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En finir avec le libéralisme à la Française

Libéralisme contre connivence

Avec un titre aussi évocateur, Guillaume Sarlat, polytechnicien et ancien inspecteur des finances, directeur à Londres d’une société spécialisée en stratégie d’entreprise, semble s’en prendre frontalement au libéralisme et à ses dérives. Si cet ouvrage se résumait à cela, il ne serait bon qu’à ranger dans la pile des publications dites « économiques » qui viennent le plus souvent apporter un vernis conceptuel aux contempteurs du système et aux déçus de la mondialisation. En réalité l’ouvrage dont on se propose de faire la critique est bien plus que cela, ou plutôt est bien autre chose… ce qui le rend bigrement intéressant. Disons-le d’amblée, En finir avec le libéralisme à la française (Albin Michel 2015), peut induire en erreur. Structuré en deux parties, constats/solutions, celui-ci s’en prend bien plus à l’État de connivence cher à Jean-Marc Daniel, plutôt qu’au libéralisme en tant que tel. Il dénonce par ailleurs un État désormais replié sur le social, dont l’action vise à compenser les effets d’une libéralisation mal calibrée issue directement des années 1984-1986. Ce que l’auteur dénonce est donc avant tout un partage des rôles malsain :

  • D’un côté un libéralisme « à la française », mal régulé qui fait peser un poids de précarité important sur la population au travail, sans pour autant prévoir les « flexibilités » qui permettraient de précisément ne pas exclure longtemps de l’emploi les plus précaires. Un « libéralisme » de façade qui fait la part belle aux grands groupes sans mettre en place le tissu d’ETI et de PME permettant un jour d’en renouveler la substance ;
  • D’un autre côté un État qui régule mal, où le régulateur est souvent en situation de conflit d’intérêt avec le régulé (situation notamment due et dénoncée par l’auteur comme le résultat d’une endogamie importante des élites, entre la Haute fonction publique et les grandes entreprises (industrie/banque) issues des mêmes écoles) ; ce défaut de régulation, induisant par certains aspects un défaut d’intervention, obnubilé qu’il est par la question « des finances sociales » qui paralyse ses budgets et paralyse son action. Les partenaires sociaux s’en trouvent délégitimés, l’étatisation des comptes ne parvient pas à réduire durablement la dépense, tandis que la dette publique sert de clé de voûte au système et réconcilie par sa gestion malheureuse les deux France (France du privé notamment Banque/Assurance qui peut placer ses liquidités, en vertu des nouveaux ratios de Bâle III et de Solvency II ; et un État impécunieux qui n’éprouve pas le besoin de véritablement se serrer la ceinture et qui confond sous couvert du principe d’unité de caisse, dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement tout en « étatisant » la dette issue des dépenses de transferts sociaux.

On comprendra dans ces conditions que cette « bipolarisation » de la France est intrinsèquement malsaine et conduit à l’immobilisme et au conservatisme, ce qui ne rend pas notre pays apte à s’intégrer harmonieusement à la mondialisation. Il évite par ailleurs de dégager les fonds nécessaires au financement des dépenses stratégiques (dictature du court terme), ce qui empêche l’État de jouer véritablement son rôle de prospecteur à long terme (État stratège).

Un constat accablant : lorsque l’État de connivence dévoie le libéralisme :

Au départ était la Dette. C’est dans cette perspective (p.32) que l’auteur place une analyse très intéressante de la dette publique gérée par France Trésor, son analyse est limpide : « Pourquoi ce mélange et cette confusion entre dettes de fonctionnement et d’investissement ? La réponse communément donnée est que l’unicité de caisse, en centralisant l’émission de la dette publique, permettrait d’obtenir le « meilleur prix » c’est-à-dire les taux les plus bas. La véritable réponse est tout autre : cette confusion offre plus de flexibilité à l’État, qui peut ainsi utiliser les fonds apportés par les créanciers comme bon lui semble [nous soulignons ndlr] et ne doit rendre compte à ces mêmes créanciers de leur utilisation que de manière globale ». Il en ressort cinq effets pervers :

