Actualité

Réduction du millefeuille territorial : où en sommes-nous ?

La période estivale est parfois l’occasion de publications aussi intéressantes que discrètes. Or s’agissant de la réduction du millefeuille territorial, deux rapports viennent opportunément documenter les mouvements de réorganisation en cours : le premier, à l’initiative du Sénat dans le cadre de la mission de suivi et de contrôle des dernières lois de réforme des collectivités territoriales, fait le point sur la baisse des intercommunalités, de la création des métropoles parallèlement à la constitution des grandes régions, et de la réduction du nombre de communes sous l’effet du regroupement permis par les « communes nouvelles » ; le second réalisé sous l’égide de la Cour des comptes, s’intéresse à la rationalisation des syndicats intercommunaux (SIVU, SIVOM, SMF) sous l’empire de la loi NOTRe, avec date butoir en 2020, et s’interroge sur les modalités des étapes suivantes. Le moins que l'on puisse dire c'est que les gains budgétaires recherchés par le gouvernement dans le cadre de la nouvelle réforme territoriales, seront pour le moment très maigres et sans doute annulés par la mauvaise volonté des élus et symétriquement par l'inertie des services de l'Etat pour déployer la réforme de l'administration déconcentrée. Les pierres d'achopement sont multiples:

- refus des élus de voir baisser leur influence dans le cadre des communes nouvelles et du développement des intercommunalités, via le nombre de leurs mandats.

- Absence de rationalisation tangible liée au refus là aussi de mettre en place un coefficient de mutualisation (projet porté par l'IGF). Retard dans le déploiement d'une DGF réformée.

- Syndicats intercommunaux à vocation unique ou multiples pléthoriques alors même que certaines compétences seront reprises par les nouvelles entités fusionnées (intercommunalités/régions);

- absence de synergie dans le cadre des grandes régions entre les élus et les services déconcentrés de l'Etat qui doivent eux-mêmes s'adapter. Argument avancé, l'équilibre institutionnel des nouveaux ensemble qui ne doivent pas compromettre les emplois publics dans les anciennes capitales régionales etc...

- Choix de répartitions multisites pour ne pas avoir à "déplacer" les agents du côté de l'Etat.

Les griefs sont long des écarts patents entre résolutions initiales et réalisations finales... ou comment déboucher sur du quasi-"ludisme" institutionnel":

La rationalisation de la carte intercommunale

On assiste actuellement à une baisse drastique du nombre de structures à fiscalité propre. Les commissions départementales de la coopération intercommunale (CDCI) se sont saisies, à l’initiative du préfet des projets SDCI (schéma départementaux de coopération intercommunale) et conformément aux dispositions de l’article 33 de la loi NOTRe (portant nouvelle organisation territoriale de la République), ont été arrêtés suivant la date butoire du 31 mars 2016. La loi a cependant prévu un second tour de rattrapage avec la possibilité de consultation des collectivités dans le cadre de la définition des arrêtés de périmètre après définition par les préfets avant le 15 juin 2016 au plus tard. Celles-ci devront rendre leur avis avant la période limite de septembre 2016. Ensuite, une procédure dite de « passer outre » en cas de rejet par les communes à l’initiative du préfet pourrait recueillir l’avis des CDCI compétentes au plus tard début octobre 2016, pour aboutir après accord des communes sur la composition du conseil communautaire (avant le 15 décembre 2016) à un arrêté préfectoral de périmètre (définitif) intervenant avant le 31 décembre 2016. Sur la base des SDCI remis aux préfets la carte évoluerait ainsi :

 

Evolution du nombre d'EPCI

 
 

Situation actuelle (avril 2016)

Situation prévisionnelle (SDCI) 2017

Variations

Métropoles

13

14

1

CU

11

12

1

CA

196

213

17

CC

1842

1003

-839

Total

2 062

1 242

-820

Sources : Commission des lois du Sénat, op.cit.

Si les arrêtés de périmètre se révèlent conformes aux orientations suivies par les SDCI initiaux, la réduction du nombre d’intercommunalités serait alors particulièrement substantielle, puisqu’elle aboutirait à une baisse effective au 1er janvier 2017 de 39,7%. Une stratégie destinée à obtenir une granularité minimale de la maille intercommunale à 15.000 habitants (sauf exceptions). Cependant, il faut relever que cette rationalisation s’est effectuée généralement dans le cadre départemental, ce qui pourrait être défavorable à la création d’EPCI de taille et de structures optimales. C’est un biais qui relève de la composition même des CDCI par nature « départementales ». La mission soulignant « le sort généralement défavorable réservé aux amendements constituant des EPCI interdépartementaux ». Une exception relevée toutefois par la sénatrice Jacqueline Gourault, dans le Loir-et-Cher, où « deux communautés de communes sont transdépartementales ».

