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Dividendes : ne tombons pas dans le dirigisme !

Que la BCE demande aux banques de reporter le versement de leurs dividendes se comprend tout à fait. Que l'État lui-même renonce à ses dividendes aussi. Qu'il pense à priver de tout ou partie de leurs dividendes les actionnaires des grandes entreprises, qu'ils soient investisseurs institutionnels, assureurs vie, investisseurs industriels, petits porteurs et/ou retraités est proprement incroyable. 

Qu'il le fasse alors que toute la pédagogie de ce quinquennat a été depuis 2017 d'appeler à financer au maximum nos entreprises (y compris par l'assurance vie, y compris par les retraites supplémentaires) est incompréhensible. Qu'il en fasse une ligne de sa gestion de crise alors que toutes ses actions tendent à favoriser la circulation du cash est une hérésie. Pourquoi priver l'économie d'une irrigation de plus de 50 milliards d'euros ? A-t-on comme objectif de renforcer le choc de demande dont nous souffrons déjà énormément ?

Ainsi, le 24 mars, Bruno Le Maire appelle-t-il les entreprises à « une plus grande modération » dans le versement des dividendes de 2020. Au début, on comprend que ce message s'adresse juste aux entreprises dont l'État est actionnaire.

Peu à peu, au fil de la communication gouvernementale, on comprend que les distributions de dividendes seraient interdites lorsque les sociétés bénéficient des reports d'échéances fiscales et sociales. Bercy refuserait aussi le bénéfice de la garantie de l'État aux nouveaux emprunts bancaires (300 milliards de garantie via la PBI) pour les entités qui auraient distribué des dividendes. Quant aux entreprises qui bénéficient de la mesure de chômage partiel, elles seraient aussi sommées de renoncer à verser des dividendes.

D'une certaine manière, le gouvernement « piège » ici les entreprises après les premières mesures d'urgence. Pour les entreprises qui ont reporté leurs échéances et qui devant l'incertitude de leurs carnets de commandes ont fait appel à la garantie de l'État sans pour autant savoir qu'elles devraient renoncer aux versements de dividendes, l'avenir est déjà scellé.

Aux dernières nouvelles, le ministre des Finances appelle même toutes les grandes entreprises à modérer leurs dividendes « d'un tiers », y compris celles qui ne demandent pas l'aide de l'État. Heureusement, concernant les ETI et les PME, le gouvernement a révisé sa copie, comprenant que cela serait une plus grosse erreur de leur interdire de verser des dividendes, car les transmissions d'entreprises notamment, en dépendent. Mais, dans un contexte de concurrence mondiale acharnée, peut-on une fois encore fragiliser nos grands groupes alors que l'on vient de constater l'importance de notre souveraineté industrielle ? L'union sacrée autour d'Air Liquide est là pour rappeler que seules les entreprises françaises ont été capables dans cette crise de répondre aux besoins vitaux de la nation.

Ailleurs en Europe, ces décisions relèvent des seuls dirigeants d'entreprise : en Allemagne, certaines ont annoncé qu'elles ne verseraient pas de dividendes telle Lufthansa, d'autres reportent leur assemblée générale (ce qui revient au même) ainsi de Daimler et Continental. MTU fabricant des turbines étudie le gel du paiement. En Norvège, le pétrolier Equinor et la banque DNB réfléchissent à bloquer leurs dividendes. C'est déjà fait pour Inditex propriétaire de Zara en Espagne, ou divisé par trois chez Prada en Italie, mais les entreprises restent libres de décider et elles ne manqueront pas de le faire quand renoncer aux dividendes permet de ne pas grever les investissements futurs.

Il aurait été plus clair que l'État n'impose cette décision que dans les entreprises qu'il contrôle directement ou indirectement. Et cela fait déjà beaucoup. Distribuer des dividendes constituerait donc un manque de solidarité ? Notamment envers les personnes au chômage partiel et qui ne touchent que 84 % de leur rémunération habituelle. En réalité, une mesure existe déjà puisque les entreprises qui font appel au chômage partiel sont appelées à diminuer la rémunération de leurs dirigeants de 25 %.

C'est l'actionnariat populaire qu'on ruine pour la seconde fois après la crise de 2009. Des épargnants, surtout des retraités, dont les revenus dépendent en partie de ces dividendes, comptent dessus pour vivre. Alors que les titres dévissent en Bourse, les actionnaires perdent massivement du capital, et maintenant, le rendement. Toujours dans l'idée que l'actionnaire n'est pas l'ami de l'entreprise, les syndicats, CGT et même CFDT, poussent à la roue.

Or, si les entreprises françaises sont fragiles devant la crise, c'est aussi qu'elles sont pressurées par l'État et le modèle social français avec la bénédiction des syndicats (100 milliards de plus d'impôts et cotisations par an que leurs partenaires de la zone euro). Et il faudra des actionnaires et leur argent privé pour reconstruire et réinjecter de l'argent dans les entreprises après la crise pour permettre aux entreprises de ne pas faire jouer massivement la garantie de l'État.

Ces coups de menton à rebours de la logique économique ne s'inscrivent-ils pas finalement dans une logique purement fiscale ? Cette trésorerie bloquée des entreprises et des banques pourrait servir de gisement financier en sortie de crise, permettant à l'État d'y piocher les hausses de fiscalité exceptionnelles dont il aura besoin pour rééquilibrer ses comptes ? On sent poindre déjà l'idée d'un « Super-IS » à raison du « chiffre d'affaires » dont Bercy a le secret en sortie de crise.