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Le Brexit : quel impact pour les finances de l'Europe et de la France ?

Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a été élu par son parti sur sa capacité à conclure une sortie au 31 octobre prochain, mais les récentes décisions du Parlement semblent le contraindre à reporter la sortie au 31 janvier 2020 si aucun accord ne devait être trouvé avec l'Union européenne. Les points d'achoppement restent les mêmes : la question du backstop irlandais et la liberté pour le Royaume-Uni de passer des accords commerciaux. Même si le Royaume-Uni quittait l'Union européenne sans accord, les discussions entre Londres et Bruxelles se prolongeraient pendant des années. Et l'un des premiers sujets à régler serait la facture du Brexit.

 

Le règlement financier négocié par le groupe de travail (Task Force) de la Commission européenne

Se mettre d'accord sur les engagements que devrait honorer le Royaume-Uni fut l'une des tâches confiées à Michel Barnier. Selon le négociateur en chef pour l'Union européenne, les deux camps se sont accordés sur une méthodologie plus que sur un montant. Cette méthode permettrait de constater au sens comptable l'état des engagements britanniques.

Le montant de 40 à 45 milliards d'euros avait été évoqué en 2018 par Downing Street, soit le double de ce qu'avait envisagé Theresa May en 2017. Toutefois, le report de l’échéance du Brexit au 31 octobre 2019 a mécaniquement réduit cette facture, principalement constituée par les dépenses restant à payer en 2019, 2020 et au-delà sur le budget pluriannuel (dit « cadre financier pluriannuel ») de l’UE pour 2014-2020 : puisque le Royaume-Uni continue de payer normalement sa contribution au budget pendant les dix premiers mois de 2019, la dette à régler après son départ pour honorer les engagements du budget 2014-2020 est diminuée d’autant.

En mars 2018, l’Office for Budget Responsibility (OBR)[1] avait ainsi chiffré à 41,4 milliards d’euros le montant net des engagements britanniques restant à payer à l’UE après le Brexit[2]. Cette somme se décomposait en trois fractions :

  • 18,5 Md€ au titre de l’exécution du budget pluriannuel 2014-2020 en 2019-2020 ;
  • 20,2 Md€ qui resteraient à payer sur ce même budget pluriannuel après 2020 ;
  • 2,7 Md€ pour les autres engagements, somme algébrique d’environ 10 Md€ de dette au titre des engagements de retraite des fonctionnaires européens et d’environ 7 Md€ de créances nettes à d’autres titres (amendes recouvrées par l’UE, opérations de la Banque européenne d’investissement et d’autres institutions financières européennes).

Selon la plus récente estimation de ce même organisme[3], la facture britannique post-Brexit ne serait plus que de 36 milliards d’euros environ au 31 octobre 2019. Voir les recommandations de la task-force sur la sortie du Royaume-Uni à propos du règlement financier (anglais) https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/essential-principles-financial_settlement_en_2.pdf

Une facture remise en cause ?

Boris Johnson, comme candidat à la succession de Theresa May, avait pris l’engagement pendant sa campagne de tout faire en sorte pour que le Royaume-Uni quitte l'UE le 31 octobre. Il avait même ajouté, en juin dernier, qu'il refuserait de payer la facture du Brexit jusqu'à ce que l'Union européenne accepte de meilleures conditions. Une position radicale qui a fait dire à Emmanuel Macron : « Ne pas honorer ses obligations de paiement, c'est un non-respect d'un engagement international équivalent à un défaut sur sa dette souveraine, avec les conséquences que l'on connaît ». "Je n’imagine pas que les Britanniques ne respectent pas leurs engagements internationaux", avait déclaré pour sa part Michel Barnier.

Ces déclarations ne sont guère convaincantes : selon les trois principales agences mondiales de notation financière, le refus par le Royaume-Uni d’honorer la facture du Brexit ne serait pas assimilable à un défaut souverain ; et les moyens juridiques de contraindre Londres à payer cette dette apparaissent assez limités.

Dans le contexte actuel, il faut donc examiner les conséquences financières d'une sortie sans accord à partir de 2020 en n’écartant pas l’hypothèse que le Royaume-Uni refuse de payer le solde de ses engagements.

1) Sachant que le Royaume-Uni est l’un des principaux contributeurs nets au budget de l’Union européenne, son retrait entraînerait tout d’abord un manque à gagner permanent. Ce « trou du Brexit » (Brexit gap) est évalué à une dizaine de milliards d’euros par an par les think tanks pro-européens[4], voire plus.

Selon la Fondation iFRAP, l’impact global pour les 27 pays restant dans l’Union se calcule comme suit pour l’année 2020[5] :

Explicitation du chiffrage

(A) Dépenses pour le Royaume-Uni qui disparaîtront avec le Brexit :

Dépenses prévisionnelles du budget UE devant aller au Royaume-Uni (8,5 Md€) + estimation de la part « Royaume-Uni » des dépenses UE non imputables à un État membre précis (0,5 Md€) = 9 Md€ 

(B) Contributions du Royaume-Uni qui disparaîtront avec le Brexit :

Contribution prévisionnelle du Royaume-Uni au titre du revenu national brut (RNB) et de la TVA (15,8 Md€) + droits de douane prévisionnels perçus au Royaume-Uni et devant aller au budget UE (3,2 Md€) + estimation de la part « Royaume-Uni » des recettes UE non imputables à un État membre précis (1,3 Md€) = 20,3 Md€. 

