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Europe 2021-2027 vers 2000 milliards de dépenses?

Le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, soit le budget de l’Union pour les sept ans à venir, lié au plan de relance, devra être adopté avant août pour être effectif début 2021. La Commission a proposé de fixer son montant à 1 100 milliards d’euros, soit 35 milliards de moins que ce qui avait été proposé initialement en 2018. Cette “baisse” est à relativiser, puisqu’en réalité largement compensée par le “Next Generation EU” (fonds dédié voir infra). En additionnant les montants qui devront être déboursés, nous atteignons plus de 2.000 milliards d’euros, une pillule qui ne passe pas auprès des pays “frugaux” sur fond de Brexit.

 

 

Qu’est ce que le cadre financier pluriannuel ?

Le Cadre Financier Pluriannuel (CFP) est le budget à long terme de l’Union européenne, établi pour une durée de sept ans (Article 312 TFUE). Il vient compléter les objectifs fixés pour une Union future, puisqu’il permettra de mettre en place les mesures économiques, sociales et environnementales adoptées. Les budgets annuels doivent obligatoirement respecter les limites fixées par le cadre, afin d’assurer la discipline  budgétaire de l’UE. Le CFP fixe donc des plafonds pour chaque catégorie de dépense de l’Union, appelées “rubriques” (Cohésion et valeurs /Marché unique, innovation et  numérique/ Ressources naturelles et environnement …). Il définit de plus les ressources propres (recettes) de l’Union et est d’autant plus stratégique qu’il prévoit la mise en place d’instruments spéciaux déployés en cas de crise, comme la réserve d’aide d’urgence ou le fonds de solidarité.

Le CFP est proposé par la Commission européenne puis discuté et validé conjointement par le Parlement et le Conseil, ce dernier devant l’adopter à l’unanimité. Le CFP 2014-2020 touchant à sa fin, celui de 2021-2027 aurait dû être fixé début 2020. La Commission a en effet dévoilé une première proposition en mai 2018. Or, les 27 chefs d’Etats n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur le montant lors du Conseil européen du 20 et 21 février. L’épidémie du coronavirus et la crise subséquente n’ont fait que retarder les discussions et l’adoption du Cadre.

Une proposition de budget pour le moment non consensuelle

Le Cadre financier pluriannuel sera décisif pour le futur de l’Union européenne. Cependant les 27 dirigeants, aux intérêts différents, s’affrontent âprement sur le montant global du CFP, certains préconisant d’augmenter les contributions, d’autres de moderniser le budget en taillant dans les politiques traditionnelles.

La Commission européenne, lors de son annonce du plan de relance à 750 milliards d’euros, a annoncé vouloir fixer le montant du Cadre à 1 100 milliards, soit un peu plus de 1,1% du RNB de l’UE. Les pays nordiques, menés par les Pays-Bas et l’Autriche, plaident pour un budget encore plus réduit, notamment pour compenser la perte du Royaume-Uni. Rappelons que l’Union a perdu début 2020 un de ses principaux contributeurs nets, soit environ 12 milliards d’euros par an. Elle ne peut a priori pas se permettre d’augmenter le budget à tout va, sans mécanismes de contrôle. Le trou du Brexit n'est pas adressé par le Parlement européen, qui entend bien avoir les fonds nécessaires pour mettre en place les futures mesures de relance et milite pour un budget à 1,3% du RNB. Il est sans surprises rejoint par les PIGSPortugal, Italie, Grèce, Espagne, les pays du groupe de VisegradHongrie, Pologne, République Tchèque et Slovaquie et les pays baltes, principaux bénéficiaires  nets du budget. La France et l’Allemagne ont également leur mot à dire, puisqu’ils sont aujourd’hui les deux principaux contributeurs, à hauteur de 21% et 17%.

