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Comprendre les enjeux du Partenariat Transatlantique

L’Accord de Partenariat Transatlantique (APT, dénommé souvent TTIP pour Transatlantic Trade and Investment Partnership) est un projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les Etats-Unis destiné à accroître le commerce et les investissements transatlantiques et à favoriser la création d’emplois, la croissance économique et la compétitivité internationale de ces deux ensembles. Il fait suite à deux accords de libre-échange conclus en 2014 d’une part avec le Canada (Accord économique et commercial global Canada-Europe - AECG) et, d’autre part, avec Singapour (ALE UE-Singapour), qui n’ont pas suscité autant de controverses.

Ce projet vise à faciliter l’accès au marché transatlantique, l’investissement et le commerce transatlantique. Il vise également à redéfinir les normes de toute nature (juridiques, fiscales, réglementaires) qui conditionnent le commerce et l’investissement étrangers entre ces deux ensembles économiques, en vue de les faciliter.

Les concepteurs du projet en attendent des bénéfices importants pour les deux parties en termes d’activité et d’emploi, et notamment en Europe dont les nombreuses PME sont particulièrement sensibles aux obstacles non-tarifaires.

Comme l’Union européenne est l’une des zones économiques du monde les plus ouvertes au commerce et a l’investissement étranger, ce qui est en jeu est d’abord la libéralisation des partenaires commerciaux de l’Union européenne, au premier rang desquels les États-Unis. En effet, Les flux commerciaux transatlantiques sont les plus élevés de tous les flux interrégionaux du monde:

  • exportations Union européenne => États-Unis : 400 Md€ ;
  • importations Union européenne <= États-Unis : 300 Md€ ;
  • investissements Union européenne => États-Unis : 115 Md€ ;
  • investissements Union européenne <= États-Unis : 145 Md€ ;
  • l’Union européenne et les États-Unis produisent 1/3 des biens et services exportés dans le monde ;
  • le stock d’investissements transatlantiques représente env. 4000 Md$ ;
  • la moitié des investissements étrangers des États-Unis sont situés en Europe.

Un des effets notables du traité serait de rendre caduc le "Buy American Act" de 1933. Cette loi, toujours en vigueur, interdit aux administrations américaines fédérales et locales d’acheter des biens et services en provenance de l’Union européenne et d’autres pays non couverts par des accords de libre-échange si ces biens et services sont produits aussi aux États-Unis dans des conditions équivalentes de qualité et de quantité. Cette interdiction s’applique même en cas d’avantage de prix pour le produit européen – dans la limite d’un certain différentiel de prix.

D’autres lois américaines étendent cette interdiction aux sociétés qui bénéficient d’un financement fédéral.

L’ouverture des marchés publics américains aux entreprises européennes constitue donc un enjeu important pour le TTIP, puisque les 100 premiers fournisseurs de la seule administration fédérale se sont partagé 236 Md$ de commandes de biens et services en 2014.

En France, la préférence nationale dans les marchés publics est de fait, sinon de droit.

De la même façon, le TTIP imposerait l’ouverture des marchés publics européens aux entreprises américaines.

De nombreuses autres barrières non-tarifaires limitent le développement du commerce et de l’investissement transatlantiques, comme les différences de normes techniques ou encore la multiplication des contrôles dans le pays d’exportation puis dans celui d’importation pour le même produit.

Dans le secteur agricole, les filières laitière et vinicole attendent une augmentation sensible de leurs exportations d’une meilleure protection et reconnaissance des appellations géographiques protégées.

Le Centre for Economic Policy Research (Londres) a estimé l’impact en régime de croisière du TTIP à une augmentation du PIB de l’Union européenne de 120 Mds€/an, soit 545€ pour chaque famille de 4 personnes et par an, et de +95 Md€/an pour le PIB des États-Unis.

L’étude estime que ces mesures généreraient également, par un effet d’entraînement, un PIB supplémentaire de 100 Md€/an pour le reste du monde.

Cette étude ne tient pas compte des progrès de productivité et d’innovation qui découleraient de l’ouverture des marchés sur les deux rives de l’Atlantique, eux-mêmes générateurs de supplément de croissance.

