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Les dépenses publiques non maîtrisées mènent sûrement à la récession

Maîtriser les dépenses publiques vaut mieux qu'augmenter les impôts

Samedi matin, interview de Thierry Laborde sur France Inter [1]. Thierry Laborde, c'est le Monsieur crédit à la consommation, le patron de BNP Paribas Personal Finance (Cetelem), le numéro 1 du secteur. Il a une opinion tranchée, froide et professionnelle. Il constate que le crédit à la consommation a chuté brutalement, d'un encours de 45 à 35 milliards en ce qui concerne Cetelem. Pourquoi ? Les Français ont parfaitement compris ce qui se passe : ils doivent constituer des réserves en prévision des hausses d'impôt inéluctables. Donc ils thésaurisent au lieu de consommer, et d'ailleurs Cetelem, dans sa logique d'entreprise, développe des produits d'épargne et d'assurance pour répondre à cette nouvelle demande. Et il poursuit : aussi longtemps que les Français constateront que les dépenses publiques ne baisseront pas, ils penseront que les impôts augmenteront, et se dirigeront vers la constitution d'épargne plutôt que la consommation.

La baisse de 10 milliards qu'il constate, c'est directement le même montant qui ne se retrouve pas dans le PIB, soit 0,5% de ce dernier, au moment où l'on est en train d'ergoter pour savoir si ce même PIB diminuera ou non de 0,1%. L'opinion de Thierry Laborde sur le déblocage de la participation/intéressement ? Les sommes dégagées ne seront utilisées que de façon très minoritaire vers la consommation, la plus grande partie sera thésaurisée [2]. C'est clair, et ça fait froid dans le dos.

Ce lundi, Henri de Castries, patron du géant AXA, présent dans 57 pays, délivre le même message dans Les Echos : la France est le pays où le groupe paye le plus de charges sociales et fiscales, et les nouvelles mesures ont encore alourdi cette charge de 170 millions, sur un total de plus de 2 milliards, à comparer avec un résultat net d'un milliard : "autant d'argent que nous ne pouvons pas consacrer au financement de l'économie française et au développement de l'emploi". La taxe sur les activités financières ? Une "balle dans le pied". Encore :"Tant que les dépenses publiques ne baisseront pas, l'avalanche de prélèvements continuera". Il faut donc, une "réduction significative des dépenses de fonctionnement de l'État, une baisse des prélèvements obligatoires et la mise en œuvre d'un programme de réformes structurelles".

On n'est pas obligé de croire ni Thierry Laborde ni Henri de Castries lorsqu'on est au pouvoir, ou économiste féru de keynésianisme et de relance, et ennemi de l'austérité. On ferait bien de se méfier quand même de ce que disent en même temps deux poids lourds de la bancassurance française, même si on est celui qui s'est juré de mettre la finance au pas.

Le scénario catastrophe qui se dégage est évidemment le suivant :

En voyant ce scénario, les ennemis de l'austérité pourraient-ils s'estimer confortés dans leur analyse ? Si l'on comprend bien le message de Thierry Laborde, ce serait tout le contraire. L'économie française a toujours été soutenue par la consommation interne, c'est un fait. Mais l'axiome est-il encore valable ? N'assistons-nous pas à un changement de comportement ? A savoir que les Français ne croient plus qu'il suffise de distribuer des richesses monétaires pour continuer à consommer pareillement, parce que la distribution de ces richesses ne peut se faire que de façon non tenable à terme, en augmentant les dépenses publiques et donc le déficit public. Autrement dit, la confiance dans le modèle traditionnel se perdrait chez les Français, et pas seulement chez les économistes partisans de l'orthodoxie budgétaire.

Le phénomène est d'autant plus remarquable que l'austérité, comme chacun sait, n'a pas encore commencé en France, que le pouvoir d'achat n'a pas vraiment baissé, et que les salaires et pensions n'ont encore subi aucune diminution, à la différence de ce qui se passe dans les autres pays européens. Mais précisément, les Français ne se disent-ils pas qu'ils n'échapperont pas à ce que leurs voisins subissent ? Dès lors toute relance par le maintien, en fait la hausse des dépenses et déficits publics que l'on constate, ne ferait que nous plonger encore plus dans le scénario catastrophe que nous évoquons, par augmentation des craintes pour l'avenir et des anticipations négatives.

Finalement, plus le gouvernement (en tout ou en partie !), parle de mettre fin à l'austérité et cherche par exemple à se démarquer de l'Allemagne, moins les Français y croient, et plus ils y voient la nécessité de se prémunir. Il n'y a rien de pire qu'une menace crédible…

L'atout actuel du gouvernement est bien entendu, et de façon inattendue, que nous pouvons augmenter nos déficits sans crainte en raison des très faibles taux d'intérêts payés sur notre dette souveraine. Mais cette situation est due au fait que le monde est pour le moment submergé de liquidités déversées en particulier par les États-Unis… politique keynésienne s'il en est. Combien de temps cela durera-t-il, si la croissance parallèle des richesses n'est pas au rendez-vous ? Et là aussi, les Français ne seraient-ils pas dupes ?

Il y a un savant débat d'économistes et entre gauche et droite, sur l'austérité et l'efficacité respectives de l'augmentation des impôts pour maintenir la politique de redistribution par rapport à la réduction des dépenses publiques. Les deux ont certes un effet récessif. Mais la politique actuelle de ne pas toucher sérieusement aux dépenses publiques, et de faire des impôts la variable d'ajustement à des dépenses qui continuent à augmenter paraît bien avoir effectué le mauvais choix économique. Parce que les impôts ne montent pas, eux non plus, au ciel, parce que les entreprises françaises, qui détiennent déjà le record européen de faiblesse du taux de marge, subissent le plus gros du coup de massue alors que ce sont elles qui déterminent l'emploi, et parce que la politique de la demande ne mène à rien si les Français cessent de consommer et thésaurisent.

L'économiste Jean-Marc Daniel rappelait ces jours-ci la réflexion de Ledru-Rollin pendant la révolution de 1848 : "il faut bien que je les suive puisque je suis leur chef" ! En favorisant le maintien du pouvoir d'achat et la croissance par la consommation, François Hollande a pu aussi se dire qu'il devait suivre les revendications traditionnelles de la gauche française. Mais précisément le message que lui adresse maintenant le peuple français ne serait-il pas, à l'inverse, qu'il a lui aussi compris, à l'instar de ses entrepreneurs et d'un Henri de Castries qui demande à "sortir du déni de réalité", qu'il fallait faire demi-tour sur une route qui n'est qu'une impasse ? Dans ce cas, François Hollande ne devrait pas avoir de mal à suivre ceux dont il est le chef. Et tant pis pour les apparatchiks !

[1] Par Alexandra Bensaid, dans l'émission « On n'arrête pas l'éco ».

[2] On peut ajouter que la partie qui sera consommée viendra comme d'habitude en bonne proportion augmenter les importations de biens au lieu de soutenir l'économie française.