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Comment les Britanniques ont réduit de moitié le coût de leur diplomatie ?

Entre 2010 et 2015, le budget du Foreign and Commonwealth Office (équivalent du ministère des Affaires étrangères et européennes) aura été réduit de 50% passant de 2,5 milliards à 1,28 milliard de livres prévu en 2015. Pour le gouvernement britannique qui s'est lancé dans un vaste programme de rationalisation des budgets de chaque ministère, il s'agit de la coupe la plus importante en termes de pourcentage. Explication des Britanniques : dans un monde de plus en plus connecté où les chefs d'État dialoguent en tête à tête et où chaque ministère possède son propre service international, quelle est la juste place du réseau diplomatique ? Autre constat, au début des années 2000, les dépenses du Foreign and Commonwealth Office étaient principalement des dépenses de fonctionnement (rémunérations et entretien/location de bâtiments) et non de « programmes » (travail consulaire, de lobbying, de sécurité…). A titre de comparaison, en 2010 avec des budgets équivalents, l'action du Foreign Office était comparable à la mission « action extérieure de l'État » du ministère des Affaires étrangères : réseau diplomatique, opérations de maintien de la paix, entretien du réseau culturel, cotisations aux organisations internationales… auxquels s'ajoutaient, côté anglais, toute l'action économique et l'action audiovisuelle (BBC). Mais, dès 2014, grâce à une refonte de leur réseau diplomatique et une rationalisation de son coût de fonctionnement, les Britanniques parviennent à entretenir leur réseau diplomatique pour environ 1 milliard d'euros de moins que le Quai d'Orsay. Or, difficile de dire que le Royaume-Uni est moins bien représenté que la France dans le monde…

Évolution des budgets par Department (Ministères) entre 2010 et 2015

Source : Institute For Fiscal Studies.

Source : Foreign and Commonwealth Office : Annual Report and Accounts 2012-13 et 2011-12. Resource Accounts 2006–05, 2004-05 et 2003-04. House of Commons Library : British foreign policy since 1997. The Guardian : The British abroad : how our diplomatic presence is changing.

Repenser la présence britannique dans le monde :

De 1997 à 2011, le Foreign Office a organisé la fermeture de 40 postes diplomatiques dont 10 ambassades. Sur la même période, 21 postes diplomatiques réduits auront été ouverts vers des pays jugés stratégiques (Asie, Afrique et Moyen-Orient). Au final, 19 postes diplomatiques auront été supprimés dont 10 en Europe et aux États-Unis.

Si lors des fermetures, les coûts de restructuration ont augmenté la dépense, le Royaume-Uni bénéficie aujourd'hui d'un réseau moderne constitué de plus petits postes diplomatiques :

  • 35 postes diplomatiques emploient actuellement moins de 5 personnes, et 20 postes tournent uniquement avec 10 agents.
  • Le recours aux laptop ambassadors est de plus en plus fréquent : Il s'agit d'agents basés à Londres qui assurent en complément de leurs fonctions dans l'administration centrale, un suivi à distance du ou des pays dont ils sont chargés avec des déplacements ponctuels.
  • Dans les situations d'urgence, des « unEmbassies » peuvent être créées, comme en 2008 en République démocratique du Congo où un agent a rapidement pu s'installer à Goma et travailler depuis une chambre d'hôtel [1].
 Réseau diplomatique
Etats-Unis168 ambassades et 14 représentations multilatérales
France163 ambassades et 16 représentations multilatérales
Allemagne152 ambassades et 13 représentations multilatérales
Royaume-Uni140 ambassades et 14 représentations multilatérales
Source : Cour des comptes, l'évolution du réseau diplomatique depuis 2007. Février 2013.

Ce recentrage de la présence britannique dans le monde aura notamment permis de réduire de 25% les dépenses diplomatiques dédiées à l'espace européen : « un signal, non pas d'un détachement avec la diplomatie européenne, mais une reconnaissance que les affaires européennes se discutent maintenant à Bruxelles ou directement avec les chefs d'État et les ministres européens ». Le Parlement britannique, dans son rapport sur la diplomatie sous Tony Blair et Gordon Brown, conclut que les moyens économisés sur l'Europe « seront mieux employés dans les pays émergents du Sud et de l'Asie ».