La prochaine vague de fusions devrait être réalisée en 2020 avec la révision programmée à cette date des SDCI (schémas départementaux de coopération intercommunale), certaines CDCI émettant le vœux de construire à cette occasion des EPCI plus importants encore… mais qui, faute de temps et de préparation, restent pour le moment à l’état de projets. En sens inverse le dépouillement par la mission des SDCI a permis de mettre en évidence le phénomène inverse, certaines « CDCI ont été plus « audacieuses » en procédant à des extensions de périmètre par la scission de communautés existantes ».

La question reste cependant posée dans le cadre de ces fusions du devenir des « compétences orphelines ». En effet, les projets de périmètre ne comportent pas de définition claire des compétences intercommunales exercées. Or « certaines fusions (…) devraient regrouper des communautés exerçant actuellement des compétences fort différentes l’une de l’autre ». C’est notamment le cas lorsqu’une communauté urbaine et une communauté rurale fusionnent, la première ayant « vocation à gérer les grands équipements, les grandes infrastructures », tandis que la seconde dispose au contraire de services de proximité en assurant « des services à la personne ».

Dans ces conditions, il serait paradoxal que la question des compétences devenues orphelines en situation post fusion, aboutisse à la création de syndicats intercommunaux, dont on verra (voir infra) que précisément la loi NOTRe entend réduire drastiquement le nombre. Si le but de l’opération est la simplification de l’organisation locale, différents dispositifs existent cependant sans constitution de personnalité morale, comme l’entente intercommunale, le conventionnement (passation de convention de prestations de services entre communes et communauté), la mutualisation des services et moyens entre communes (et distinct de l’intercommunalité, ce qui permettrait d’assurer un retour sur base mutualisée des compétences exercées aux communes membres de l’ancienne intercommunalité), ou en fusionnant lesdites communes en commune nouvelle (avec les boni financiers associés).

Enfin, on relève la création effective de communes « XXL ». Ces communes qui regroupent au moins 50 communes seraient au nombre de 123 d’après l’AdCF (assemblée des communautés de France) en 2016 contre 46 au 1er janvier 2015. L’effectif maximum recensé en 2016 est de 131 communes (métropole du grand Paris), contre 73 pour les CU, 78 pour les CA et 129 pour les CC. Une concentration qui au 1er janvier 2017 pourrait monter à 131 pour les métropoles (Grand Paris), 144 pour les CU et 184 pour les CA et 136 pour les CC. La moyenne de ces ensembles passant de 17 communes en 2016 à 29 en 2017. Dans ces conditions les petites communes ont encore une fois tout intérêt à se regrouper elles-mêmes et à « fusionner » en communes nouvelles afin de ne pas se retrouver totalement diluées dans le nouvel ensemble.

Le déploiement des communes nouvelles : une stratégie payante ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes[1], la France compte désormais 35.885 communes au 1er janvier 2016, grâce aux 317 communes nouvelles créées entre 2015 et 2016, permettant la fusion de 1090 anciennes communes. En pratique c’est la Normandie qui est la région la plus touchée par le phénomène, puisque sur les 317 communes nouvelles créées, 36 l’ont été dans la Manche, 20 dans l’Orne, 18 dans l’Eure et 15 dans le Calvados (soit 28% de l’effectif), tandis que 25 étaient constituées dans le Maine-et-Loire[2]. La raison d’une telle explosion est multiple, mais repose sur deux éléments :

  • Un élément d’incitation financière (limité dans le temps) : le déclenchement du processus de fusion aboutit à geler la DGF à son niveau d’avant fusion, si bien que dans le contexte de réduction de la DGF sur le plan national depuis trois ans, le simple gel est en soit considéré comme un gain pour les communes concernées. Par ailleurs, un bonus de 5% (prime de fusion) est accordé aux nouveaux ensembles compris entre 1.000 et 10.000 habitants. Ce qui vise à réduire tout particulièrement les très petites communes. Or ce bonus a été limité dans le temps (uniquement jusqu’au 1er janvier 2016), et prorogé par l’Assemblée nationale pour 6 mois seulement (LFI 2016), soit avant le 30 juin 2016. La question reste ouverte d’une nouvelle campagne afin de permettre la poursuite du processus une fois que les dotations auront cessé de baisser. Par ailleurs s’agissant des questions d’harmonisation fiscale, le nouvel ensemble communal pourrait voir sa fiscalité lissée sur une dizaine d’années (accompagnement des DDFiP) ;
  • Un élément catalytique législatif : les dispositions spécifiques introduites par la loi n°2015-292 du 16 mars 2015 relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, permettant de « doper » le dispositif antérieur issu de l’article 21 de la loi n°2010-1563 du 16 octobre 2010[3]. En clair, il s’agit du « maintien de l’ensemble des anciens conseillers (municipaux et communautaire) » existant dans chaque commune membre préalablement à la fusion et ce, jusqu’en 2020. Par ailleurs « A l’issue des élections de 2020, le nombre d’élus sera calculé selon la strate supérieure au regard de la population ». Dans le même temps les anciens maires deviennent des maires délégués de la commune nouvelle. Par ailleurs, les anciennes communes conservent une identité propre (art.L2113-10 et suiv), tandis que le maire délégué continue de disposer d’une mairie annexe (généralement l’ancienne mairie) et pourront au besoin continuer de délivrer les actes d’état civil. La rationalisation des emprises immobilières est pour le moment considérée comme portion congrue.