(C) Estimation des droits de douane communautaires qui, après le Brexit, seront versés au budget UE (à raison de 80% du total) ou retenus par les 27 États membres (à raison de 20%) sur les importations en provenance du Royaume-Uni (en faisant l’hypothèse d’une réduction de 20% de la demande d’importation) : 2,3 Md€.

(A) – (B) + (C)= Impact budgétaire global, pour les 27 États restants, du Brexit sans accord : moins 9 milliards d’euros.

Encore faut-il souligner que cette évaluation correspond à la situation de rupture maximale. Si un accord était trouvé, des contributions britanniques pourraient continuer à alimenter le budget européen en échange des avantages accordés, comme c’est le cas aujourd’hui pour des pays extérieurs à l’Union tels que la Norvège ou la Suisse.

Selon les calculs d’un autre think tank, le Center for European Policy Studies (CEPS), faits pour l’année 2014, un Royaume-Uni bénéficiant du même statut que celui de la Norvège dans ses relations avec l’Union verserait une contribution de l’ordre de 3,5 milliards d’euros par an[6] : le trou du Brexit pour le budget de l’Union serait réduit d’autant et resterait un enjeu limité tant en comparaison du budget de l’Union hors Royaume-Uni (environ 6% de ce budget en 2019) que par rapport au PIB des 27 pays restants (moins de 0,7 pour mille de ce PIB en 2018).

Pour la France, l’impact maximal pourrait être de l’ordre de 18% du trou à combler[7], soit 1,6 milliard d’euros par an. Ce chiffre ne représente qu’environ 15% du coût financier des mesures annoncées en décembre 2018 sous la pression du mouvement des gilets jaunes et moins de 10% du trou budgétaire lié à la suppression de la taxe d’habitation, annoncée, d’abord, pour 80% puis, maintenant, 100% des contribuables.

2) À ce manque à gagner permanent pourrait s’ajouter un autre « trou », temporaire celui-là, dans le cas, moins probable mais qui ne peut être exclu, où le Royaume-Uni ne règlerait pas la facture du Brexit. Cette facture est chiffrée aujourd’hui par l’office britannique d’évaluation à environ 36 milliards d’euros, somme constituée pour plus de 90% par des restes à payer sur le budget pluriannuel 2014-2020.

L’impact de cette facture impayée sur les finances de l’Union européenne et des 27 États membres restants demeure cependant incertain car une partie des opérations financièrement engagées sur le budget pluriannuel 2014-2020 pourra vraisemblablement être annulée si ces opérations n’ont reçu aucun commencement d’exécution. Des annulations partielles d’opérations commencées pourront aussi intervenir. Le trou potentiel de 36 Md€ serait réduit à due concurrence.

Même maintenue à 36 Md€, cette somme n’aurait pas un impact financier immédiat mais celui-ci serait étalé dans le temps. Pour la part représentée par le solde de la programmation 2014-2020, que nous évaluons au maximum à un peu plus de 33 Md€, l’office britannique anticipe un étalement sur 2020-2028, avec une assez forte concentration sur les quatre premières années. Pour le reste de la dette nette impayée, incluant notamment les engagements de retraites, l’étalement serait beaucoup plus long, avec un impact annuel non significatif sur les finances des pays membres.

Pour la France, en retenant comme précédemment une part de financement de 18%, l’impact maximal de ce trou temporaire dans le budget européen pourrait être de l’ordre de 2,5 Md€ en 2020, 1,4 Md€ en 2021, 1 Md€ en 2022 et 0,6 Md€ en 2023, non significatif ensuite.


[1] Entité publique indépendante, créée en 2010, qui joue le rôle d’une agence de prévision économique et d’évaluation des finances publiques.

[2] OBR, Economic and Fiscal Outlook, mars 2018, p. 225.

[3] OBR, Fiscal Risks Report (juillet 2019), p. 166.

[4] Institut Jacques Delors (étude de janvier 2017) : « le déficit entraîné par le Brexit dans le budget s’élèverait à environ 10 milliards d’euros par an » ; Fondation Robert Schuman, Question d’Europe n° 454 (décembre 2017) : « une perte [nette] de recettes totale de l’ordre de 10 milliards € ».

[5] Nous suivons la méthodologie proposée dans une note du 14 janvier 2019 publiée sur le site du think tank européen Bruegel (Zsolt Darvas, « EU budget implications of a no-deal Brexit »).

[6] CEPS Policy Brief, n° 347, septembre 2016, Jorge Núñez Ferrer et David Rinaldi, « The Impact of Brexit on the EU Budget : A non-catastrophic event », p. 4.

[7] 18% = part de la France, en 2018, dans la contribution totale des États membres (hors Royaume-Uni) au budget de l’Union, assise sur le RNB de chaque pays.