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Faut-il embaucher 10.000 policiers et gendarmes de plus ?

Martine Aubry a récemment proposé de « rétablir les 10.700 policiers et gendarmes perdus », alors qu'un rapport de la Cour des comptes montre que l'on pourrait avoir plus de policiers et gendarmes sur le terrain sans pour autant embaucher plus. En effet en 2009 en moyenne, seulement 5,5% de l'effectif total des policiers était sur la voie publique à un moment donné. Et l'équivalent de 3.800 policiers à temps plein sont encore monopolisés par des activités « d'assistance », comme la garde de bâtiments administratifs ou la présentation de détenus à la Justice.

Une baisse des effectifs accrue ces deux dernières années après une augmentation

Le rapport public thématique de la Cour des comptes sur « l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique » de juillet 2011 fait le point sur l'évolution des effectifs des policiers et gendarmes ces dernières années. Et montre quand la réduction (drastique) des forces de sécurité est intervenue : «  Sous l'effet de la LOPSI de 2002, les services territoriaux de la police nationale chargés de la sécurité publique (DCSP) ont bénéficié au cours de la période 2003-2009 d'un accroissement de leurs effectifs de policiers fonctionnaires de 2,1% [soit 1.037 agents] en métropole à périmètre constant, principalement ciblé sur la région parisienne. Plus de la moitié de cet accroissement a été effacé dès 2010 par la diminution générale des emplois dans la police nationale qui s'est poursuivie en 2011. »

Dans la gendarmerie, la baisse des effectifs a d'abord concerné les fonctions support (la formation par exemple : fermeture de quatre écoles sur huit, plus une neuvième qui assure la formation des officiers à Melun et n'a pas été touchée). Mais depuis 2010 et 2011 la réduction des effectifs touche aussi les unités opérationnelles (escadrons de gendarmerie mobile par exemple).

Le projet socialiste sur la sécurité

Le projet mis en avant par le Parti socialiste promet « 10.000 postes supplémentaires de policiers et Gendarmes », une « police des quartiers » dans les villes, plus de formation continue pour les forces de l'ordre (autant d'heures en moins sur le terrain…), et « la mise en place de dispositifs dédiés comprenant avocats, psychologues et personnels administratifs formés à la saisie des plaintes. » Si la dernière proposition va dans le bon sens : décharger les policiers et gendarmes d'une partie de leurs tâches les plus administratives, on peut légitimement se demander quel sera le coût des autres mesures. Si la vidéosurveillance est évoquée, le parti socialiste ne cache pas en effet que sa préférence va à « la présence humaine qui crée la sécurité ».

Quelques chiffres

Policiers Gendarmes
Total des effectifs rémunérés en 2006 en ETPT 146.561 99.546
Total des effectifs rémunérés en 2010 en ETPT 144.218 96.179
Total estimé en 2011 en ETPT 143.506 96.083
Dont services de sécurité publique (au niveau départemental) 50.928 policiers fonctionnaires (DDSP) au 1er janvier 2011 80.649 (gendarmerie départementale hors gendarmerie mobile) en 2009
Temps de travail effectif en 2007 en moyenne (règle : 1.607 heures annuelles) de 1.435 heures à 1.603 heures 1.796 heures
Coût moyen d'un emploi 38.828 € (hors CAS pension =retraite), 55.756 € (avec CAS pension) 36.093 € (hors CAS pension), 65.259 € (avec CAS pension)
Part du temps de travail effectué hors des locaux 39% 67%
Sources : Rapport de la Cour des comptes sur « l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique », juillet 2011, et Annexes budgétaires au projet de loi de finances pour 2011, la Mission Sécurité, justification au premier euro, PAP 2011

Que font les policiers et les gendarmes ? Des activités très diverses

Le rapport de la Cour nous éclaire aussi sur les activités des policiers et des gendarmes, et surtout du temps qu'ils y consacrent. Contrairement aux idées reçues, le temps passé sur la voie publique est assez faible : en 2009, seuls 5,5% de l'effectif total des policiers étaient occupés à un moment donné par ce type d'activité. Cela ne veut pas dire que les policiers travaillent dans leurs locaux : certains sont à ce moment affecté à des gardes de bâtiments publics (préfectures par exemple). Mais ce taux montre que l'embauche, même massive, de 10.000 policiers et gendarmes n'aura pas forcément pour conséquence une plus grande visibilité sur la voie publique.