Les questions qui restent toutefois posées sont loin d’être neutres :

  • Il faudra nécessairement mettre en place des vagues de fusions postérieures. Quels mécanismes incitatifs doivent être mobilisés afin de permettre des nouvelles fusions massives de même ampleur dès avant 2020 ? La question de la perduration du bonus de fusion est intéressante : ce bonus doit pouvoir être accordé à nouveau en cas de fusions nouvelles et il est sans doute nécessaire à la faveur de la prochaine présidentielle de lancer une nouvelle campagne de fusions. Et pourquoi pas de lier ce bonus à la réforme de la DGF corrélée à l’introduction d’un coefficient communal de mutualisation ?
  • Quid après 2020 ? Des dispositifs de rationalisation devront nécessairement être mis en place afin que la synergie recherchée par les nouveaux ensembles se traduise de manière concrète en matière de finances publiques. Il est clair par exemple que le bonus de fusion est un élément permettant, de concert avec le gel de la baisse des dotations, de permettre de dégager des ressources nécessaires à l’internalisation des coûts de fusion (en particulier s’agissant des régimes indemnitaires ou des procès de travail). Le risque? Que la fusion ne soit que « de façade » sans véritable mise en commun des ressources matérielles et humaines.

La difficile articulation entre les services régionaux fusionnés et l’administration déconcentrée d’Etat :

La fusion des anciennes régions en régions nouvelles et la réingéniérie des directions régionales de l’Etat, ne se sont pas coordonnées jusqu’à présent. Pire, les exécutifs régionaux ont tout fait pour imposer leur propre agenda indépendamment de celui de la REATe (réforme de l'administration territoriale) au nom du principe de libre administration des collectivités territoriales. Ce constat est totalement sous-optimal et devrait nécessairement conduire à constater l’absence d’économies au moins à court terme pour les services dans le cadre des réorganisations en cours.

  • Le problème de l’organisation multipolaire des nouvelles régions : l’équilibre territorial est longuement évoqué par les élus locaux pour justifier la conservation de services sur une base multi-sites spécialisés. Dans ces conditions, les économies d’échelle sont grandement affectées par la stratégie retenue et ne peuvent reposer que sur d’hypothétiques gains informatiques liés au passage au « tout numérique » (y compris en matière de conférences) et à la dématérialisation des procédures. On relèvera qu’en l’état actuel des choses :
    • Les anciens chefs-lieux de région ont tous bénéficié de dérogations (art.70 de la loi NOTRe) afin de se voir reconnaître le caractère de communauté urbaine (CU) nonobstant une population inférieure au plancher légal de 250.000 habitants[4]. A la clé, la volonté de contrebalancer la présence dans l’ensemble des régions concernées (à l’exception de la Bourgogne-Franche-Comté) d’une métropole régionale.
    • On assiste ainsi souvent à l’implantation du siège du Conseil régional dans ces villes (par exemple Caen), tandis que le siège du préfet de région se trouve implanté dans la nouvelle métropole régionale (par exemple Rouen). Plus généralement comme le révèle la mission du Sénat, notamment en Normandie mais également en Nouvelle Aquitaine, « les services régionaux se réorganisent sur un territoire plus vaste sans prendre en compte l’organisation déjà opérationnelle de l’Etat ». Il y a donc un évident problème de mise en cohérence des schémas organisationnels et des services[5]. Ainsi en Aquitaine, « si la région a suivi la réorganisation de l’Etat, elle n’a pas pour autant privilégié une localisation commune de ses services avec ceux de l’Etat car elle n’a pas été jugée indispensable. » Pourtant l’Etat avait commencé sa réorganisation dès 2014 soit avant les élections des nouveaux conseils régionaux qui auraient pu saisir l’occasion pour réaliser d’intéressantes synergies ;
    • La fusion des anciennes régions aboutit à une répartition des services entre les anciennes capitales régionales,  afin de maintenir un « équilibre institutionnel ». 600 fonctionnaires à Caen par exemple et 600 à Rouen (+1.500 agents des lycées). Idem en Nouvelle Aquitaine, où « la stabilité des effectifs est privilégiée et il a été décidé de ne pas recourir à des mobilités forcées ». Résultat, ce sont « les chefs de service [qui] seront amenés à multiplier les déplacements pour assurer une coordination de leurs équipes. » Cette stratégie a été accompagnée d’une harmonisation (pas nécessairement par le haut) des régimes indemnitaires, pour un coût inférieur à une harmonisation complète des services des trois anciennes régions qui aurait pu avoisiner les 15 millions d’euros/an[6].
  • En miroir, le problème de l’organisation multi-sites des directions régionales de l’Etat : si les anciennes directions régionales ont été fusionnées, elles ne l’ont pas été nécessairement sur site unique et encore moins au chef-lieu de la nouvel région. Résultat, 1/3 des sièges des directions régionales restent implantés dans les anciens chefs-lieux de région. En conséquence de quoi :
    • Les nouvelles directions régionales restent éclatées et conservent des effectifs dans tous les chefs-lieux anciens ou actuels ;
    • La répartition sur les différents sites doit obéir à une logique de spécialisation, mais celle-ci ne permet pas de répondre à la logique pourtant affichée de proximité (présence de l’Etat sur l’ensemble du territoire). Les besoins de rationalisation vont devoir trancher entre ces deux approches antithétiques. Dans ces conditions aux problèmes d’harmonisation des doctrines d’action, va s’ajouter l’impossibilité en pratique (multiplication des déplacements, niveau de compétence requis) pour les directions régionales des services de l’Etat de se maintenir sur tous les sites. Un impératif d’autant plus impérieux que le déploiement du numérique est encore trop peu avancé ;
    • Les services butent donc sur des difficultés de mobilité mal anticipées : au niveau national 8.000 agents sont concernés, 400 devraient faire l’objet d’une mobilité géographique, 1.800 une mobilité fonctionnelle. 150 agents refusant l’affectation qui leur était proposée. Il n’y a pas eu de mobilité géographique obligatoire, alors même qu’une prime de réorganisation régionale (PARRE) a été accordée s’échelonnant entre 1.600 et 30.000 euros/agent.

