectation des élèves repose cumulativement sur la prise en compte de leur parcours avant et durant la scolarité, les choix concertés entre les élèves d'une même promotion et « la rencontre avec un employeur dans le cadre d'entretiens de recrutement classiques ». Enfin, un décret du 1er décembre 2021 vint poser la dernière pierre de l’édifice de l’INSP, reprenant beaucoup des termes du rapport Bassères mais ne supprimant pas le classement de sortie pour autant.

Si le classement de sortie n’avait toujours pas disparu en janvier 2022, c’est un sujet qui divisait et revenait souvent sur la table. Encore récemment, dans un rapport du 26 octobre 2022, la député socialiste Cécile Untermaier plaidait pour la suppression du classement.[2] En réalité, le Gouvernement avait lui-même exprimé son souhait de supprimer le classement de sortie, comme l’expliquait Amélie de Montchalin dans un entretien qu’elle donnait au Monde en novembre 2021.[3] Ainsi, le Gouvernement annonça début novembre qu’il préparait un projet de décret actant la suppression du classement de sortie de l’INSP en 2024.

Dans le cadre de la nouvelle procédure, les élèves choisiraient par ordre de préférence un nombre de vœux par poste, et élaboreraient un dossier anonyme visant à présenter leurs compétences. Puis, les administrations et institutions sélectionneraient des dossiers en vue de faire passer des entretiens aux élèves, chaque élève devant bénéficier au total d’au moins trois entretiens.[4]

On peut véritablement se réjouir de la suppression du classement de sortie de l’INSP, tant décrié, et qui paraissait obsolète depuis longtemps. Les remarques du rapport Thiriez sur le concours étaient à cet égard pertinentes. La suppression du concours est d’autant plus judicieuse que, depuis la réforme du 2 juin 2021, la sortie des élèves ne se fait plus directement dans les grands corps tels que le Conseil d’Etat ou les inspections générales.

Mais que change exactement la suppression du classement de sortie pour les élèves ? Une comparaison des différents systèmes se succédant est nécessaire pour comprendre la portée réelle de la réforme envisagée.

Le système d’affectation traditionnel de l’ENA (1945 – 2022) :

  • A l’issue de deux années de scolarité, les élèves sont classés en fonction de leurs résultats aux examens et de leurs évaluations en stage.
  • L’école est informée des différents postes à pourvoir au sein des administrations publiques.
  • Une liste des postes est établie, avec un nombre de postes légèrement supérieur au nombre d’élèves.
  • La promo se réunit lors d’un amphi dit de garnisons.
  • Le major choisit son poste en premier et peut choisir parmi toutes les propositions d’affectations. Vient ensuite le tour du deuxième, et ainsi de suite jusqu’au dernier.
  • Sauf exceptions, traditionnellement, les 15 mieux classés (appelés « la botte ») choisissent le Conseil d’Etat, la Cour des Comptes et l’Inspection générale des finances, qui proposent chacun 5 postes par an.
  • Les administrations ne sont donc pas décisionnaires sur leurs recrutements, le classement prime. Les lauréats du classement de sortie « imposent » leur choix à l’administration qui recrute pour ainsi dire à l’aveugle. 

Le système intermédiaire de l’INSP (2022 – 2024) :

  • Conservation du classement de sortie.
  • Les élèves en formation initiale se voient attribuer 7 notes d'épreuves classantes (5 modules du tronc commun et 2 de e-learning) auxquelles s'ajoutent 3 notes pour la période de stage et l'évaluation par contrôle continu des pratiques sportives.
  • Fin du système de la « botte » : les élèves n’entrent plus directement dans les grands corps avec des postes à haute responsabilité dès la sortie de l’école.
  • S’agissant de la promotion 2022, pour 100 postes à pourvoir :
  • 75 élèves intégraient la nouvelle catégorie des « Corps des administrateurs de l’Etat ».
  • 25 intégraient les « Autres corps », avec la possibilité de devenir auditeur au Conseil d’Etat, à la Cour des comptes, inspecteur des finances, et autres.

La suppression du concours à partir de 2024 :

  • Contrairement au système originel, les administrations choisissent désormais qui elles décident d’engager.
  • A l’issue des deux ans de formation, chaque élève candidate à un minimum de quinze postes ouverts dans les administrations.
  • Les administrations sont ensuite tenues de retenir au moins huit candidats pour des entretiens d’embauche pour chaque poste proposé.
  • Si plusieurs employeurs choisissent les mêmes élèves, on applique le choix des élèves.
  • Il reste toujours des candidats et des postes non pourvus à la fin du processus. Les élèves restants sont alors auditionnés par tous les ministères ayant encore des postes à pourvoir.

En conclusion, la Fondation iFRAP applaudit la suppression du classement de sortie de l’INSP, suppression qu’elle recommandait depuis maintenant de nombreuses années. Pour aller encore plus loin, et parachever ce qui serait une véritable réforme en profondeur de la haute fonction publique, le gouvernement devrait désormais songer à introduire une contractualisation des agents plus poussée et institutionnalisée. En effet, aujourd’hui les hauts fonctionnaires selon le droit commun restent titularisés dans le corps des administrateurs de l’Etat sans aller jusqu’à reconnaître une fonction publique pleinement duale – faisant cohabiter à égalité logique de carrière et logique d’emplois (c’est l’un des angles morts de la loi relative à la transformation de la fonction publique du 6 août 2019).


[1] https://www.gouvernement.fr/communique/11391-remise-du-rapport-de-m-frederic-thiriez-sur-la-reforme-de-la-haute-fonction-publique

[2] https://acteurspublics.fr/articles/un-rapport-parlementaire-pousse-a-la-suppression-du-classement-de-sortie-de-linsp?utm_campaign=NEWS_ACTUS_28_10_2022&utm_medium=email&utm_source=Mailjet

[3] https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/11/29/suppression-de-l-ena-le-but-est-de-sortir-du-classement-des-eleves_6103967_823448.html?random=886654956

[4] https://acteurspublics.fr/articles/le-classement-de-sortie-de-linsp-va-etre-supprime?utm_campaign=2022-11-04_La_Quotidienne%20segment%20actus&utm_medium=email&utm_source=Mailjet