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La culture fiscale grecque à l'épreuve de la crise

Jusqu'à présent, la situation de la Grèce a nécessité une assistance massive de la communauté internationale, que l'on estime à ce jour à 350 milliards d'euros, dont plus de 100 milliards « cédés » par les créanciers privés.

La situation du pays ne cesse pourtant de se dégrader : prévision de croissance négative pour la 4e année consécutive (-4 ,7% en 2012 d'après le FMI) ; augmentation constante du chômage (21,7% en février 2012) ; destruction continue du tissu industriel ; et une situation sociale explosive. Alors que, selon Eurostat, elle s'élevait à 113% du PIB en 2008, la dette publique grecque atteignait 165,3% du PIB fin 2011. La tendance est la même pour le déficit budgétaire qui a atteint 9.1% en 2011 (ELSTAT 2012) : quasiment une dépense sur dix n'est pas financée.

Les bailleurs de fonds l'affirment : les réformes préconisées n'ont pas rempli leurs objectifs. Face à cette situation, la troïka CE-BCE-FMI vise non plus seulement à assainir la politique budgétaire mais également à affermir la fiabilité de l'administration d'État, pour restaurer la confiance qu'ont perdue les bailleurs de fonds. Dans ce contexte, le « gouvernement bis » instauré par l'UE en juillet 2011 dans le but d'assurer un contrôle permanent des réformes est la cheville ouvrière d'une restructuration administrative sans précédent.

Le rétablissement des finances grecques n'aura lieu que si tous les acteurs jouent le jeu : les phénomènes d'évasion et de fraude fiscale doivent être éradiqués. Sans cela, les efforts de consolidation budgétaire - pourtant indispensables - n'auront eu ni sens, ni utilité.

Le régime des exonérations fiscales : les cas de l'Église orthodoxe et des armateurs

Combattues par la troïka, l'insécurité juridique et l'illisibilité fiscale sont un frein à l'investissement. Entre la non-application de lois adoptées et les dérogations accordées, ce sont des sentiments d'injustice sociale et d'incompréhension qui prédominent.

L'Église orthodoxe de Grèce, rattachée à l'État, a toujours bénéficié d'un régime fiscal très favorable. Deuxième propriétaire terrien avec 130.000 hectares de biens, on estime son patrimoine dans une fourchette allant de 700 millions à 2,5 milliards d'euros, pour un bénéfice d'activité de 7 millions d'euros en 2008 et 12 millions d'euros en 2009. Après avoir versé 2,5 millions d'euros au fisc grec dans des conditions inconnues pour l'année 2010, l'État insistait sur le fait que les membres de l'Église, en tant que fonctionnaires, avaient également subi une baisse de leur salaire et participaient ainsi à l'effort national. Mais en l'absence d'aucune tenue précise des comptes, ni de cadastre, il est impossible d'évaluer précisément le patrimoine de l'Église ; d'où un mécontentement général quand l'Église déclare avoir payé un impôt de 12,5 millions d'euros en 2011, sans que l'on puisse expliquer précisément ce montant.

Les armateurs représentent près de 7% du PIB du pays, devant le tourisme. Protégés par l'article 107 de la Constitution, ils ne paient aucun impôt. Ce statut particulier leur avait été accordé du fait de l'importance qu'ils jouaient dans l'économie : ils investissent dans le pays par l'emploi de personnels, et par des emprunts massifs auprès des banques. Première flotte marchande mondiale avec 3.000 navires et 15% du tonnage de la planète, l'activité emploie entre 150.000 et 200.000 personnes en Grèce . Par-dessus tout, ce sont les menaces de délocalisation qui poussent les décideurs au statu quo, dans un pays où le chômage ne cesse d'augmenter. Cependant, les armateurs ne déclarent qu'1/5ème des salaires de leurs employés, le reste échappant donc à toute cotisation.

L'inertie de l'administration grecque entretient la fraude fiscale

Selon les analystes, entre 13 et 20 milliards d'euros échappent chaque année au fisc, ce qui représente 10% à 15% du 2è programme d'assistance. À ces sommes s'ajoutent les arriérés d'impôts, évalués à 60 milliards d'euros (TFGR 2011), soit presque le quart du PIB grec en 2011 – sans compter les sommes non déclarées placées dans les pays étrangers.

Même si une part du phénomène est due à la pression socio-économique causée par la politique d'austérité, de nombreux analystes évoquent une culture grecque de la fraude fiscale. Les poursuites concernent aujourd'hui surtout les professions libérales (avocats, médecins et pharmaciens), le BTP et le secteur de la santé, reconnus pour leur contribution majeure à l'économie informelle grecque qui représente près de 30% du PIB du pays.

Par ailleurs, la fraude fiscale est entretenue par la corruption régnant au sein de l'administration, comme l'ont confirmé un rapport de Transparency International et d'anciens membres du ministère des finances grec. Un plan « anti-corruption » ciblant l'administration fiscale a été mis en place par la troïka qui souhaite également y voir disparaître toute ingérence politique. Des mesures concrètes ont été établies dans ce contexte : affichage public des noms des fraudeurs fiscaux, suspension d'agents en cause, envoi par les pays de l'eurozone de fiscalistes pour former aux bonnes pratiques et aider au recouvrement, travail concerté avec le service anti-fraude (SDOE), renforcement et accélération des procédures judiciaires pour fraude fiscale.