  • Tout d’abord cette gestion déresponsabilise les administrations vis-à-vis des créanciers de l’État en assurant la confusion entre celles qui sont plus dépensières et celles qui le sont moins[1] ;
  • Ensuite cette gestion conduit l’État à devenir encore plus court-termiste et à allouer la dette dans l’urgence aux dépenses de fonctionnement plutôt que d’investissement. Elle renforce la dynamique des PPP (partenariats public-privé) qui conduit à « rigidifier » les dépenses courantes en transformant des dépenses d’investissement en dépenses de fonctionnement ;
  • Cette dérive induit une pression accrue des marchés sur l’ensemble des APU, puisque le coût de la dette devient le critère majeur de financement des dépenses publiques à court terme (indépendamment des effets taux bas, toujours transitoires). L’État devient alors vulnérable au rating et à l’évolution des taux d’intérêt ;
  • Techniquement, la dette de la France présente un problème de maturité (moyenne 7 ans), trop longue pour financer des dépenses courantes, mais trop courte pour financer des investissements publics ;
  • Elle présente également un aplatissement de la courbe des taux (courts et longs entre 1 et 10 ans), ce qui a des conséquences sur l’économie dans son ensemble en envoyant de mauvais signaux : « ce dernier point est très loin d’être anecdotique : les taux des obligations publiques, aux différentes maturités, constituent la « courbe des taux sans risques », qui sert ensuite de référence pour toute l’analyse financière, notamment pour les calculs de coût du capital et de rentabilité du secteur privé. C’est donc l’ensemble des décisions d’investissement de l’économie qui sont perturbées par ce comportement. (p.35) »

Court-termisme, impécuniosité liée au « tropisme du social » assuré par la crise de l’État providence, l’État déstabilise le financement de l’économie en agissant comme un siphon pour le financement de sa dette publique. Mais il est aussi un piètre régulateur de l’économie…

Si la dette est élevée c’est que l’État a dû se faire dans l’urgence brancardier… pour ne pas avoir, d’après l’auteur, « réussi » à réaliser en douceur l’ouverture à la concurrence de son marché national et d’avoir sainement dérégulé. Il en est ressorti la mise en place d’une étatisation rampante de la protection sociale, culminant en 1996 avec la mise en place des PLFSS, ce qui a abouti à déresponsabiliser un peu plus les partenaires sociaux. En réalité il a sciemment mis en place un « secteur économique parallèle », « hors marché et hors libre-échange, et financé par l’impôt ». Il s’agit de l’ensemble des contrats aidés, des dispositifs de financement en fonds propres des entreprises hors marché (ANVAR, 1979, FSI 2007 et aujourd’hui BPI) ainsi que la multiplication des niches fiscales, sociales et d’aides aux entreprises afin d’alléger leurs charges (65 milliards d’euros) sans même y intégrer les aides aux agriculteurs liées à la PAC, (10 milliards supplémentaires).

L’État est donc un mauvais régulateur, parce qu’en abandonnant sa politique de planification issue des trente glorieuses, il n’a pas su parallèlement conserver ce qu’elle avait de meilleur, une vision à long terme du développement économique du pays. Il ne faut pas pour autant penser que l’auteur est un nostalgique de la planification. Son argumentation est plus subtile, il critique l’absence de vision par l’État d’une véritable politique industrielle active, donc stratégique. Il constate que la multiplication des régulateurs sectoriels (AAI (autorités administratives indépendantes)), ne lui permet pas aujourd’hui de faire pièce aux stratégies individuelles opportunistes des acteurs économiques. Il constate par ailleurs qu’il a peut être trop délégué le rôle de supervision du secteur bancaire à la BCE.

La dérive des pratiques bancaires, une complicité active de la BCE ?

