Actualité

Les besoins de nos armées réclament un budget de la défense à 3 % du PIB

Grand paradoxe: en France, où l’État est omniprésent, il semble bien que le sujet de la sécurité extérieure, de la défense et de la dissuasion soit devenu le parent pauvre de nos finances publiques. C’est pourtant la première raison d’être de l’État que d’assurer la sécurité de ses habitants. Las, l’État-providence a souvent pris le pas sur l’État régalien. Aujourd’hui, la puissance publique rime plus avec la protection sociale au sens large: près de 31 % du PIB y est consacré (la moyenne de l’OCDE est à 20 %), soit un total de 812 milliards d’euros (dont 763 milliards de prestations) en 2019 par rapport à 1 347 milliards de dépenses publiques la même année.

Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le vendredi 27 mai 2022.

L’effort de défense n’a pas échappé aux effets d’éviction provoqués par cet immense flot de dépenses sociales. Systématiquement perdantes au regard du contexte budgétaire contraint, les dépenses consacrées aux armées ont été divisées par deux en trente ans. En 2019, la France consacrait 1,85 % de son PIB à la défense, un chiffre supérieur à la moyenne européenne (1,39 %), et notamment à notre voisin allemand (1,27 %), mais pas si élevé que cela, considérant le modèle d’armée, incluant la dissuasion, que nous possédons. La même année, le Royaume-Uni était déjà à 2 %, les États-Unis à 3,43 % et la Russie à 3,83 %.

La situation internationale critique que nous connaissons met en lumière les atouts mais aussi les lacunes criantes de nos forces armées. Pourrions-nous affronter une puissance militaire conventionnelle hostile, même dans le cadre d’une coalition? Serions-nous capables de défendre nos intérêts nationaux en toutes circonstances, sans monter jusqu’au seuil nucléaire, y compris dans nos territoires d’outre-mer? Des parcs de matériels bien trop restreints et souvent vieillissants, des unités de combat trop peu nombreuses, des stocks de munitions et de rechange faibles en font largement douter.

Nous sommes acculés dans un modèle d’armée complet mais échantillonnaire par incapacité à allouer les moyens financiers nécessaires: nous avons de tout, mais en petites quantités, nous rendant incapables de durer. Cela sans compter nos retards d’investissements dans un certain nombre de domaines, notamment les drones, la défense sol-air, la logistique, le spatial ou le cyber, par exemple.

La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 a acté une augmentation du budget de 1,7 milliard d’euros supplémentaires chaque année, de 2018 à 2022. Un objectif quasiment respecté entre 2019 et 2021 en exécution, même si une suppression de 346 millions d’euros de crédits lors du plan de résilience a été annoncée par l’exécutif fin mars 2022.

L’effort principal a été prévu pour le quinquennat qui commence, notamment dans les années 2023 et 2024, avec une hausse de 3 milliards d’euros annuelle. Ces efforts doivent permettre à la France de consacrer, de façon pérenne, l’équivalent de 2 % de sa richesse nationale à son effort de défense. Il s’agit là, d’ailleurs, d’une obligation pour les membres de l’Otan. Ce qui signifie 50 milliards d’euros environ pour la France. En 2019, le budget de défense représentait seulement 35,9 milliards d’euros hors pensions. Si l’on peut reconnaître à la loi de programmation militaire actuelle d’avoir arrêté la dégringolade, l’effort est insuffisant pour renouveler en profondeur nos capacités.

Retour sur investissement

L’invasion de l’Ukraine a remis en perspective le calendrier de financement des armées. Nous devons accélérer les hausses budgétaires et la montée en puissance, sans attendre d’hypothétiques lois de programmation de renforcement trop lointaines. Considérant les besoins de renouvellement des matériels (dont le nucléaire), un budget de la défense à 2 % du PIB est loin d’être la panacée dans un contexte de tensions au niveau mondial. La France se doit d’être ambitieuse. Nos besoins en équipements nous imposent plutôt de nous projeter vers une dépense de défense à 3 % du PIB par an à l’horizon 2030-2035.

Au-delà de la trajectoire annuelle de 3 milliards d’euros supplémentaires, c’est une enveloppe de 50 milliards d’euros sur la période 2023-2030 qu’il faudrait viser afin de densifier les forces et les parcs de matériels en cohérence avec les contrats opérationnels, reconnus depuis des années comme largement caduques. Nous pourrions passer la force opérationnelle terrestre (FOT) de 77.000 à 100.000 hommes, recruter quelque 15.000 hommes supplémentaires dans les unités de soutien en conséquence, disposer d’un parc de 300 Rafale (1), passer de 15 à 20 frégates de premier rang, renouveler la flotte de frégates de surveillance par des navires bien mieux armés ou encore doubler la flotte de patrouilleurs.

L’acquisition de ces matériels, majoritairement conçus et fabriqués en France, créerait un retour sur investissement pour notre industrie mais aussi pour les finances publiques grâce aux créations d’emplois et à la revitalisation des territoires. 78 milliards d’euros de budget total en 2027 et 116 milliards en 2035 pour la défense, c’est l’ambition que nous nous devons d’avoir. Nos investissements militaires ne peuvent plus être la variable d’ajustement de nos finances publiques.