Tribune

Les immigrés viennent-ils en France pour travailler ?

En matière d’immigration, en France le travail n’est jamais central. C’est une grave erreur. Si le rejet du projet de loi immigration est un échec pour le gouvernement, c’est aussi l’opportunité pour renforcer un texte qui souffre d’une absence de clarté et de l’incapacité des pouvoirs publics de se saisir des questions régaliennes. Dans une étude à paraître, la Fondation IFRAP a analysé les dernières données disponibles et comparé les caractéristiques de notre population immigrée à celles de nos voisins européens. Plusieurs tendances émergent.

Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le lundi 18 décembre 2023.

En parallèle des débats sur la loi immigration, les négociations sur le budget 2024 confirment le sous-investissement dans notre politique d’éloignement. En 2023, 44 millions d’euros étaient versés dans cette politique pouvant faire respecter 20 000 OQTF, loin des 180 millions d’euros qui seraient a minima nécessaires. En face, 900 millions d’euros sont versés en subventions aux 1 350 associations qui assurent des missions d’accueil, d’accompagnement et d’assistance juridiques (notamment pour des recours contre les OQTF) auprès des immigrés.

Au final, ces subventions ont été multipliées par trois depuis 2016 (de 306 à 981 millions) quand le nombre de reconduites à la frontière a été divisé par trois (de 22,3 % à 7 %). La conséquence première ? Le non-respect des OQTF est désormais normalisé avec seulement 6,9 % des obligations respectées au troisième trimestre 2023, très en dessous du taux avant la crise du Covid : 19 % en 2019, un taux déjà anormalement faible ! Cela veut dire que, tous les ans, 75 000 individus environ se maintiennent sur le territoire… Mais les statistiques sur le nombre de personnes présentes illégalement sur le sol français ne sont même pas correctement évaluées par le ministère de l’Intérieur (ou ne sont pas rendues publiques ?) contrairement à ce qui se pratique au Royaume-Uni et en Allemagne. Le ministère de l’Intérieur évoque 600.000 à 700.000 individus mais la Fondation IFRAP estime ce stock entre 780.000 et 900.000 individus dont 400.000 arrivées nettes depuis 2015. Soit un quasi-doublement du nombre d’illégaux en sept ans.

À côté de l’immigration illégale, il y a l’immigration légale qui concerne 4,5 millions d’individus avec un titre de séjour valide dont 700.000 nouvelles arrivées depuis 2015. Alors qu’on se focalise sur l’article 3 de la loi qui souhaite régulariser les clandestins qui travaillent avec un risque évident d’effet d’aubaine, il manque, dans le débat sur l’immigration, le sujet du travail des immigrés légaux. Notre immigration légale est plus âgée : en 2020, en France, 25 % de la population non native avait plus de 65 ans contre 15 % en Europe. La France est l'un des rares pays où la part de non-natifs de plus de 65 ans est supérieure à celle des natifs : 25 % contre 19,4 % (contre 15 % et 21,1 % en Europe). Et cette population augmente en France alors qu'elle diminue en Europe : par exemple - 9,6 % en Allemagne… pays où aucun minimum vieillesse n'était en place jusqu'en 2021.

Renouer un lien entre immigration et travail

Notre immigration légale arrive principalement pour des raisons familiales : selon les données de l’OCDE et hors migrations de citoyens européens, les arrivées pour une raison de « famille » ont représenté 41 % des entrées sur le territoire français de 2005 à 2020 : ce qui nous place en première position en Europe, tandis que le travail n’a concerné que 10,5 % des arrivées en France sur la période. Les personnes immigrées en France sont plus au chômage qu’ailleurs en Europe : en 2021, en France, la population d’origine étrangère affichait un taux de chômage de 12,3 % contre 7,9 % pour la population nationale. Cet écart existe dans presque tous les pays mais la situation française se démarque par une différence de 5 points entre ces deux populations, au-dessus de l’écart constaté ailleurs en Europe, et de 4 points au-dessus du Royaume-Uni. Ramener le taux de chômage des non-natifs installés en France dans la moyenne européenne reviendrait à ce qu’environ 50.000 d’entre eux renouent avec l’emploi, 120.000 dans le cas d’un alignement sur le taux britannique.

Pour la Fondation iFrap, la colonne vertébrale de la loi immigration devrait être de renouer un lien entre immigration et travail. Prenons l’exemple canadien : depuis 2012, le pays a doublé la part de sa population immigrée avec un seul mot d’ordre « priorité aux travailleurs » (via un permis à points qui prend en compte l’âge, les études et la maîtrise de l’anglais). Entre 2005 et 2020, 60 % des arrivées avaient un motif de travail et 26 % concernaient l’accompagnement d’un travailleur. Cette stratégie a permis de réduire l’écart de taux d’emploi entre les natifs et les non-natifs depuis 2010, tandis que le revenu annuel de la première année d’immigration augmentait de 39 %.En Europe, le Portugal nous montre l’exemple d’un pays où, sans dérogation au droit européen, 30 % des arrivées depuis 2005 avaient une raison de « travail », c’est la première place en Europe. Le système est simple : l’obtention d’un permis de résidence, à renouveler tous les ans, est directement liée à un contrat de travail.

Cette fermeté n’empêche pas le pays d’exercer une politique de regroupement familial généreuse : 35,7 % des arrivées avaient ce motif mais chaque demande est conditionnée au permis de résidence du demandeur… lui-même conditionné à un contrat de travail. Conditionner les arrivées à un emploi stable, c’est garantir, à la fois, une meilleure intégration et de meilleurs revenus aux immigrants tout en leur évitant de dépendre du système de protection sociale. Dans une approche semblable, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, faire une demande d’aides sociales peut remettre en cause le permis de résidence ou son renouvellement et ce, jusqu’à cinq ans après sa délivrance aux Pays-Bas. Pour rappel, en France, les prestations « nationales » versées aux étrangers réguliers représentent entre 6 milliards et 7 milliards d’euros. Quand allons-nous revoir notre politique migratoire pour que les arrivants légaux en France viennent dans notre beau pays avant tout pour travailler ?