C’est sans doute sur ce chapitre-ci que l’ouvrage de Guillaume Sarlat est le plus polémique. L’abandon de la supervision bancaire au profit de la BCE a-t-elle conduit à amoindrir par construction la contribution des banques au financement de l’économie. Voyons d’un peu plus près ses arguments : les banques centrales ont essentiellement trois rôles : celui de création monétaire (de concert avec les banques secondaires), assurer le refinancement de ces mêmes banques commerciales par la prise en pension d’actifs (repo) et la fixation du prix de l’argent (via notamment le canal des taux d’intérêt). Or l’auteur reproche à la BCE de n’avoir pour mandat que la stabilité des prix et du système financier de l’eurozone[2], sans avoir à contrôler sa masse monétaire.

De fait il constate qu’entre la création de l’euro et la crise financière, l’objectif de faible inflation a été atteint, mais avec pour corollaire une augmentation de la masse monétaire considérable de près de 8%/an et même de 12% entre 2008-2012, ainsi qu’à un gonflement de son bilan qui a triplé entre 2001 et 2012 passant de 1.000 milliards à 3.000 milliards d’euros, soit 30% du PIB européen contre 20% du PIB américain pour le bilan de la Fed. Comme la croissance de la zone euro plafonnait parallèlement à 2%, le rapport entre le PIB de la zone et la masse monétaire est désormais de 1, contre 0,7 à sa création. La raison principale de cette envolée de la masse monétaire provient selon l’auteur de la mise en place de l’euro sur des économies européennes particulièrement hétérogènes. La BCE a donc solvabilisé des états aux finances publiques notoirement dégradées (notamment au Sud de l’Europe) en finançant leurs déficits publics, occasionnant des phénomènes de bulles. La crise de 2008-2009 n’a pas fondamentalement infléchi cette politique, la BCE se concentrant sur le court terme. « Avec ce comportent focalisé sur le court terme, la BCE a contribué à ralentir la sortie de crise en déresponsabilisant largement les établissements financiers ainsi que les États. (p.44) » Dans ces conditions, les financements de la BCE ont été recyclés par les acteurs financiers directement en dettes d’État et non consacrés au refinancement de l’économie. C’est le cas lors de la mise en place par la BCE des mécanismes de LTRO (long term refinancing operations) pour 1.000 milliards d’euros en 2011 et 2012. Et lorsque la correction du dispositif a été mise en place pour réorienter le financement vers les entreprises et les particuliers en 2012 via les TLTRO (targated long terme refinancing opérations), les banques commerciales n’ont tout simplement « pas été au rendez-vous ».

Dans ce cadre, la mise en place du Quantitative Easing (QE) par la BCE en 2015 pour plus de 1.100 milliards d’euros, arrive totalement à contretemps par rapport à la politique de la Fed, et risque de soutenir encore l’envol de l’endettement public des États membres tout en perturbant encore un peu plus les anticipations des acteurs économiques. En effet, moins l’argent est cher, plus les investisseurs sont tentés de procéder à des investissements de court terme, et qui sont artificiellement plus rentables et liquides que des investissements à long terme, mais qui seuls pourraient soutenir durablement la croissance économique. Assez naturellement, les investisseurs en capital-risque par exemple (venture capital), ont ainsi un horizon d’investissement plus court en France qu’aux État-Unis, avec des montants unitaires (tickets) plus faibles. Elle favorise également de la part des entreprises déjà installées, des stratégies de rachat d’action et de distribution de dividendes « ce qui créer immédiatement de la valeur pour les actionnaires au détriment souvent du long terme » (p.51)… mais aussi conduit à désaccorder les horizons d’attente des investisseurs (en termes de rendement et de liquidité) avec les besoins de développement et les stades de maturité des entreprises à financer[3]. Cela induit plusieurs situations dommageables : si le cycle de l’investisseur est plus court que celui de développement de l’entreprise, il va falloir soit « passer-le-relais » à un autre, avant même que le projet d’entreprise soit arrivé à maturité, ce qui peut conduire à rendre vulnérable cette dernière (prise de contrôle agressive), soit pour les dirigeants à prendre leur responsabilité. Dans ce cas deux situations peuvent se présenter:

  • Soit que le manager/créateur accepte ce cycle d’investissement désajusté et tente de s’assurer contre ce risque auprès des banques (risque de tranformation), celles-ci se réassurant entre elles par mutualisation des risques ;
  • Soit l’entreprise ne peut pas prendre ce risque (ou que celui-ci ne soit pas pris effectivement en charge par les banques) et dans ce cas précis le dirigeant devra modifier son rythme de développement (et ses perspectives) pour le faire rentrer en adéquation avec le cycle de l’investisseur, ce qui peut perturber, reporter, modifier considérablement le projet initial et réorienter le développement de l’entreprise.

