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Le protectionnisme européen est une sottise

Il est de bon ton à travers l'échiquier politique comme chez certains économistes (peu nombreux) de prôner un protectionnisme européen pour lutter contre les prétendus ravages de la délocalisation en termes d'emploi.

Arnaud Montebourg par exemple, croit pouvoir se saisir ainsi de l'actualité de PSA lorsque le groupe envisage de fermer son usine d'Aulnay : « Je propose un programme de démondialisation, consistant à protéger nos industries automobiles d'un excès de concurrence déloyale, par des quotas d'importations extra-européennes, ou la taxation des automobiles fabriquées à l'autre bout du monde sans ménagement pour les lois sociales et environnementales. La démondialisation, c'est la relocalisation de la production, permettant à chaque ensemble régional de se développer en soutenant son marché intérieur… »

Le protectionnisme européen est une solution bien simpliste et fausse du problème, qui donne au surplus l'illusion de croire que ce problème se pose en termes d'opposition entre l'Europe et le monde extérieur, en particulier les pays « émergents » (on devrait plutôt dire « récemment émergés »), alors qu'il se pose tout autant à l'intérieur d'une Europe où l'unité de vues ne règne nullement. Voyons cela.

1. Au terme de « mondialisation » sont associés les soucis de « compétitivité », « emploi », « protection sociale » ou « environnementale ».

Autrement dit, il y aurait un consensus social de base que partageraient le bloc des nations européennes, qui les placerait dans une situation de compétitivité de facto inférieure à celle des pays qui ne respectent pas le même minimum de règles.

Mais d'abord, à supposer que ce consensus européen existe, pourquoi ne conduit-il pas à des situations de compétitivité comparables chez ceux qui le partagent ? Pourquoi en particulier l'Allemagne, dont les standards sociaux et environnementaux sont au moins égaux à ceux de la France, connaît-elle un succès commercial si remarquable et un taux d'emploi allemand enviable, à la différence de la France notamment ? Et d'autre part, existe-t-il vraiment un consensus européen ? Par exemple, faut-il décréter la retraite universelle à 67 ans à la suite de l'Allemagne ? Ou encore adopter les règles contraignantes de retour à l'emploi de cette même Allemagne, ou la « flexibilité » à la danoise ? Il serait étonnant que plus d'Europe signifie plus de modèle français…

La réponse à ces questions est double, à savoir que le consensus social européen n'est qu'une vue de l'esprit dès que l'on accepte d'y regarder de près, et d'autre part que la compétitivité dépend de bien d'autres facteurs que le coût de la protection sociale dans le cadre d'un consensus au demeurant bien superficiel ou insuffisant. Autrement dit, c'est aussi une vue de l'esprit que de vouloir imputer à la mondialisation, qui touche également toutes les nations européennes, un défaut de compétitivité qui se manifeste au contraire très inégalement chez elles, et c'en est encore une autre de penser qu'un château-fort européen abriterait ses habitants des orages et conflits mondiaux.

2. Le secteur automobile est un mauvais exemple à donner en faveur d'un protectionnisme européen.

Tout d'abord il n'y a rien à protéger « par des quotas d'importations extra-européennes, ou la taxation des automobiles fabriquées à l'autre bout du monde sans ménagement pour les lois sociales et environnementales ». Pour la bonne raison que ce « bout du monde » extra-européen et dépourvu de lois sociales n'importe pas d'automobiles en Europe ! On ne fera évidemment pas l'injure au Japon, ni même à la Corée du Sud, de les faire entrer dans cette catégorie. Sans compter qu'il a bien existé des quotas protectionnistes en France au début de la percée des ventes automobiles japonaises, jusqu'au moment où Toyota a ouvert une usine en France, contribuant ainsi à l'emploi dans notre pays.