Voici la proposition du budget révisé par la Commission en mai 2020 :

 

Montant 2021-2027 (en milliards d'euros)

1 -Marché unique, innovation et numérique

140,656

1-1 Recherche et Innovation

87,659

1-2 Investissements stratégiques européens

30,8

1-3 Marché unique

5,832

1-4 Espace

13,437

Marge

2,928

2- Cohésion et valeurs

374,46

2-5 Développement et cohésion à l'échelle régionale

237,745

2-6 Reprise et résilience

18,247

2-7 Investissement dans le capital humain,

la cohésion sociale et les fonds social européen +

116,367

Marge

2,1

3- Ressources naturelles et environnement

 

357,032

3-8 Politique agricole et maritime

340,182

3-9 Environnement et action pour le climat

15,338

Marge

1,512

4-Migration et gestion des frontières

 

31,122

4-10 Migration

12,084

4-11 Gestion des frontières

17,675

Marge

1,363

5-Résilience, Sécurité et Défense

19,423

5-12 Sécurité

4,58

5-13 Défense

9,5

5-14 Résilience et Réaction aux crises

4,334

Marge

1,01

6- Voisinage et le monde

102,705

6-15 Action extérieure

89,172

6-16 Aide de préadhésion

12,865

Marge

0,668

7- Administration publique européenne

74,602

 

TOTAL

1 100

dont Politique Agricole Commune

333,264

 dont Cohésion (Feder, FC, FSE React EU)

323,181

Source : Commission européenne.

Un budget en augmentation

Force est de constater que le budget 2021-2027 est en augmentation comparé à celui de 2014-2020, et ce malgré le départ du Royaume-Uni. Les rubriques “Voisinage et monde” et “Administration” ont été particulièrement renforcées, notamment le volet aide à l’adhésion, qui semble plus que superflu en ces temps de crise. En effet, la perspective d’un  élargissement à l’Albanie, la République du Nord-Macédoine, la Serbie et au Monténégro doit être remise en question, l’Union européenne ne pouvant pas se permettre de prendre sous son aile des pays relativement pauvres et en construction démocratique.

Cadre Financier Pluriannuel 2014-2020 (en milliards d’€) :

Croissance intelligente et inclusive

513,6

Croissance durable : ressources naturelles

420

Sécurité et citoyenneté

17,7

L'Europe dans le monde

66,3

Administration

69,2

TOTAL

1087,2

- En % du RNB

1,02%

En outre, lors de sa proposition en mai 2020, la Commission européenne a expliqué avoir revu le CFP à la baisse, par rapport à sa proposition initiale datant de 2018. Elle a en effet réduit de 35 milliards le Cadre et particulièrement la rubrique “Cohésion et valeurs”. Il ne faut cependant pas voir dans cette diminution une volonté de rigueur budgétaire. La rubrique sera en réalité alimentée à hauteur de 610 milliards d’euros par le plan de relance “Next Generation EU” (ventilation à retrouver plus bas). Ursula von der Leyen en a donc profité pour consolider certains des programmes et mécanismes existant, plutôt que de  réaliser de véritables économies, plus que nécessaires face à la crise :

  • Augmentation   du   budget  du  programme  pour  une  Europe  numérique (budget total de 8,2 mds) ;
  • Augmentation de l’aide de préadhésion (budget total de 12,9 mds) ;
  • Augmentation du Fonds pour la sécurité intérieure et du Fonds européen  de la défense (total de 22 mds) ;
  • Augmentation du Fonds Asile et migration et du Fonds pour la gestion intégrée des frontières (total de 2,2 mds et 8 mds) ;
  • Enveloppe de 1,5 milliards d’euros supplémentaires pour le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe ;
  • Enveloppe de 3,4 milliards d’euros supplémentaires pour le Programme Erasmus + ;
  • Enveloppe de 4 milliards d’euros supplémentaires pour la Politique Agricole Commune ;
  • Enveloppe de 500 millions d’euros supplémentaires pour le Fonds européen pour les Affaires maritimes et la pêche.

Les détails de la proposition de la Commission

Les divisions ne s’arrêtent pas au Cadre Financier Pluriannuel 2020-2024 mais concernent également la plan de relance colossal “Next Generation EU”. Ce dernier a pour  but d’affronter la crise économique, le vieux continent étant le plus durement touché par la récession. En soutenant l’investissement privé, les entreprises et la santé, il permettra aux Etats membres d’éviter le pire. Le Next Generation EU étant adossé au Cadre Financier pluriannuel, ce dernier pourra venir compléter les montants décidés lors de son adoption finale. Ci-dessous l’allocation des crédits, divisés en trois piliers :

Pilier 1 : Soutenir les Etats membres en matière d’investissement et de réformes (en milliards d’€.