Cela montre que le rôle des banques est crucial afin d’assurer le dynamisme et le renouvellement du tissu entrepreneurial. Il l’est d’autant plus en Europe où contrairement à d’autres zones économiques, la zone euro est très fortement bancarisée. La proportion des investisseurs individuels et des fonds d’investissements y est plus faible. Or les entreprises disposent de la faculté de se refinancer également sur les marchés et pour moins cher. Mais ce qu’apportent les banques c’est une relation de confiance et une connaissance fine des risques sectoriels permettant des réponses sur mesure. Cependant, les services bancaires classiques sont de moins en moins rentables. La faute aux coûts fixes, notamment marketing et informatiques. Or ce sont ces derniers qui croissent actuellement… sans que l’on assiste, notamment en France, à un phénomène de concentration bancaire permettant de les mutualiser[4] et sans véritable internationalisation (il n’y a pas d’acteurs bancaires majeurs pan-européens[5])… la faute notamment à des régulations bancaires restées largement nationales malgré la mise en place de l’euro, et la persistance d’un secteur mutualiste au côté du secteur commercial. Il en résulte une double stratégie : d’une part une politique ALM agressive (Assiet liability management) consistant à prélever des frais bancaires élevés, et de l’autre à développer des activités de banques d’affaires en dehors de l’hexagone (pour compte propre ou compte de tiers, ce qui a conduit certains acteurs à pratiquer des opérations risquées avec des pays de l’Europe du Sud (Dexia) etc.), ou à se diversifier dans les produits structurés ou les activités d’assurance. Dans ces conditions, « les surliquidités créées par la BCE ont amplifié cette synergie et donc incité les banques à se diversifier.[…] De ce fait, le crédit aux particuliers et aux entreprises sur leurs marchés domestiques est devenu au fil des années une activité minoritaire dans leur bilan au profit des activités à l’international, des produits dérivés, des investissements pour compte propre, de l’assurance et du portage de la dette des États. » (p.73-74). Mais l’ouverture de ses nouvelles activités, consacrant le modèle de banque universelle n’a pas fait l’objet d’une supervision rigoureuse des autorités de régulation. Mieux, elle s’est réalisée de concert avec l’État pour son plus grand profit. Le régulateur a donc été pris dans un conflit d’intérêt dont il a choisi de ne pas sortir : « L’État français n’a en effet absolument pas réagi face à cette modification du champ d’activité des groupes bancaires. Au demeurant, il y a largement trouvé son compte : cette situation lui a permis d’augmenter de manière considérable la dette publique, largement recyclée par le système bancaire au travers de l’ALM (voir supra) des banques de détail et des activités de portage obligataire des banques d’investissement ». La boucle du capitalisme de connivence est bouclée…

Que faire ? Des solutions iconoclastes, dont certaines peinent à convaincre :

Croissance en berne, court termisme, envolée de la dette publique, bipolarisation de la société française entre une économie libérale assumée mais un état au chevet des dépenses sociales et d’une para-économie « administrée »… les constats de l’auteur sont réalistes et sévères, tout comme la description de la connivence des élites sur le concordat bipolaire sur le choix cynique du libéralisme économique à la française et des dépenses publiques. Dans les deux cas, entre grandes entreprises et administrations les collusions pour l’auteur sont objectives : « Nombre d’anciens fonctionnaires ont en effet pu prendre la direction d’entreprises pour la plupart autrefois publiques et aujourd’hui reconnues mondialement. L’endogamie presque parfaite et le caractère fermé de l’establishment français facilitent leur contact avec l’État et leur garantissent en pratique la plupart des postes de direction des grandes entreprises françaises, même les plus internationalisées. » (p.96). Reste à envisager des solutions et sur ce dernier point, il faut à notre avis faire la part entre les « bonnes » réformes et les réformes plus incertaines proposées par l’auteur.

