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Gardes des médecins de ville : 87% des départements ont des zones blanches

Entre des services d’urgences débordés et une baisse des effectifs de médecins, la permanence des soins (gardes) est de moins en moins bien assurée en France. De minuit à 8 heures, seulement 23% du territoire est couvert par des médecins. Face à cela, le gouvernement vient de revenir sur la fin de l’obligation des gardes pour les médecins libéraux accordée en 2002. Aujourd’hui, seulement 5,2% des médecins libéraux participent à la permanence.

La permanence des soins : c’est quoi ?

La permanence des soins est un principe qui organise une prise en charge, en permanence, des soins ambulatoires non programmés pratiqués entre 20 heures et 8 heures.

En 2002, suite à une grève menée par les syndicats de médecins libéraux, la fin de l’obligation des gardes de nuit et le week-end (avec l’affichage des numéros des médecins de garde en pharmacie) avait été décidé par le ministre de la Santé, Jean-François Mattei. L’une des revendications principales des médecins concernaient la faiblesse des modalités d’indemnisation du service de garde et pour les volontaires restants, une augmentation de 20 euros du tarif avait été accordée. Depuis 2003, les heures d'astreinte des médecins étaient gérées par les Autorités régionales de santé (ARS), qui organisent les emplois du temps de toute la médecine ambulatoire et, pour les médecins non hospitaliers, sur la base du volontariat. L’objectif de la fin de l’obligation de garde était destiné à rendre le métier de généraliste plus attractif. Pourtant, rien que sur les 10 dernières années (2010-2020), le nombre de médecins généralistes a baissé de plus de 8 000 effectifs.

La conséquence principale de la fin de la permanence des soins imposée a été de, considérablement, faire porter cette charge sur le système hospitalier français et notamment les urgences. Entre 2002 et 2015, le nombre de passages aux urgences a augmenté de 42%[1]. En 2014, la Drees estimait que 10 à 20% des passages ne servaient à rien et que 60 à 70% des passages concernaient des patients en état stable qui n’avaient pas pu ou pas voulu consulter un médecin en extérieur. D’autres facteurs comme le vieillissement de la population et la baisse du nombre de généralistes ont également joué sur la pression qui pèse aujourd’hui sur les urgences françaises. Une pression qui a, certainement, aujourd’hui mené les pouvoirs publics à revenir sur la décision de 2002.

En avril 2021, la loi Rist, visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification et a été adopté… mais un amendement de cette loi déposé le 12 janvier 2023 et adopté le 19 janvier, vient de rétablir la permanence de soins ambulatoires, cette fois-ci supervisées par le Samu. Un retour en arrière qui fait monter la gronde chez les médecins libéraux, d’autant qu’elle s’associe à une autre proposition portée par le député socialiste Guillaume Garrot et déposée le 18 janvier 2023. Si la proposition de loi n’a pas été adoptée pour le moment, elle préconise de restreindre la liberté d’installation des généralistes afin de lutter contre les déserts médicaux. Une proposition qui démontre qu’entre la crise de l’hôpital public et la fronde des médecins libéraux, l’écosystème de la santé en France arrive dans une impasse, illustrée par les débats autour de l’astreinte.

La participation des médecins libéraux à la permanence des soins est une nécessité, surtout devant la détérioration du dispositif pendant la nuit profonde (de minuit à 8 heures). On est d'ailleurs loin de la situation de 2002 puisque la généralisation de la téléconsultation doit permettre un allègement et une simplification de la charge de travail. On notera, d'ailleurs, qu'AXA propose déjà un système de garde 24h/24 exclusivement en téléconsultation. Une piste à retenir... à condition de revoir les rémunérations des médecins mobilisés. 

Entre minuit et 8 heures, seulement 23% du territoire assure une permanence des soins

Le Conseil national des médecins et la Drees affichent ses données concernant les médecins :

  • En 2021, les médecins généralistes volontaires pour assurer la permanence des soins représentent 38,5% des effectifs du dispositif : 24 472 médecins volontaires sur 63 231 médecins susceptibles de participer à la permanence des soins ambulatoires.
  • Concernant ce taux de participation des médecins généralistes à la permanence des soins ambulatoires « une grande hétérogénéité est observée au niveau départemental avec un minimum de 6% pour Paris et un maximum de 82% pour les Vosges »[2].
  • En 2022, sur les 99 941 médecins généralistes, 57 033 exerçaient en libéral exclusivement (soit 57%). De cet effectif, ils étaient 5,6% à participer à la régulation de la permanence des soins ambulatoires, en 2021, soit 3 268 médecins dont 647 médecins salariés, retraités ou remplaçants.