Sur le plan géopolitique :

Parmi les grands traités de libre-échange en cours de négociation, le TTIP constitue, pour les États-Unis comme pour l’Union Européenne, un enjeu de première importance, alors que les normes du commerce mondial sont en train d’être redéfinies tout autour de la planète, à travers une dizaine de traités bilatéraux en cours de négociation. En effet,

  • cet accord couvrirait une part importante (1/3) des échanges mondiaux ;
  • à ce titre, les règles du commerce définies par cet accord auraient une grande influence sur le reste du commerce mondial et serviraient de référence dans la négociation des autres traités en cours de négociation, notamment le Transpacific Trade Partnership (TTP) ;
  • le succès de la négociation entre les deux blocs occidentaux renforcerait la position de l’Union européenne face à la Russie qui met en œuvre des moyens médiatiques exceptionnels pour mettre en doute la crédibilité et la cohésion de l’Occident. Le projet d’organisation de l’Eurasie est ainsi directement concurrent de l’Union européenne.

L’opposition au traité repose sur 3 arguments principaux:

  1. Le projet de cour d’arbitrage pour le règlement des différends entre investisseurs étrangers et États (RDIE ou ISDS pour Investor-to-State Dispute Settlement) risque de limiter le droit des États de légiférer dans un but d’intérêt public, par exemple dans le domaine fiscal, du droit du travail, de la protection de l’environnement, de la santé ou de la sécurité alimentaire ;
  2. Les sociétés européennes ne sont pas assez fortes pour résister commercialement à des concurrents américains; un traité de libre-échange est donc, presque par définition, défavorable à l’Union européenne ;
  3. L’harmonisation de normes entre l’Union européenne et les États-Unis risque d’entraîner un affaiblissement des normes européennes, supposées plus strictes, notamment en matière d’environnement, de protection sociale, de sécurité sanitaire et de protection des données personnelles.

A. La cour d’arbitrage risque de limiter le droit des États de légiférer dans un objectif d’intérêt public

Notons que le règlement de litiges investisseur-État au moyen de tribunaux arbitraux est d’une pratique très courante dans le monde, en particulier en Europe.

Les États membres de l’Union européenne sont signataires de près de la moitié des accords internationaux d’investissement en vigueur dans le monde (environ 1.400 sur 3.000). Pratiquement tous comportent des dispositions relatives à la protection des investissements et au règlement des différends entre investisseurs et États ; ce mécanisme permet la résolution de litiges lorsqu’un investisseur estime qu’un État traite l’investisseur de façon discriminatoire par rapport à d’autres investisseurs, par exemple par rapport à des investisseurs locaux ou nationaux.

La consultation publique menée par la Commission en 2014 a mis en évidence les sujets de préoccupation suivants :

  1. la protection du droit de réglementer ;
  2. la gouvernance des tribunaux d’arbitrage et le réexamen des décisions de règlement des différends entre investisseurs et États au moyen d’un mécanisme d’appel.

La Commission a répondu de la façon suivante à ces préoccupations, réponses qui figurent déjà partiellement dans l’AEG signé en 2014 avec le Canada :

A.1 La protection du droit de réglementer

Le projet de l’Union européenne :

  • confirme le droit des parties de prendre toute mesure nécessaire, selon leur jugement,  pour atteindre des objectifs de politique publique en matière de santé, de sécurité, de protection des travailleurs et des consommateurs et de l’environnement et de promotion de la diversité culturelle conformément aux règles de l’UNESCO ;
  • exclut les services d’intérêt général, notamment le traitement et la distribution d’eau, les services de santé, les services sociaux, les systèmes de Sécurité sociale, l’éducation ainsi que les services culturels (à la demande de la France) ;
  • définit des notions essentielles, telles que le «traitement juste et équitable» et l’«expropriation indirecte», afin d’éviter les procès abusifs de la part des investisseurs[1].

A.2 la gouvernance des tribunaux d’arbitrage et le mécanisme d’appel

Le Parlement européen à voté le 8 juillet dernier à une large majorité la recommandation suivante :

  • Le système (RDIE ou ISDS) sera conforme aux principes démocratiques : juges professionnels et indépendants, nommés publiquement, délibérations publiques, mécanisme d’appel, en respect des juridictions nationales.

