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Dette grecque : allonger oui, annuler non

Après la tournée européenne d'Alexis Tsipras et de Yannis Varoufakis, son ministre des Finances, et les propositions avancées sur l'indexation des emprunts grecs sur la croissance et la conversion d'une partie de la dette en rentes perpétuelles, la BCE douche les espoirs grecs. Elle refuse en effet de poursuivre le maintien du régime de faveur accordé aux banques grecques consistant à admettre leurs titres en garantie, alors que leur niveau de risque est jugé supérieur au maximum autorisé pour l'ensemble des autres pays de l'euro-zone. La suspension du programme d'ELA (emergency liquidity assistance) par la BCE va vite causer de véritablement problèmes de trésorerie pour l'État grec qui espérait au contraire une rallonge de 10 milliards d'euros afin de faire face aux 3 mois à venir. Tout porte à croire qu'il s'agit d'une position de négociation. Mais derrière ce rappel à l'ordre, pointe l'idée que l'on ne peut pas impunément remettre en cause les engagements souscrits. Il s'agit d'un préalable juridiquement imparable au vu des traités européens permettant de structurer la négociation devant les instances européennes. La Fondation iFRAP plaide pour un rééchelonnement inévitable des dettes grecques, mais refuse la conversion partielle en rentes perpétuelles ou en annulation pure et simple (48 milliards d'euros pour la France…). Explications :

Comment obtenir la renégociation de la dette grecque ?

La dette grecque représente 321,7 milliards d'euros, soit 175% du PIB de 2013. Il ne faut cependant pas se voiler la face, le PIB grec en données courantes a reculé entre 2009 et le troisième trimestre 2014, en passant de 237,42 milliards d'euros à 178,8 milliards d'euros, en partie par une forte décroissance du secteur public. L'ajustement budgétaire a permis de dégager un excédent primaire (hors service de la dette d'environ 4,5% du PIB), un excédent de 4,1% étant attendu pour 2015.

Par ailleurs, si le flux des intérêts versés par l'État grec représente une charge récurrente de 23 milliards d'euros, celle-ci est allégée par le fait que depuis mars 2012, les revenus d'intérêt et les gains en capital réalisés par la BCE et les Banques centrales nationales sur les obligations publiques grecques qu'elles détiennent (27 milliards d'euros). Il n'en demeure pas moins vrai qu'il existe un problème de maturité. En effet,

  • La Grèce devra rembourser près de 11,2 milliards d'euros en 2015 au titre de facilités de paiement accordées (4,5 milliards d'euros au FMI mi-mars 2015 et des échéances de 3,5 milliards d'euros puis de 3,2 milliards d'euros respectivement en juillet et en août à la BCE au titre du SMP) ;
  • Le remboursement du capital de la dette n'intervenant qu'entre 2023 et 2042.

Il se pose donc un double problème : une question relative aux flux et une question relative au stock de dette.

  • S'agissant du flux, il apparaît nécessaire effectivement que l'excédent primaire puisse être baissé afin que la montée en puissance de la fiscalité prenne le relai. Il faut songer que la fraude fiscale et l'évasion fiscale sont des maux essentiels qui jouent contre la soutenabilité des finances publiques grecques. Cependant une réforme du cadastre ne sera pas suffisante. Si Yannis Varoufakis et Alexis Tsipras parlent de réformes structurelles d'envergure, il faut en conclure que la « fiscalisation de l'Église » et une réforme constitutionnelle permettant de fiscaliser les armateurs, semblent deux points décisifs ;
  • Par ailleurs, le gouvernement « de gauche » met de l'eau dans son vin, puisque la poursuite de réformes structurelles devrait permettre de simplement baisser de 3 points de PIB l'excédent primaire qui devrait se maintenir entre 1 et 1,5 point de PIB. Cela veut donc dire que l'on ne va pas réembaucher massivement des fonctionnaires. Il faut que les réformes structurelles se poursuivent d'où la communication sur un programme « radical » de réformes. Par ailleurs, une saisie même partielle des avoirs dissimulés illégalement en Suisse devrait avoir un effet certain, puisqu'ils sont estimés (légaux + illégaux) à peu près au montant de dette grecque actuelle ;
  • S'agissant du stock : il importe de renégocier les maturités, ce qui devrait également avoir un effet sur les taux. Mais il ne doit y avoir ni répudiation ni échange. Qu'elles sont les exigences grecques ? Elles sont de deux ordres et procèdent d'un mécanisme d'échange :
    • Des obligations seraient converties en rentes perpétuelles sans jouer sur le montant des intérêts (fixes pour la plupart) ;
    • Des obligations seraient échangées avec remboursement de capital, mais avec des taux d'intérêts variables callés sur la croissance effective (nominale + inflation).

Étant donné les montants en présence, il est fort probable que la proposition Varoufakis visera :

  • À négocier avec la BCE la conversion des titres de dette grecque détenus par elle-même et par les banques nationales (27 milliards d'euros) en emprunt perpétuel sans renégociation des taux ;
  • À négocier sur le reste FESF (141,8 milliards d'euros) + prêts bilatéraux des États (52,9 milliards d'euros) et le FMI (32,1 milliards d'euros), les créations obligataires PSI (30 milliards) et les autres créanciers (35,1 milliards), la mise en place de taux variables indexés sur la croissance.