A l'avenir, le Foreign Office espère développer davantage la “co-location” et la coopération entre les réseaux diplomatiques, à la fois au sein de l'Union européenne et du Commonwealth. Le Parlement espère économiser jusqu'à 70 millions de livres de ces coopérations. A noter que la Cour des comptes pousse depuis plusieurs années le ministère des Affaires étrangères à la colocalisation avec d'autres États membres de l'Union européenne. Aujourd'hui, ces colocalisations sont très peu développées, malgré quelques essais avec l'Allemagne, mais représentent un réservoir d'économie et de rationalisation important : la France qui possède le 3e réseau diplomatique du monde et le 1er réseau diplomatique d'Europe gagnerait à mettre cette présence à disposition de ses partenaires européens.

Rationaliser les dépenses de fonctionnements :

Dès 2008/09, le gouvernement britannique organise la réduction des budgets ministériels et notamment la réduction des coûts de fonctionnement. Dans le réseau diplomatique, la gestion du personnel et le traitement des agents sont complètement refondés :

  • Un réseau diplomatique emploie deux sortes d'agents : des agents nationaux et des agents locaux. Depuis les années 1990, le réseau diplomatique est passé d'une logique nationale à une préférence locale : Fin 2013, 64% des employés du réseau britannique sont des agents locaux. Soit environ 9.500 agents sur un effectif de 14.336 personnes en 2013. Le Foreign Office estime qu'un agent local coûte un tiers moins cher qu'un agent britannique, même si la plupart d'entre eux fournissent le même travail. En effet, 15% des employés locaux assurent aujourd'hui un travail diplomatique (veille, lobbying, travail consulaire…). Le Foreign Office affiche encore l'objectif de réduire de 10% sa masse salariale d'ici 2015 jusqu'à atteindre un réseau composé à 70% d'agents locaux, devenu le plafond non officiel fixé par le Parlement [2] . A noter, même s'il n'existe pas de statistiques les concernant, qu'un agent britannique jouissant d'une double nationalité peut être employé en tant qu'agent local.
  • La politique de logement des agents du réseau diplomatique a également été reformée. Avant, l'attribution des logements était décidée en fonction du grade et de l'ancienneté d'un agent. Depuis 2013, le logement des agents est organisé au cas par cas et en fonction de la situation familiale de l'agent. Grâce à cette politique, le Foreign Office espère réduire ses coûts de résidence de 20% en 2013 et économiser 6 millions chaque année, de coûts de locations.
  • Les financements de services annexes à la diplomatie sont également réduits : A partir de 2014, le service World de la BBC quitte définitivement le Foreign Office pour être financé par la redevance publique (licence ; 145 livres par an et par foyer). Pour son dernier versement, la subvention du Foreign Office à la BBC revenait à 252 millions de livres en 2013. Le British Council, réseau culturel britannique à l'étranger, qui était auparavant intégralement financé par le Foreign Office (environ 180 millions de livres chaque année) est désormais cofinancé par le Foreign Office et le Department for International Development.

Enfin la transparence : Depuis plusieurs années, le gouvernement britannique travaille sur la transparence de ses données (budgétaires, de personnel) avec comme logique que « l'ouverture et la transparence permettent des économies, renforcent la confiance des citoyens envers le gouvernement et encouragent le public à participer à la démocratie ». Le Foreign Office n'échappe pas à cette politique de transparence. Ainsi, le personnel de chaque poste diplomatique est rendu public, tout comme le coût des événements/commémorations organisés à l'étranger au nom du Royaume-Uni. On découvre alors que les célébrations pour le jubilé de la Reine d'Angleterre ont été cofinancées par des sponsors (HSBC, British Airways, Eurostar, Barclay, BP, Rolls Royce…) dans les ambassades britanniques. Si des améliorations sont encore possibles, le Foreign Office reste très en avance, en termes de transparence et d'innovation pour réaliser des économies, par rapport au ministère français des Affaires étrangères. La Cour des comptes se prononce depuis longtemps pour que le ministère des Affaires étrangères et Européennes approfondisse le détail de ses dépenses et notamment de ses dépenses de personnel, aujourd'hui mêlées dans le programme 105 « action de la France en Europe et dans le Monde » majoritairement composé des contributions internationales de la France (notamment à l'ONU).

[1] House of Commons Library : British foreign policy since 1997 (p105).

[2] House of Commons - Foreign Affairs Committee : FCO performance and finances 2012–13