Comme le note Le Monde du 21 juillet 2015, « L’arbitrage d’investissement ne mérite donc pas le rejet massif dont il semble faire l’objet de ce côté-ci de l’Atlantique. »

Malgré les avancées que constituent ces recommandations par rapport à la proposition initiale de tribunaux d’arbitrage, de nombreuses associations continuent de demander l’élimination de ces instances spécifiques de règlement des litiges investisseur-État, pour ne laisser place qu’aux tribunaux de droit commun.

B. Les sociétés européennes ne sont pas assez fortes pour résister commercialement à leurs concurrents américains ; un traité de libre-échange est donc, presque par définition, défavorable à l’Union européenne.

Il faut noter que les États-Unis entretiennent un déficit commercial avec l’Union européenne et non l’inverse. Il semble donc paradoxal de considérer que les États-Unis sont les plus forts et les plus concurrentiels, et qu’ils vont dominer l’Union européenne et non l’inverse[2].

On pourrait toutefois arguer que la France est commercialement faible par rapport aux États-Unis et subirait, du fait de la levée des obstacles au commerce avec ce partenaire, une aggravation de son déficit commercial. Tel n’est pas le cas : au cours des 12 derniers mois jusqu'à avril 2015 le déficit commercial de la France avec les États-Unis a été… un excédent de 2 Md€.

C. L’harmonisation de normes entre l’Union européenne et les États-Unis risque d’entraîner un affaiblissement des normes européennes, supposées plus strictes, notamment en matière d’environnement, de protection sociale, de sécurité sanitaire et de protection des données personnelles.

L'économiste français Frédéric Farah, coauteur du livre « TAFTA: L'accord du plus fort », pense que le rapprochement des normes sanitaires pourrait déboucher sur une situation dans laquelle « la mauvaise norme chassera la bonne », et que l'Europe risque de faire face à une « dilution définitive dans une zone de libre-échange ».

À l’opposé, l’association Internationale de la Mutualité (AIM) demande que les normes de la Food and Drug Administration (FDA) pour l’approbation des dispositifs médicaux avant leur commercialisation, plus exigeantes que les normes européennes, soient prises en compte dans le TTIP afin d'améliorer la sécurité des patients en Europe.

De même le Green Party (UK) considère que les normes américaines en matière d’environnement et d’énergie sont supérieures aux normes européennes.

En matière de protection des données privées, la motion votée le 8 juillet 2015 par le Parlement européen exige que les acquis de l’Union européenne dans ce domaine ne soient pas remis en cause par le traité, en particulier en ce qui concerne l’e-commerce et les services financiers. La « mauvaise norme » ne chassera donc pas la « bonne norme » dans ce domaine.

Le préjugé sur la supériorité de chaque norme nationale se retrouve (dans une bien moindre mesure) aux États-Unis où des ONG et des syndicats fondent leur refus du TTIP sur l’idée qu’en matière de régulation financière, les normes européennes sont plus laxistes que les normes américaines.

Ainsi, l’ouverture du marché transatlantique ferait perdre l’avantage des États-Unis en matière de bas coût de l’énergie, car les prix du gaz à l’industrie américaine finiraient par s’ajuster aux niveaux prévalant en Europe (+50%). L’abandon du « Buy American Act » ferait perdre des parts importantes de marché aux fournisseurs traditionnels des administrations américaines (fédérales et locales).

En réalité les observateurs indépendants reconnaissent généralement que :

  • les normes des deux cotés de l’Atlantique sont souvent différentes sans que l’on puisse dire si l’une est plus stricte que l’autre. C’est précisément dans ce cas de figure qu’une harmonisation des normes bénéficierait à tous sans nuire à personne ;
  • lorsqu’il est possible d’établir une hiérarchie entre ces normes, la plus stricte est parfois européenne, parfois américaine, dans des proportions grosso modo égales.

Enfin, l’idée que « la mauvaise norme chasserait la bonne » semble dénuée de fondement.