Le problème des compétences départementales transférées aux régions, deux points d’achoppement demeurent :

La question du financement des transports scolaires. Actuellement les départements (AO1 : autorités organisatrices de niveau 1) délèguent aux EPCI et aux syndicats intercommunaux (SIVU, SIVOM), la gestion des transports scolaires (AO2). Le fait de confier aux régions le rôle de financeur[7], va les faire devenir AO1 tandis que la conclusion de délégation de compétence aux départements en ferait des AO2. Dans ce cadre ceux-ci ne pourraient pas subdéléguer aux acteurs locaux intercommunaux (syndicats, EPCI) puisque la loi interdit l’intervention d’AO3. Dans ces conditions la constitution de syndicats départementaux est posée. Mais là encore vont se poser des questions relatives au mode de tarification, certains départements ayant choisi la gratuité de leur transport scolaire.

En matière de développement économique : les régions récupèrent la compétence de développement économique, mais les départements l’exerçaient au titre de leur clause compétence générale (elles constituaient donc des politiques publiques exercées de façon subsidiaires, de fait et non des à titre obligatoires). La suppression de cette dernière, interdit toute compensation à la région du « transfert » de cette politique publique.

En définitive, les marges de manœuvre dégagées par la ponction opérée sur les dotations des collectivités territoriales n’ont pas été mises au service d’une architecture déployée de façon cohérente entre les services déconcentrés de l’Etat et les collectivités locales concernées dans le cadre de la réforme territoriale. Les élus se sont délibérément comportés de façon à ne pas rentrer en synergie avec la réorganisation territoriale des services de l’Etat. Pour la Fondation iFRAP, la correction du déploiement actuel des services impose :

  • D’avancer à marche forcée sur la numérisation des services et sur l’abandon progressif pour les services de l’Etat de la logique multi-sites qui n’est pas cohérente avec l’objectif de spécialisation ;
  • De reprendre le levier des baisses de dotation de façon à hâter une réorganisation des services régionaux rationnelle sur la base du dispositif bonus/malus, en développant un indice de mutualisation qui tienne compte de la mise en cohérence avec l’implantation des services de l’Etat.