  • Les bonnes réformes : Pour Guillaume Sarlat « la France a du temps », c’est un premier paradoxe mis en avant par le fait même des liquidités colossales déversées par la BCE, ainsi que par le consensus collectif autour précisément d’un marché très libéral et d’un État très social ; d’ailleurs l’auteur juge le quinquennat de Nicolas Sarkozy décevant et celui de Hollande désespérant, l’un étant le prolongement de l’autre, même dans les dispositions techniques adoptées. Les mesures proposées sont donc calibrées à cette aune.
    • Redonner un rôle d’impulsion à l’État : c’est un élément très intéressant que l’auteur reprend d’ailleurs aux expérimentations britanniques de Cameron, il s’intéresse aux incitations comportementales et à la nudge unit, mise en place par le Cabinet Office[6]. L’idée est d’inciter au lieu de réglementer, ce qui permet de s’inscrire dans une logique de simplification du droit. Ces incitations doivent être simples, pérennes et crédibles et jouer évidemment de l’arme fiscale en justifiant des dispositifs d’allègements fiscaux en rapport avec des investissements de long terme. À cet égard l’auteur milite pour une exonération fiscale et sociale totale de ces investissements, quel qu’en soit le véhicule porteur, pour une durée de 7 ou 8 ans[7]. Mais également pour une amnistie fiscale totale pour les avoirs français non déclarés détenus à l’étranger, à condition qu'ils se retrouvent réinvestis en France dans des projets de long terme. Ces avoirs ne viendraient pas abonder les dépenses courantes de l’État, mais se retrouveraient ainsi à financer la croissance de demain, donc à générer les recettes fiscales d’après demain. Nous ne pouvons que souscrire à cette dernière analyse ;
    • Recentrer les banques sur leurs activités de financement de l’économie : en isolant, comme l’a proposé au Royaume-Unis la commission Vickers, les activités de banque de détail, seules à même de bénéficier de la garantie de l’État, des autres activités commerciales où les banques prendraient seules leurs risques. Cependant c’est la faible rentabilité de ces activités de détail qui a conduit les banques à se diversifier vers des activités plus risquées. L’auteur propose comme mesure complémentaire le découpage des activités bancaires par produits sur une base géographique de façon à améliorer leur supervision, avec une surveillance spécifique sur l’assurance-non vie et sur les activités de produits dérivés sur les actions et sur les taux (qui ne constituent pas le core business des banques et doivent être assimilées à des activités assurantielles) ainsi que sur le trading pour compte propre. Ainsi qu’accroître la publication des activités des banques dans les différentes devises couplée à une limitation du refinancement des établissements bancaires français même en temps de crise dans des activités libellées en d’autres devises que l’euro.
    • Développer des synergies entre PME et grandes entreprises:  trois mesures peuvent être mises en place à cette fin :
      • Permettre à des entreprises partenaires d’un fonds de private equity par des mesures fiscales de passer en charge l’acquisition d’une start-up détenue par le fonds lorsqu’elles désirent la lui racheter ;
      • Garantir comme en Allemagne pour renforcer l’essaimage des cadres/ingénieurs de grands groupes dans les PME, le « portage » du différentiel de salaire sur une période déterminée. Cette mesure favoriserait le croisement des cultures en abaissant les prises de risque individuelles ;
      • Enfin, s’agissant des stratégies à l’export, il serait possible de moduler l’appui public aux grands contrats à l’export en fonction de la proportion de PME françaises partenaires de ces contrats. Les grands groupes seraient ainsi structurellement incités à chasser en meute avec les sous-traitants en leur ouvrant les marchés étrangers.
  • Les réformes qui suscitent pour nous des réserves : elles sont au moins de deux ordres :
    • L’auteur propose de mettre en place une dette perpétuelle : on retrouve le débat sur les dépenses d’avenir : l’État stratège doit recentrer ses programmes d’investissement sur le long terme à l’image du nucléaire (civil et militaire) en France, de l’aérospatiale et de la fusion nucléaire de demain (ITER). Certes, et donc l’auteur propose d’isoler deux dettes : la dette refinancée par endettement classique pour les dépenses courantes et la dette finançant l’investissement qui elle ne livrerait que des intérêts (indexables au besoin) et dont le capital ne serait jamais remboursé. L’idée est séduisante… elle nous vient de l’Ancien Régime, mais à notre avis elle ne fait que prolonger le débat sur la « bonne » et la « mauvaise dette ». Par ailleurs quelles seraient les garanties des prêteurs en cas de défaut souverain volontaire[8] ? La question de la décroissance de la première n’est pas abordée par l’auteur ni celle de la baisse des dépenses publiques. Pourtant l’idée d’une dette perpétuelle et les garanties qui pourraient l’entourer ne pourrait se développer qu’en substitution à la première, ce qui nécessiterait un ajustement budgétaire suffisant pour dégager un excédent primaire susceptible de la faire décroître. L’auteur ne rentre pas dans ce débat et c’est bien dommage, il s’agit d’une vraie lacune de raisonnement.
    • L’auteur propose un renforcement des compétences des banques centrales des États membres au détriment de celles de la BCE. Certes la crise a pu démontrer que le one size fits all, n’était pas sans effets pervers sur la zone euro. Il n’empêche, comment concilier le fait de « rester dans l’euro » tout en déconsolidant au nom du principe de subsidiarité le rôle de la BCE ? L’auteur tourne la difficulté en expliquant que « sortir de la BCE » consisterait à ne lui laisser que la fixation d’un objectif d’inflation commun, plus petit commun dénominateur pour des économies largement désalignées. Cependant cette « renationalisation partielle de la politique monétaire » aboutirait à un pilotage national des prix des différents actifs, et là non plus on ne voit pas bien au-delà du « sur-mesure » ce qui empêcherait l’État qui recouvrirait désormais quasiment les deux membres de sa politique économique traditionnelle (l’arme monétaire et l’arme budgétaire) de précisément tenter de « manipuler » la première au profit de la seconde de façon à mieux respecter « facialement » les exigences européennes communes en la matière (traité de Maastricht et TSCG etc.). Bien évidemment le pilotage des RWA (risk weighted assets) et leur taux par rapport aux fonds propres définis par Bâle 3, pourraient faire l’objet d’une surveillance plus étroite par l’intermédiaire des banques centrales nationales (BCN) et pour la Banque de France émettre des taux plancher pour certains types d’actifs. La stabilisation sur le plan national des économies pourrait être mieux pilotée, mais avec sans doute des difficultés supplémentaires de coordination intra-zone euro et en matière de politique budgétaire (avec des phénomènes accrus de passagers clandestins et d'euro à la carte).