Conclusion

Il est clair que dans un jeu à somme nulle, chaque camp (Europe, États-Unis) peut gagner des marchés outre-Atlantique et en perdre d’autres, en abaissant leurs barrières tarifaires et non-tarifaires. Rien n’indique toutefois que, dans le cadre de cette approche statique de partage d’un gâteau figé, la France soit perdante et les États-Unis gagnants. Il suffit pour s’en convaincre de considérer par exemple le marché qui serait ouvert à nos champions des services aux collectivités locales dans les domaines de l’énergie, de l’écologie ou de l’urbanisme grâce a l’abandon du « Buy American Act »…

Or, l’enjeu n’est pas de répartir un gâteau donné mais de créer les conditions d’une croissance supplémentaire, à travers la dynamique suivante :

  • Renforcement de la concurrence => réduction des coûts et amélioration de l’efficacité ;
  • Coopération réglementaire, harmonisation des normes et abaissement des barrières non-tarifaires => réduction des coûts pour les administrations et pour les exportateurs ;
  • Tribunaux d’arbitrage couplés à une procédure d’appel => réduction des incertitudes sur l’investissement et réduction du coût et des délais de règlement des litiges => davantage d’investissements des deux cotés de l’Atlantique ;
  • Économies réalisées par les investisseurs, les exportateurs et les administrations centrales et locales => pouvoir d’achat supplémentaire => effet multiplicateur sur d’autres secteurs de l’économie et sur leurs fournisseurs de toutes nationalités.

Au total, il s’agit simplement de transposer à l’échelle transatlantique les recettes qui ont largement contribué au développement économique et au niveau de vie dont bénéficie aujourd’hui l’ensemble du monde développé.

L’enjeu pour la France n’est pas non plus limité aux relations France/USA. L’économie française est profondément arrimée à l’économie de l’Union européenne et en premier lieu a celle de l’Allemagne. L’analyse des risques et des opportunités pour la France doit donc intégrer l’impact du TTIP sur l’économie de l’ensemble de l’Europe.

L’enjeu économique de cet accord va même bien au-delà des relations économiques transatlantiques. Il constitue une occasion rare, sinon exceptionnelle, d’instiller une partie de nos façons de pratiquer les affaires et de nos valeurs dans les règles du commerce mondial, avant que d’autres puissances émergentes ne le fassent à notre place.

Le processus d’adoption

Ce projet résulte des conclusions du groupe de travail sur l’emploi et la croissance lancé pendant le sommet entre l’Union européenne et les États-Unis le 28 Novembre 2011. Depuis 2013, 10 rounds de négociation ont eu lieu entre la commissaire européenne, Cecilia Malstrom, et le représentant américain au Commerce John Kirk, le dernier round ayant eu lieu du 13 au 17 juillet à Bruxelles.

Du coté européen, le traité devra être ratifié par le Conseil et le Parlement Européens. L’accord étant qualifié de « mixte », c'est-à-dire comportant des dispositions autres que spécifiquement commerciales, il devra également être ratifié par le Parlement français et d’autres parlements de membres de l’Union européenne.

La négociation devait être soumise au Parlement européen le 10 juin, soulevant une vague de plus de 200 amendements.

En particulier, les socialistes européens avaient déposé un amendement demandant d'exclure explicitement tout mécanisme privé de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), de crainte que cela ne permette à des multinationales de remettre en cause des politiques publiques d’États.

Le PPE (droite) est partagé sur cet amendement.

Au dernier moment, le président du Parlement européen a retiré le sujet de l’ordre du jour, faisant usage d'une possibilité que lui donne le règlement quand un texte fait l'objet d'un nombre trop élevé d'amendements. Le vote a été reporté au 29 juin.

Le 8 juillet dernier, le Parlement européen à voté par 436 voix pour, 241 voix contre, une résolution rassemblant un grand nombre d’exigences relatives au projet de traité.

Du côté américain, le traité devra être ratifié par les États-Unis. Le président Obama a obtenu du Congrès le Trade Promotion Authority, lui permettant de soumettre le traité en bloc, sans passer par le jeu des amendements.

[2] Le déficit commercial des États-Unis vis-à-vis de l’Union européenne était de 105 Md€ en 2014.