 

Next Generation EU

Next Generation EU + potentiel

financement du CFP

Facilité européenne pour la reprise et la résilience

560

560

- dont subventions

310

310

- dont prêts

250

250

REACT EU

50

55

Développement rural

15

90

Fonds de transition juste

30

40

TOTAL pilier I

405 mds subventions

250 mds prêts

 

Pilier 2 : Relancer l’économie de l’Union en attirant des investissements privés ((en milliards d’€).

 

 

Next Generation EU

Next Generation EU + potentiel

financement du CFP)

Instrument de soutien à la solvabilité

26

31

Invest EU

15,3

16,6

Facilité d'investissement stratégique

15

15

TOTAL pilier II

56,3

 

Pilier 3 : Tirer les enseignements de la crise (en milliards d’€).

 

Next Generation EU

Next Generation EU + potentiel

financement du CFP

Nouveau Programme pour la santé

7,7

9,4

rescEU

2

3,1

Horizon Europe

13,5

94,4

Instrument de voisinage,

de coopération au développement et de coopération

10,5

86

Aide humanitaire

5

14,8

TOTAL pilier II

38,7

 

Source : Commission européenne (mai 2020) retraitement iFRAP (https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/factsheet_2_en.pdf)

Les principaux mécanismes expliqués

La Facilité pour la reprise et la résilience (qui prendra la forme de subventions et prêts) soutiendra les investissements et réformes visant à rendre les économies de l’UE plus résilientes et ainsi favorisera une croissance durable. La facilité sera ancrée dans le semestre européen.

Le React-EU soutiendra les Etats membres et régions les plus touchées par la crise. Les programmes de cohésion existant bénéficieront d’un soutien supplémentaire pour réparer les dommages de la crise. Les ressources restantes seront allouées en fonction de la gravité des conséquences économiques et sociales.

Le Invest EU et la Facilité d’investissement stratégique mobiliseront des investissements pour soutenir la reprise et la croissance à long terme. Cela permettra de soutenir les entreprises dans une période charnière. La facilité d’investissement stratégique viendra particulièrement encourager la mise en place de chaînes de valeur résilientes et les projets transnationaux.

L’Instrument de soutien à la solvabilité mobilisera des investissements privés pour soutenir les entreprises viables affectées par la crise. Les entreprises étant essentiellement aidées par les Etats membres, souvent via des prêts, elles ont besoin d’un soutien accru.

Le nouveau programme pour la santé est un programme autonome visant à construire des capacités de traitement ainsi que des stocks d’équipements et de médicaments. Il cherchera à créer un cadre sanitaire permettant d’éviter de nouvelles crises.

Le mécanisme de protection civile de l’Union européenne (Resc EU) permettra aux Etats membres de mieux réagir en cas de crise, notamment en dotant l’UE d’infrastructures et de capacités logistiques.

De nombreuses interrogations concernant la répartition des prêts et dons

La taille du mécanisme, la répartition des prêts et des dons, la clé de distribution des financements futurs et la contrepartie exigée révèlent les incohérences du plan.

Dans le plan prévu par la Commission, les allocations sont réparties en fonction d'une clé de répartition représentant de la capacité du pays à rebondir économiquement, prenant en compte la taille de la population, le PIB par habitant et taux de chômage (entre 2015 et 2019). Ce système ne reflète pas toujours l’impact réel du coronavirus. L’Italie et l’Espagne seraient avantagées au profit des pays du Visegrad, ce qui est légitime compte tenu des pertes que l’épidémie leur a causé. C'est pourquoi une nouvelle proposition du Président du Conseil européen a été formulée avec un budget ordinaire pluriannuel fixé entre 1.050 et 1.095 milliards d'euros sur 7 ans mais avec une clé de répartition différente du plan de relance attribuant 30% des fonds en fonction de la baisse de PIB occasionnée en 2020 et 2021. Cependant, la Pologne et la Grèce bénéficieraient également d’une grande partie des dons, en raison de leurs faiblesses structurelles et de leur vulnérabilité. Pourtant, elles ont très peu souffert du Coronavirus, en comparaison avec les Pays-Bas ou la Belgique (qui au passage ne fait même pas partie des 15 principaux bénéficiaires, voir graphiques). Par exemple, la Pologne serait la principale destinataire du Fonds de transition juste, alors même qu’il est prévu par la Commission qu’elle soit l’Etat membre souffrant de la récession la plus faible. Tout cela illustre bien le problème intrinsèque du plan, qu’il faudra impérativement corriger.