La rationalisation de la carte des syndicats intercommunaux au milieu du gué

La rationalisation de la carte syndicale est une politique de longue haleine. De 2010 à la fin 2015 sous l’effet de diverses dispositions (dissolution en cas de dévolution de compétences à des EPCI, transformation en EPCI, fusions, etc.) a vu leur nombre se réduire de 22%, passant de 14.368 à 11.187 structures. Désormais au 1er janvier 2016, les effectifs syndicaux se répartissent comme suit :

Strates de densité des départements

Nombre de syndicats de la strate

Population moyenne des syndicats de la strate

Départements urbains >500 hab./km²

868

120 257

Départements 100 à 499 hab./km²

3 574

9 578

Départements 50 à 99 hab./km²

3 816

4 291

Départements ruraux (<50 hab./km²)

2 929

3 049

Total

11 187

 

 Source : Cour des comptes (2016)

Il apparaît alors clairement que la très grande concentration de syndicats intercommunaux se trouve dans les départements dont la densité est comprise entre 50 et 500 hab./km². Par ailleurs une vision par forme juridique de syndicat peut permettre de se faire une meilleure idée du paysage syndical :

  

compétences scolaires

compétence eau potable

Autres

 

2016

Etablissements scolaires

Activités périscolaires

Transports scolaires

Total scolaire

% des syndicats

gestion de l'eau

% des syndicats

 

 

SIVU

7 992

1 779

1 526

1 197

4 502

56,33%

2 271

28,42%

1219

15,25%

SIVOM

1 149

260

280

205

745

64,84%

708

61,62%

1376

43,07%

SMF

2 046

129

111

126

366

17,89%

total

11 187

2 168

1 917

1 528

5 613

50,17%

2 979

26,63%

2595

23,20%

On observe clairement que les SIVU (syndicats à vocation unique) sont les plus importants, majoritairement constitués par des syndicats à vocation scolaire (Etablissements, Activités périscolaires, transport scolaire), et compétences en eau potable, suivi par les SMF (syndicats mixtes fermés) puis par les SIVOM (syndicats à vocations multiples).

Ainsi que le rappelle la Cour des comptes dans un récent rapport[8], l’attrition du nombre de syndicats dans la perspective d’un processus de simplification du paysage des collectivités territoriales, peut se dérouler selon deux perspectives :

  • Soit « s’en tenir à une poursuite pragmatique et différenciée de la réduction du nombre de syndicats de communes », un processus qui devrait déboucher sur un nombre final de syndicats « résiduel » ;
  • Soit fixer des objectifs quantifiés « limitatifs pour ces catégories d’établissements », donc de proposer une politique de réduction drastique et ordonnée de leurs effectifs. Dans cette logique, l’AdCF évoque une cible réaliste atteignable de 3.000 syndicats techniques opérationnels au minimum. Cela représenterait tout de même une baisse de 73,2% du nombre de syndicats actuels (11.187 entités dénombrées).

Si l’on choisit cette seconde option, il faut d’abord tenir compte des effets de la loi NOTRe n°2015-991 du 7 août 2015, qui conduit à une rationalisation du paysage syndical intercommunal en ce qu'elle poursuit l’extension des champs d’intervention des EPCI à fiscalité propre avec trois transferts de compétences :

  • S’agissant du transfert de la compétence « déchets ménagers » pour 2017 ;
  • S’agissant du transfert de la compétence de transport scolaire des départements aux régions, ce qui devrait impacter dès 2017 l’organisation des syndicats délégataires en tant qu’AO2 ;
  • S’agissant du transfert des compétences « eau » et « assainissement » pour 2020.

Ainsi que l’extension du périmètre des intercommunalités à 15.000 habitants minimum qui pourrait avoir des effets contradictoires : baisse du nombre de syndicats à partir du moment où les EPCI à fiscalité propre atteignent une taille critique qui les inclut ; en sens inverse possible création de syndicats afin précisément de conserver des compétences devenues orphelines (soit au niveau des EPCI fusionnés, soit au niveau des communes nouvelles créées, voir supra) [9]. Cependant, la réduction du nombre de syndicats pourrait avoir des effets inflationnistes sur les dépenses publiques à raison des compétences exercées, en même temps qu’être sources d’économies budgétaires ciblées.

  1. Les sources d’économies identifiées :

La réduction du nombre de syndicats et la modification de leur gestion devrait permettre de réaliser des économies budgétaires substantielles. Nous en proposons ici un petit florilège.