Il n'est pas en effet envisageable de faire porter aux États eux-mêmes ainsi qu'aux institutions hors banques centrales, les chocs bilanciels produits par l'écrasement de leur stock de dette. Mais en contrepartie les flux deviendront irréguliers et difficiles à prévoir.

La question sera également posée pour la dette future ? Sera-t-elle constituée en obligations du premier type ou du second type ? On se rend bien compte qu'à court terme, le rabaissement des flux d'intérêts constitue un enjeu majeur, sans répudiation. Pour les institutions privées cela va poser le problème des collatéraux. La BCE peut encaisser le choc comptablement. Pour les banques nationales, c'est plus difficile, car les États devront procéder à des recapitalisations. Et pour les prêts bilatéraux, il faut souhaiter qu'ils ne seront pas dans la charrette des emprunts perpétuels, sinon les pertes en ligne et le renflouement des contribuables seront inévitables, car (bien qu'en dehors des critères de Maastricht pour leur classement), ces non remboursements poseront à terme des problèmes de trésorerie. Nous ne pensons donc pas qu'il soit possible que les emprunts perpétuels touchent directement les États, sinon il y aurait un problème de déstabilisation budgétaire.

L'Allemagne, première créancière de la Grèce, va-t-elle accepter ?

La contribution de l'Allemagne est très importante : prêts bilatéraux et FESF, cela représente 56,6 milliards d'euros, 42,4 milliards pour la France, 37,3 milliards pour l'Italie et 24,8 milliards pour l'Espagne. L'idée d'une conversion à taux variable pourrait être envisageable si le capital est remboursé à l'échéance, voire avec une maturée plus importante. Elle n'acceptera en revanche certainement pas la conversion des obligations souscrites par sa propre banque centrale et par la BCE en emprunts perpétuels.

Le vrai problème réside dans le risque de contagion de la proposition. En effet, si la Grèce accède au financement par « rente perpétuelle », rien ne pourra empêcher l'Espagne, puis l'Italie, d'envisager cette possibilité. Il ne faut cependant pas céder à la facilité ; l'Allemagne va se faire en réalité la gardienne du contribuable européen et d'abord du contribuable français en négociant la solution la plus respectueuse de nos propres intérêts.

Rappel historique : L'idée n'est pourtant pas nouvelle, on la retrouve sur les rentes constituées sur l'Hôtel de Ville de Paris dès le règne de François Ier, puis évidemment pour consolider la dette révolutionnaire pendant tout le XIXe siècle à l'initiative du marquis de Villèle qui faisait ainsi du neuf avec de l'ancien. La Grande-Bretagne avait donné l'exemple avec l'idée du Consolidated Fund mis en place dès le XVIIIe siècle et qui avait permis de monter en puissance durant les French Wars (Guerres Napoléoniennes).

Que va-t-il se passer si aucun accord n'est trouvé ?

Si aucun accord n'est trouvé, cela revient à poser la question du Greexit… hors de la zone euro. La répudiation de la dette ne pourrait passer que par un retour à la Drachme, ce qui aurait pour effet de relancer l'inflation, mais mettrait surtout un terme à des réformes structurelles qui commencent aujourd'hui à porter leurs premiers fruits et qui doivent être intensifiées de l'aveu même de l'actuel gouvernement. On n'a pas beaucoup avancé sur le cadastre ni le problème de la fraude fiscale endémique depuis que le FMI est au chevet du pays, alors que les fondamentaux budgétaires hors charge de la dette se sont substantiellement améliorés.

Comme l'affirme le Premier ministre belge, y a-t-il un risque de démantèlement de l'Union Européenne ?

La difficulté est double :

  • Il y a la question du maintien de la Grèce dans l'euro en cas de blocage ou de répudiation unilatérale de la dette ;
  • En cas d'acceptation partielle, la question va se poser de l'instabilité des rentrées fiscales et du remboursement si l'on accepte la conversion des obligations en de nouveaux titres indexés sur la croissance, qui devra être la croissance effective (et non simplement nominale afin d'éviter l'effet abrasif de l'inflation). Les recettes deviendront incertaines, et d'autant plus incertaines qu'un ralentissement des réformes permettrait à court terme à l'État grec de payer moins d'intérêts en dégageant de l'inflation (si le QE marche) mais moins de croissance que prévu. Les rentes perpétuelles, elles, posent un problème en matière de finances publiques pour les prêts bilatéraux et collatéraux pour les institutions prêteuses. Seules les banques centrales nationales et européennes peuvent en accepter le choc. L'Allemagne s'y opposera ;
  • En cas de refus, le risque serait que les marchés ne s'en prennent ensuite au prochain maillon faible européen, l'Espagne (qui a fait des réformes de structure fortes) ou le Portugal, voire l'Italie, ce qui pourrait stériliser le QE européen…