Ces mesures vont dans le bon sens. Selon le dernier rapport de la task force en Grèce : "l'objectif était de collecter 400 millions d'arriérés d'impôts, et il a été largement dépassé avec 946 millions d'euros". La régularisation fiscale semble sur la bonne voie.

L'évasion fiscale : des centaines de milliards d'euros cachés hors de Grèce

Entre 2009 et 2011, entre 65 et 75 milliards d'euros ont été retirés des banques grecques par leurs usagers, ce qui correspondait à environ 30% des dépôts à l'époque. Le ministre des finances, Mr Venizélos, déclarait alors que sur cette somme, 16 milliards d'euros avaient été transférés à l'étranger, dont le tiers au Royaume-Uni et 10% en Suisse.

Selon différentes sources, il y aurait actuellement entre 165 et 280 milliards d'euros de fonds grecs dans les coffres suisses, et il s'avère que seul 1% de ces sommes serait déclaré, le reste échappant à tout contrôle.

Le recouvrement de ces sommes incombe à l'administration fiscale qui ne peut le faire que par l'intermédiaire d'accords internationaux. Sous la pression du G20 et de la troïka, la Grèce a signé la convention concernant l'assistance administrative en matière fiscale, avec 33 pays. Destinée à faciliter le recouvrement des dettes fiscales des contribuables des États signataires de la convention, celle-ci permet une coopération allant de l'échange de renseignements au recouvrement des créances fiscales étrangères. Si le Royaume-Uni l'a signée, la Suisse a refusé de le faire, privilégiant les accords bilatéraux directs. Attaché au respect du secret bancaire, le gouvernement helvète refuse de renseigner l'identité des fraudeurs.

Quelles perspectives ?

Le programme des réformes ne sera pas concluant tant que la troïka ne pourra pas s'appuyer sur une administration saine, indépendante et transparente, et que tous les citoyens grecs ne paieront pas volontairement leurs impôts. Si le 2è plan d'aide de février 2012 s'élève à 130 milliards d'euros et représente 60% du PIB grec, il est à noter que le recouvrement des sommes dues rapporterait plusieurs dizaines de milliards d'euros aux caisses de l'Etat. Même si l'on voit de timides avancées dans ce domaine, beaucoup reste à faire. Au-delà du simple apport de liquidités, la restructuration de l'administration et la régularisation de la dette fiscale grecque briseraient le cercle vicieux de l'impunité tant au niveau des structures que des citoyens, et rétabliraient un sentiment de justice sociale et d'acceptation des réformes. Il n'est pas concevable que l'aide internationale subvienne aux besoins d'un pays que les décisions néfastes ont mené à une telle situation. La responsabilisation des structures administratives et du pouvoir exécutif est l'une des clefs du redressement.

Mais la situation sur place est extrêmement précaire. Alors que la BCE avait interrompu la fourniture de liquidités à certaines banques grecques en raison de leur sous-capitalisation et que le FMI avait déclaré suspendre tout contact avec le pays jusqu'aux élections du 17 juin, le 28 mai, 18 milliards d'euros ont été versés à quatre banques grecques dans le cadre du plan d'assistance. Un point semble acquis : si les Grecs continuent à retirer massivement leurs dépôts - 1,5 milliard d'euros retirés les 14 et 15 mai - ces sommes risquent une fois de plus d'échapper au circuit formel.

Les priorités

-1) La garantie d'une justice indépendante. Le pouvoir judiciaire est la clef de l'éradication de la corruption. A ce titre, il doit jouir d'une totale indépendance, afin de juger tous les cas de fraude, quels qu'ils soient. La récente mise en examen d'un ex-ministre du PASOK pour blanchiment et la suspension d'une centaine d'agents du fisc grec témoignent de l'importance du phénomène qui affecte la classe politique tout comme l'administration fiscale. Il faut en parallèle renforcer le contingent d'agents étrangers rattachés à l'administration fiscale grecque, et accentuer le contrôle du « gouvernement bis » à cet égard.

-2) La suppression des exonérations et statuts fiscaux d'exception. Si des régimes spéciaux étaient mis en place, ils devraient l'être de manière lisible, dans le cadre de politiques publiques préétablies. L'explication claire des réformes permettra de les légitimer aux yeux des citoyens, et en conséquence, de susciter leur adhésion.

-3) Une législation limitant les retraits bancaires. Les retraits des dépôts grecs doivent être limités, sachant que les retraits massifs du mois de mai ont eu comme conséquence la recapitalisation en urgence de certaines banques par les bailleurs de fonds. Il n'appartient pas à la TROÏKA de supporter le coût de la défiance grecque, mais bien aux Grecs de manifester leur confiance dans le rétablissement de leur économie.

-4) Stopper l'évasion fiscale. La Convention concernant l'assistance administrative en matière fiscale signée par la Grèce le 21 février 2012 doit être ratifiée et appliquée au plus tôt. De plus, la négociation d'une convention « RUBIK » avec la Suisse doit aboutir rapidement. Pour l'heure, aucun calendrier n'a été arrêté par le gouvernement.