  • Supprimer les indemnités versées aux élus syndicaux : la Cour a pu estimer à 0,8% des recettes de fonctionnement de syndicats le coût de l’indemnisation des élus. Cela représente un montant de 82 millions d’euros. Montant qu’elle compare ensuite à celui des élus des EPCI, soit 237 millions d’euros/an. Dans un but de simplification l’article 42 de la loi NOTRe a imposé le principe de gratuité des fonctions de délégué simple mais aussi a supprimé la possibilité d’indemniser les présents et les vice-présidents de syndicats dont le périmètre restait inférieur à celui d’un EPCI à fiscalité propre (soit 15.000 personnes), ce qui visait « la quasi-totalité des petites structures syndicales actuelles » (p.49). Cette disposition n’a pas survécu à la loi de finances rectificative pour 2015 qui a prorogé les indemnités jusqu’en janvier 2017 avec effet rétroactif pour 2015, disposition invalidée par le Conseil constitutionnel, mais réintroduite et jusqu’en 2020 par la loi n°2016-341 du 23 mars 2016, passée en procédure d’urgence[10]. La question de la suppression de ces indemnités est donc toujours en suspens ;
  • Réduire le coût de gestion des comptes des syndicats : la DGFiP a estimé (2014) que l’ensemble des prestations non compensées à l’Etat des tenues de comptes syndicaux représentait un coût moyen unitaire de 1.410 euros (p.56). Pour l’ensemble des 11.187 syndicats, ce coût ressort à 16 millions d’euros. La réduction du nombre de syndicats par transfert des compétences aux EPCI devrait avoir un impact substantiel sur ce poste budgétaire pour l’Etat ;
  • Estimer les gains bruts de mutualisation en cas de transfert vers des EPCI : il s’agit on le répète de gains bruts, car il existe en pendant des coûts de fusion. La Cour estime cependant que sur une base de mutualisation des dépenses d’achats courants des syndicat (2,6 milliards d’euros en 2004) et à raison d’un gain de mutualisation estimé par l’IGF à 5%[11], une mutualisation systématique permettrait des gains maximaux de 130 millions d’euros. Cette pratique pourrait être complémentaire d’une recherche de mutualisation intersyndicales pour les entités restantes. Il faudrait pour cela faire évoluer le mode de répartition des charges, et passer d’une base forfaitaire à une répartition en fonction des coûts réels ;
  • Mettre fin aux syndicats à activité résiduelle ou inexistante : Sur le territoire métropolitain, l’examen des comptes 2013 et 2014 a permis de localiser 412 syndicats qualifiés de « dormants ». Des structures bien localisées dans 10 départements seulement. La Cour propose l’introduction d’une obligation de dissolution par simple arrêté préfectoral au bout d’un délai d’inactivité budgétaire recensé d’1 an (modification de l’article L.5212-34 CGCT) ;
  • Mettre fin aux syndicats dont les activités relèvent de la compétence des EPCI à fiscalité propre : On trouve outre l’enseignement scolaire (voir infra), le développement économique, voire la gestion de zones d’activités, qui relèvent aujourd’hui en 2016 de 315 syndicats dont 107 SIVU. Une première phase (avant remontée éventuelle au niveau de la région qui possède le chef-de-filat en la matière) devrait conduire au transfert de l’actif et du passif de ces syndicats aux EPCI compétents (les projets de territoires devant épouser les bassins d’activité) ;
  • Mettre fins aux syndicats existant de façon interstitielle par rapport aux SDIS (services départementaux d’incendie et de secours) : 164 syndicats intercommunaux (dont 119 SIVU) exercent encore des compétences de secours à raison de la survivance de dérogations posées par l’article L.1424-12 du CGCT. Il faut supprimer cette faculté posée par la loi et dissoudre les entités avec dévolution obligatoire de leur patrimoine aux SDIS compétents ;
  • Des sources d’économies budgétaires latentes dans le secteur scolaire : dans ce secteur, des syndicats sont encore aujourd’hui chargés de la construction et de l’entretien des collèges et des lycées (or le transfert de la compétence a déjà eu lieu en 1983 en direction des départements et des régions). La raison invoquée généralement est qu’en plus de ces missions, les syndicats (même SIVU[12]) peuvent au sein même de la compétence scolaire exercer le service des établissements (achats, gestion des personnels de service, etc.). Il faut désormais faire cesser ces subdélégations dans les compétences scolaires transférées et prononcer la dissolution des SIVU qui les exercent. Le problème est d’ailleurs bien connu s’agissant du transport scolaire, les départements AO1 (autorités organisatrices de premier niveau) délégant cette compétence (hors milieu urbain) indifféremment à des syndicats,  des EPCI, des associations, des communes (AO2). Désormais, la compétence exercée par les régions devrait conduire logiquement à ne plus faire déléguer cette compétence qu’à des EPCI, sauf à créer un SIVOS (syndicats intercommunaux à vocation scolaire) unique par département chargé du transport scolaire. Les EPCI pourraient d’ailleurs devenir les collectivités de référence (avec transfert de la compétence par les communes membres) en matière de RPI (regroupement pédagogique intercommunal) concernant les écoles : s’agissant des activités d’accueil, de gestion RH des personnels de service, de la restauration et des activités périscolaires[13]. Il faudrait d’ailleurs mettre un terme à la dérogation législative[14] permettant de créer des syndicats en dehors de l’interdiction posée par l’article L.5111-6 du CGCT (code général des collectivités terrritoriales) ceux prévus dans le cadre du SDCI (schéma départementaux de coopération intercommunal), en matière de construction et de fonctionnement des écoles préélémentaires ou élémentaires, d’accueil de la petite enfance ou en matière d’action sociale[15] ;
  • Des suppressions à attendre dans la gestion des déchets : les communes peuvent transférer à un EPCI ou à un syndicat mixte, tout ou partie de la collecte et du traitement des déchets. Cependant, ces transferts ne peuvent se faire que de façon ascendante et non en étoile (article. L.224-13 du CGCT) c’est-à-dire un transfert à deux prestataires distincts supposant une double adhésion (pour la partie collecte et pour la partie traitement). Cette pratique a cependant été relevée dans 59 cas en 2015.
  1. Des sources de coûts non négligeables à attendre