PolicePolice généraleActivités administratives et judiciairesPolice de la circulationSoutien logistique (dont activités syndicales)Soutien opérationnelActivités dites d'assistance (garde de bâtiments administratifs, transfèrement de prévenus, etc.)
Part du temps de travail effectif consacré à : 30,70% 26% 3,50% 11% 24% 3,70%
GendarmerieSécurité généraleActivité judiciaireCirculation routièreAutres tâches (accueil du public, soutien opérationnel et logistique, contacts divers, participation à des réunions)
Part du temps de travail effectif consacré à : 32% 34% 12% 23%

Concrètement, les activités dites d'assistance représentent l'équivalent de 3.800 policiers à temps plein. Des policiers occupés à la garde de bâtiments administratifs, d'extractions, d'escortes et de présentations de détenus, mais aussi de police des audiences et de garde de détenus hospitalisés. De faibles améliorations ont pu être observées pour permettre aux policiers de se recentrer sur leur cœur de métier, mais ces réformes sont loin d'être achevées :
- Suite à la LOPSI de 2002, une partie des policiers affectés à des emplois administratifs doivent être réaffectés à des postes opérationnels et remplacés par des agents administratifs (1.000 emplois concernés).
- Dans les préfectures, une trentaine de sites ont été équipés de vidéosurveillance, permettant de redéployer 64 emplois de policiers à temps plein.
- Justice : extension de la visioconférence afin de limiter les transfèrements des détenus (baisse du nombre des transfèrements de 6,9% en 2009). Devrait permettre de redéployer 120 agents. Actuellement le transfèrement mobilise environ 1.200 gendarmes et policiers.
- Justice : la police des audiences (hormis celles présentant des risques particuliers pour l'ordre public) sera assurée par des sociétés privées ou des réservistes de la police et de la gendarmerie. Devrait permettre de redéployer 530 personnels des forces de sécurité.

Le taux de délinquance ne définit pas forcément le nombre de policiers

En 2000 en France, le taux de criminalité [1] était de 64,08‰. En 2009, il était de 56,36‰. En moyenne, en France, il y a un policier pour 409 habitants, et un gendarme pour 485 habitants en 2010 [2]. Mais localement, les disparités sont fortes : le nombre d'habitants pour un policier semble homogène dans les villes de même taille, et ne prend visiblement pas suffisamment en compte le taux de délinquance [3].

Ainsi, le nombre de policiers par habitant est plus élevé dans les petites villes. En effet, compte tenu de la rigidité de la gestion du temps de travail, « l'ouverture d'un commissariat 24 heures sur 24 implique un effectif minimum de 23 agents. ». Dans les villes de 10.000 à 20.000 habitants, on compte ainsi plus d'un policier pour 300 habitants, tout en bénéficiant d'un taux de délinquance relativement bas (50‰ voire moins). C'est le cas de Tulle en Corrèze, un département relativement sûr puisque le taux de criminalité y était de 8,5‰ début 2010.
En revanche, à Marseille, on comptait en 2010 un policier pour 324 habitants alors que le taux de criminalité était de 105,34‰. Lyon comptait de son côté un policier pour 341 habitants en 2010 pour un taux de criminalité de 93,13‰ en 2008.

Les policiers travaillent 200 heures de moins par an que les gendarmes

Le temps de service effectif des policiers et des gendarmes accuse un écart d'environ 200 heures par an. En cause : la rigidité du statut des policiers et de leur système de récupération des heures effectuées ; et d'un autre côté la grande disponibilité des gendarmes qui n'ont pas de quotité d'heures légales à accomplir. C'est le principe de disponibilité permanente qui a pour contrepartie la mise à disposition d'un logement « pour nécessité absolue de service ». Ainsi, au contraire de la police, la gendarmerie dispose d'une « réserve » à laquelle elle peut faire appel lors de pics d'activité : en plus de la « ressources employée » qui représente en moyenne 54% des personnels affectés aux unités, la gendarmerie peut faire appel à la « ressource complémentaire » (gendarmes en astreinte sous délai, par exemple ceux bénéficiant d'une mesure de récupération physiologique) et à la « ressource différée » (militaires qui bénéficient d'un quartier libre, d'un repos, d'une autorisation d'absence ou d'une permission). Même en vacances, un gendarme peut être rappelé au service.

Au contraire, un policier bénéficie d'une base légale de 1.607 heures de travail annuel. Une obligation annuelle qui n'a pas été respectée en 2007, si l'on en croit le rapport de la Cour : 1.435 heures à 1.603 heures effectuées en réalité selon le type d'organisation du temps de travail. Certes, pour faire face à des pics d'activité, les policiers peuvent aussi être rappelés hors de leur temps de travail normalement prévu. Or, selon le régime d'organisation des heures de travail, et aussi l'origine de ces heures supplémentaires, le repos accordé en compensation peut être d'une durée largement supérieure au travail ainsi imposé ! Un système que la synthèse du rapport de la Cour qualifie d' « inflationniste » et dont elle dénonce le coût et la rigidité.

Conclusion

Plutôt que d'embaucher plus de policiers et de gendarmes, il faut s'interroger sur les effectifs qui pourraient être employés plus efficacement. Les vraies questions à se poser : comment faire pour que les 3.800 policiers qui ne sont pas employés à leurs tâches de base soient mieux employés ?

[1] Le taux de criminalité est le rapport entre le nombre de crimes et délits constatés par les services de police et de gendarmerie et la population considérée. (Définition INSEE)

[2] Selon une étude des criminologues Alain Bauer et Christophe Soullez, publiée sur le site web de la Gazette en 2010

[3] La Cour conclut dans son rapport que « la répartition des effectifs entre les départements les plus touchés par la délinquance et les autres, non fondée sur des critères objectifs connus, manque de transparence ».