[1] De cette façon la budgétisation en ne rendant pas publiques les lettres de cadrage permettant in fine avec le budget primitif de faire ressortir les arbitrages, ajoute à la confusion dans la présentation de la dépense, et ne permet pas aux créanciers de bien individualiser les administrations qui voient un dérapage de leurs comptes.

[2] On se reportera pour des développements plus techniques sur la récente thèse de Sébastien ADALID, La Banque centrale européenne et l’Eurosystème, Bruylant, Bruxelles, 2015, 767 p.

[3] Ce qui est particulièrement symptomatique dans les biothecs.

[4] Il existe rien que pour la France six acteurs majeurs de banque traditionnelle (BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Société Générale, BNP Paribas et Banque Postale) avec quelques étrangers : ING, Barclays, HSBC etc.

[5] À l’exception de BNP Paribas, mais avec une présence faible dans les autres pays de la zone euro.

[6] Voir Thaler, Sustein, Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision, Presse Pocket 2012.

[7] Y compris de droits de transmission lors des donations ou des successions.

[8] Il n’a pu échapper à l’auteur que par ailleurs ces charges d’intérêts seraient particulièrement rigides, et qu’elles ne pourraient être soutenables qu’avec une croissance largement supérieure à la croissance actuelle.

[9] Voir son dernier ouvrage, The euro trap, Oxford University Press, 2014.