Il est exact que Renault, et à un moindre degré PSA, importent en France des modèles de leur gamme ou de leurs marques (par exemple Logan) fabriqués en Europe de l'Est [1]. Mais d'une part il s'agit de pays faisant partie de l'Union Européenne, et un protectionnisme européen n'aurait donc aucun effet. D'autre part, et de façon plus générale, ces importations concernent des modèles du bas de la gamme qui ne pourraient pas être fabriqués et vendus en France à un coût compétitif. A supposer même qu'ils soient fabriqués en dehors d'Europe et que des mesures protectionnistes en empêchent l'importation en France, en quoi est-ce que cela contribuerait à « relocaliser » la production considérée en France ? En rien puisque par hypothèse des Logan fabriquées en France à un coût prohibitif ne s'y vendraient pas. Le seul effet serait de promouvoir la concurrence et d'affaiblir les constructeurs nationaux (les bons résultats globaux de Renault sont dus à leurs fabrications en dehors de France : les ventes du groupe depuis le début de l'année ont plongé de 4,7% en Europe mais augmenté de 21,9% en dehors d'Europe). Quant à l'argument selon lequel un protectionnisme permettrait d'augmenter les salaires dans un marché captif, cela se traduirait par une inflation qui ruinerait le pouvoir d'achat.

3. Les difficultés du secteur textile : la mondialisation a bon dos !

A défaut de justifier l'exemple non topique de l'automobile, il paraît évident d'accuser les pays asiatiques, Chine en tête, de l'invasion des produits textiles bon marché que nous connaissons en France, et de rapprocher cette situation de l'effondrement de notre industrie et de nos emplois du secteur. A y regarder de plus près, les choses sont beaucoup moins simples. Le déclin de l'industrie française du textile date en effet d'une quarantaine d'années, en lien avec le retard considérable pris dans la modernisation de l'équipement (métiers modernes). A l'époque aucune partie de l'Asie ne s'était encore éveillée (le livre d'Alain Peyrefitte date de 1973). C'est donc dans le dernier tiers du siècle dernier que la France a laissé filer sa production et c'est l'Italie qui en a la première profité – et le fait encore malgré les attaques qu'elle subit évidemment.

Depuis, la mondialisation a joué à plein et l'industrie textile était logiquement la plus exposée à la concurrence dans un secteur où le travail représentait traditionnellement la part la plus importante des coûts. Mais la mondialisation a trop bon dos, et la Chine joue trop facilement le rôle de bouc émissaire des déboires d'une industrie qui avait depuis longtemps lâché prise au profit de notre voisin direct du Sud, européen de la première heure comme nous. Soyons lucides !

En résumé, les tenants du protectionnisme européen annoncent préférer les producteurs aux consommateurs (le mot est d'Arnaud Montebourg), voulant dire par là que la priorité doit aller à l'emploi et au pouvoir d'achat en France. Donner la priorité à l'emploi, on ne peut qu'applaudir. Mais les protectionnistes oublient que faute de consommateurs en état de payer, il n'y aura pas de producteurs en état d'écouler leur production. Il n'y a qu'une vérité, celle de faire au mieux dans le cadre de la compétition à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Europe, et de travailler sans relâche pour obtenir la réciprocité commerciale entre pays dans un premier temps, et, à terme, le rapprochement des modèles mondiaux.

[1] Rappelons aussi que la plus importante usine de PSA en dehors de France se situe à Vigo (Espagne) – donc dans l'Europe très proche - et elle a été ouverte en 1958, avant même l'entrée en vigueur du Traité de Rome, en produisant la légendaire 2 CV. Et c'est à Vigo que Citroën vient d'annoncer qu'elle localiserait la production de ses deux futurs modèles encore codés M 3 et M 4, en principe à destination du marché extra-européen. Pourquoi à Vigo ? A la fois pour des raisons d'implantation idéale (près d'un port) et parce que le coût du travail y est inférieur de 25% à celui de la France. Quelles voix s'élèvent-elles pour critiquer Citroën ?