Aujourd’hui, la permanence des soins est relativement bien assurée les week-ends, les jours fériés et en soirée (jusqu’à minuit) avec un taux de couverture des médecins qui oscille entre 95 et 96%, en moyenne sur le territoire. Mais ce taux descend à 23% pour les nuits profondes (de minuit à 8 heures). D'ailleurs, pour ces horaires, 87% des départements présentent des « zones blanches ».  

Concernant la rémunération des médecins qui participe à la permanence des soins, les montants sont déterminés par région, via les ARS et ne peut être inférieurs à 70 euros de l’heure. En 2021, le forfait horaire pour la participation à la permanence est payé entre 75 et 150 euros selon les créneaux et les territoires. Le maximum étant atteint en région Auvergne-Rhône-Alpes pour les permanences de minuit à 8 heures.

En face, il faut rappeler que le prix d’une consultation chez un généraliste conventionné (99% du secteur) est fixé à 25 euros l’un des tarifs les plus bas en Europe. Pour rappel, la consultation est à 75 euros en Allemagne, 95 euros minimum au Royaume-Uni et oscille entre 45 et 70 euros en Espagne et en Italie. Aujourd’hui, alors que les médecins demandent à faire passer le tarif de la consultation à 50 euros, la Cnam propose une revalorisation à 26,5 euros mais jusqu’à 30 euros pour les médecins qui accepteraient un « contrat d’engagement territorial » pour lutter contre les déserts médicaux.

Comment la permanence des soins est assurée à l’étranger ?

En Allemagne, c’est au niveau des régions, Länder, que la répartition est organisée[3]. En soi, le système allemand est assez proche du nôtre : les demandes de prise en charge sont gérées par un service privé, l’indemnisation des gardes fonctionne de la même manière, le territoire est divisé en zones de permanence des soins. Mais outre-Rhin, le roulement des gardes y est obligatoire, et la continuité des soins est totale.

L’Espagne suit un modèle similaire à l’Allemagne, également géré au niveau des régions et où le médecin sous contrat de service public doit faire au moins 50 heures d’astreinte par mois, dont 12, le week-end.

En Suède, la continuité des soins est gérée par le Conseil de comté. Les médecins ont un nombre d’heures fixe, à savoir 40 heures par semaine. Au-delà, ce sont des heures supplémentaires, avec une autre grille de rémunération. Les gardes sont donc assez rares chez le médecin de ville classique, donc des centres de soins accueillent les patients en dehors des horaires d’ouverture. En revanche, les visites à domicile sont réservées à des cas exceptionnels.

En Italie, des autorités locales s’occupent de la permanence des soins. Les medici di continuità assistenziale, souvent en début de carrière, relaient les médecins généralistes en dehors des horaires d’ouverture. De plus, les médecins généralistes peuvent aussi se porter volontaires pour les gardes, mais disposent d’un contrat de travail distinct pour ces heures.

Au Royaume-Uni, le NHS laisse le choix aux médecins d’exercer en dehors des horaires d’ouverture. Mais en même temps, il recrute d’autres médecins si jamais aucun médecin principal n’est volontaire. Ainsi, ces derniers sont fortement incités à poursuivre leur activité. Si cette concurrence semble bien fonctionner en Angleterre, les médecins généralistes écossais délaissent les gardes et la fin de la permanence des soins obligatoire en Ecosse a poussé les autorités de Santé à donner un coup de pouce au niveau de la rémunération à ceux qui assurent les gardes.


[1] Sénat, Les urgences hospitalières, miroir des dysfonctionnements de notre système de santé, juillet 2017

[2] Conseil national de l’ordre des médecins, Enquête sur la permanence des soins ambulatoires, décembre 2021.

[3] Hartmann, Laurence, Philippe Ulmann, et Lise Rochaix. « Régulation de la demande de soins non programmés en Europe. Comparaison des modes d'organisation de la permanence des soins en Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède », Revue française des affaires sociales, no. 2-3, 2006, pp. 91-119.