Des coûts sont par ailleurs clairement identifiés par la Cour s’agissant de la reprise par les EPCI à fiscalité propre des compétences liées à l’eau ainsi que des dépenses de personnel.

  • Le transfert des compétences liées à l’eau : En matière de gestion de l’eau, qu’il s’agisse de l’acheminement ou de l’assainissement, les implications de la loi NOTRe chiffrées par la Cour pourraient avoir pour effet de réduire le nombre de structures de près de 3.232 entités. Ceci étant permis par l’interconnexion croissante des réseaux qui limite le besoin de respecter la géographie des bassins versants, tandis que le transfert aux EPCI des différents contrats en cours ou a échoir devrait pouvoir trouver une solution juridique adaptée notamment à cause de la taille critique des nouveaux EPCI (15.000 habitants), bien que des coûts induits par le mode de gestion retenu in fine (gestion en régie, DSP, etc.) persistent et n’aient pas été évalués. En outre, des difficultés demeurent notamment parce que les syndicats ont sous-investi dans leur réseau d’adduction et de distribution d’eau par rapport aux EPCI. Il en ressort un écart d’investissement moyen qui pourrait être compris entre 805 millions et 3 milliards d’euros (au maximum) (p.80). Par ailleurs, le CGCT prévoit pour les acteurs ne cartographiant pas l’état de leurs installations, le doublement de la redevance versée à l’agence de l’eau compétente pour le prélèvement à la source de l’eau. Cette charge risque de se reporter sur les EPCI qui récupèreront les compétences des syndicats négligents ;
  • Par ailleurs, le freinage des dépenses de personnel de l’ensemble des syndicats ne pourra pas se faire d’un seul coup. La masse salariale des syndicats a progressé de 12% entre 2013 et 2015 tandis que dans le même temps celle des EPCI à fiscalité propre augmentait de 14%. Pour la Fondation iFRAP le freinage de la dépense salariale syndicale ne sera possible que dans la mesure où l’ODEDEL (l’objectif d’évolution des dépenses locales) inclura dans son périmètre le suivi de ces syndicats ;
  • Enfin, les coûts induits de mutualisation : il faut bien comprendre que l’intégration progressive dans les EPCI nécessitera une reprise des compétences, ce qui suppose que ces compétences deviennent obligatoires et non listées. Par ailleurs, les pratiques de gestion différentes (gratuité, paiement partiel, coût complet facturé) et le mode de prélèvement (ordures ménages REOM/TEOM), vont créer des frictions. Pour les contourner et permettre une baisse de 3.779 syndicats en 2017 puis s’attaquer ensuite au scolaire afin d’arriver à la cible de 3.000 syndicats opérationnels, il faudra nécessairement passer par d’autres modes de gestion plus agiles : entente intercommunale, prestations de services entre communes et intercommunalités, mutualisation des services et des moyens, utilisation encadrée des fonds de concours, etc.

 

2016

Appelés à disparaître

Eau

assainissement

tourisme

Accueil des gens du voyage

zones d'activités

développement économique

Autre

Solde

SIVU

7 992

4 213

2 232

1000

97

12

7

100

765

3 779

SIVOM

1 149

non chiffré

 

 

 

 

 

 

 

 

SMF

2 046

devrait augmenter

 

 

 

 

 

 

 

 

total

11 187

non chiffré

 

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion

Les éléments synthétisés ci-dessous sont édifiants. Des marges considérables de simplification existent et les chiffres qui commencent à s’infléchir significativement s’agissant du nombre des entités publiques locales, le prouvent. Il est sûr par ailleurs que la loi NOTRe y a été pour quelque chose. Cependant, les écueils actuels et à venir sont encore très importants :