Graphique 1 : Répartition des subventions prévues par la Facilité européenne pour la reprise et la résilience, pour les 15 principaux pays bénéficiaires.

Graphique 2 : Répartition du Fonds de transition juste pour les 15 principaux pays bénéficiaires.

L’opposition marquée des pays du Nord sur la forme que prendrait le plan de relance

La France et l’Allemagne font partie des rares pays favorables au “Next Generation EU”, puisqu’il fait suite à la proposition franco-allemande du 18 mai. Le ministre des finances Olaf Scholz a cependant exprimé son souhait que le plan, prévu pour 2020-2024, ne s’étende que jusqu’en 2022, puisque selon lui la croissance européenne aura repris d’ici là. A noter que l’Allemagne assure la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne depuis le 1er juillet, assurant qu’elle ferait de l’accord sur le CFP et du plan de relance sa priorité.

Les Pays-Bas, la Suède, au Danemark et  l’Autriche sont fermement opposés aux subventions, et préférent un système de prêts. Les pays nordiques soutiennent la mise en place d’un plan, jugé nécessaire pour sauver l’économie européenne, mais s’opposent aux aides qu’ils jugent trop coûteuses. Le remboursement tardif du plan, qui n’aura lieu qu’à partir de 2028, leur pose également problème. Le ministre des finances autrichien Gernot Blümel a ainsi affirmé que la proposition de la Commission n’était pas acceptable sous sa forme actuelle, notamment parce que la contribution de l’Autriche augmenterait de manière trop conséquente. Le ministre des Affaires étrangères néerlandais Stef Blok a quant à lui souligné que les Pays-Bas  s’opposaient au montant du budget et à son financement, insistant sur le fait qu’un accord serait difficile de trouver un accord pour juillet. Il souhaite que les aides s’acompagnent de réformes structurelles et de conditions à respecter, point de vue partagé par l’ensemble des Etats vertueux. Les Pays-Bas veulent également conserver leur rabais et ne pas voir leurs contributions augmenter, alors que la France voudrait y mettre fin suite au départ du Royaume-Uni. A noter que tous les pays nordiques ne sont pas aussi virulents, le Danemark présentant des signes d’ouverture. La France et l’Allemagne ont déjà commencé leur campagne, alternant visites officielles et déclarations. Le tandem serait notamment prêt à céder sur la conditionnalité des aides, raisonnable et à conserver les rabais historiques de certains pays nordiques.

Une nouvelle fracture: les réticences des pays de l’Est concernant les allocations

Finalement, les divergences ne sont pas propres aux pays “frugaux”, puisque certains pays du groupe de Visegrad sont opposés au plan de relance, ce qui illustre les divergences profondes de l’Union à 27. Les discussions - virtuelles ou non - ont en effet révélé une nouvelle fracture, cette fois entre le Sud et l’Est de l’Europe. Les chefs d’Etat de la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque et la Slovaquie se sont rencontrés dès le 11 juin pour discuter du “Next Generation EU”. Ils ont estimé que ce dernier n’était pas assez équitable et qu’il désaventageait les pays du Visegrad. Le ministre des finances hongrois Mihaly Varga a ainsi déclaré qu’il était taillé sur mesure pour les pays du Sud, “peu responsables sur le plan de la discipline budgétaire” et qu’il était nécessaire de le restructurer. Le groupe de Visegrad n’est donc pas opposé au principe du plan, mais a souligné que les pays pauvres ne devaient pas “supporter les coûts des pays riches”.