  • Les élus locaux et les administrations déconcentrées de l’Etat ont tout fait pour ne pas se coordonner, ce qui aboutit naturellement, au nom d’un théorique « équilibre territorial », à des situations en pratique largement sous-optimales. Des situations qui ne résisteront pas à la prochaine vague de rationalisation que la Cour des comptes, notamment, appelle de ses vœux ;
  • Par ailleurs, la recherche des économies suppose une approche coordonnée entre les collectivités territoriales et leurs interlocuteurs étatiques, préfectures (qui assurent elles aussi leur mue), DGCL et DGFiP. Sans volonté politique réelle et ferme, il est difficile d’imaginer des effets d’économies importants ;
  • Enfin, il faut continuer à « mettre sous contrainte » les appareils administratifs. Cela passe par la suppression autoritaire des entités « dormantes », mais aussi par l'instauration de nouveaux boni de mutualisation et de rationalisation, ce qui suppose également une nouvelle vague de baisse potentielle des dotations de l’Etat, sans augmentation parallèle de la fiscalité, et que celle-ci soit programmatique afin de ne prendre aucun responsable par surprise. Cette restructuration massive ne pourra avoir lieu sans une baisse considérable du nombre de mandats et d’élus (EPCI, syndicats, communes/communes nouvelles), ce qui pourrait aboutir à une baisse considérable des sommes allouées à leur rémunération.

[1] Voir rapport de C.MANABLE et de F.GATEL, Les communes nouvelles, histoire d’une révolution silencieuse : raisons et conditions d’une réussite, Sénat, 28 avril 2016, https://www.senat.fr/rap/r15-563/r15-5631.pdf

[2] Les communes du Maine-et-Loire ont ainsi été réduites de 30% entre 2015 et 2016, passant au 1er janvier de 357 à 250 communes.

[3] Entre le 1er janvier 2013 et le 1er janvier 2015 seules 25 communes nouvelles avaient vu le jour !

[4] Ainsi en est-il du Grand Dijon depuis le 1er avril 2015, tandis qu’aujourd’hui sont concernées les villes de : Amiens, Caen, Châlons-en-Champagne, Besançon, Limoges, Metz et Poitiers, pour une transformation en CU au 1er janvier 2017.

[5] S’agissant de cette congruence imparfaite, volontairement « sabotée » par certains élus, voir les rapports concernant la réorganisation des services de l’Etat : Le rapport des préfets de région Bourgogne et Franche-Comté en date du 31 mars 2015, http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/liseuse/4141/master/projet/Raport-des-Pr%C3%A9fets-des-r%C3%A9gions-Bourgogne-et-Franche-Comt%C3%A9-.pdf, ainsi que le rapport de l’IGF, d’avril 2015 également, l’évolution de l’organisation régionale de l’Etat consécutive à la nouvelle délimitation des régions, http://www.igf.finances.gouv.fr/webdav/site/igf/shared/Nos_Rapports/documents/2014/2014-M-078-02.pdf

[6] En la matière la Normandie est plus attentiste, puisqu’elle attend les prochaines élections syndicales en octobre 2016 pour entamer la convergence des régimes indemnitaires des personnels des deux anciennes régions.

[7] Indépendamment de la question d’une éventuelle réversion au département de l’excédent de la part de CVAE transférée en cas de rendement (dynamisme de la recette fiscale) supérieure à la charge à couvrir…

[8] La carte des syndicats intercommunaux (SIVU, SIVOM, SMF), une rationalisation à poursuivre, juin 2016. https://www.ccomptes.fr/Accueil/Publications/Publications/La-carte-des-syndicats-intercommunaux-une-rationalisation-a-poursuivre

[9] Même si on l'a vu plus haut, cette extension de périmètre pourrait paradoxalement conduire sans contrôle à une extension du nombre des syndicats à cause de la grande différence de compétences exercées par les intercommunalités préalablement à la fusion.

[10] http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl15-284.html, loi introduite initialement pour améliorer le droit à la formation des élus, voir http://jgourault.fr/2016/03/11/retablissement-des-indemnites-des-presidents-et-vice-presidents-des-syndicats-jusquen-2020/

[11] Voir rapport IGF, les mutualisations au sein du bloc communal, décembre 2014.

[12] Dans la mesure où la compétence scolaire est réputée « sécable »… donc démembrée ou exercée en bloc.

[13] Cette congruence serait la bienvenue car elle permettrait de rationaliser davantage encore dans la perspective de la politique que la Fondation iFRAP appelle de ses vœux en matière d’enseignement scolaire : la décentralisation de l’Education nationale, notamment s’agissant du recrutement et de la gestion RH, les programmes et l’inspection restant de la compétence du niveau national.

[14] Loi n°2012-281 du 29 février 2012 visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale.

[15] Cette dernière compétence est d’ailleurs en voie de très forte rationalisation, voir notamment notre note du 24 mars 2016, CCAS : la rationalisation a commencé, qui pourrait aboutir à la création de 1.808 CIAS si le cadre d’action intercommunal était retenu comme seul légitime.