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50 milliards : les non-dits du président

« Alléger les charges des entreprises » et alléger aussi « l'État trop lourd, trop lent, trop cher » en accélérant les réformes, voilà ce que l'on peut retenir de la conférence de presse du président de la République. Sur les principes, rien à dire. Mais, sur la mise en œuvre et la réalité de l'inflexion de la politique du gouvernement, restent encore beaucoup de non-dits.

[(Cette tribune a été publiée, jeudi 16 janvier 2014, dans l'édition papier et en ligne des Echos.)]

Premier objectif : la baisse des charges des entreprises et le fameux « pacte de responsabilité ». Soit, baisser les charges des entreprises de 10 milliards de plus (en 2016) va dans le bon sens et remplacer l'usine à gaz du CICE par une baisse franche et simple des charges aussi. A condition de ne pas se faire d'illusions sur l'impact sur l'emploi de cette mesure.

Cliquez ici pour télécharger le discours d'ouverture du Président, de la conférence de presse du 14 janvier 2014

À condition, aussi, que les partenaires sociaux se mettent d'accord sur le sujet et que le volet des contreparties soit rendu inoffensif et non contraignant (ex-CICE compris). Si les charges sur le travail sont trop élevées en France, pourquoi demander des contreparties, par ailleurs impossibles à définir au niveau de chaque entreprise ? Sachant au surplus que les impôts sur les entreprises ont augmenté de… 32 milliards d'euros entre 2010 et 2013 ?

Sur le volet des économies sur les dépenses publiques se pose la question de l'identification des 50 milliards annoncés. Bon point : tous les acteurs publics seront concernés, l'État, la Sécurité sociale et les collectivités pour réaliser 4 % d'économies sur les 1.200 milliards de dépenses publiques. Il aurait été de bon ton que le président fixe d'ores et déjà un cap avec un nombre de milliards de dépenses publiques maximal pour 2017. Par exemple un maximum de 1.200 milliards par an jusqu'à la fin du quinquennat (les projections du gouvernement sont à 1.269 milliards d'euros en 2017) serait déjà une annonce claire et compréhensible par tous.

Sur ces 50 milliards, tout est dans les non-dits. En effet, comment imaginer que les fusions de communes, de départements et de régions vont générer des économies sans une baisse significative des effectifs locaux ? Observer une inflexion significative de la dépense locale, disons de 4 %, suppose de ne pas renouveler de l'ordre de 240.000 postes dans la fonction publique locale d'ici à 2017 (5,7 milliards d'économies). La piste d'inciter par un bonus-malus les regroupements de collectivités va dans le bon sens et pourrait être une des clefs de la baisse des dépenses locales, mais il faut fixer les fusions prioritaires (communes de moins de 5.000 habitants, puis de moins de 10.000), le nombre de régions et les choix à opérer pour les départements qui, à plus de 50 % de dépenses sociales, doublonnent avec les CAF et les CCAS. On manque aussi d'objectifs clairs quant à la spécialisation des missions publiques (quelles missions cède l'État, etc.). C'est la mère des réformes, sur laquelle tous les gouvernements butent face à un Sénat déterminé, quelle que soit sa majorité.

L'autre non-dit est celui de l'Éducation nationale. Les 50 milliards d'économies sont inatteignables si l'on ne touche pas aux doublons dans l'éducation, qui est un des plus gros postes de dépenses publiques (129 milliards d'euros). Là encore, il va falloir décentraliser la gestion. La France est le seul pays en Europe à gérer ses professeurs à un niveau exclusivement central. L'éducation est la première mission à transférer entièrement aux régions et aux communes, comme l'ont fait avant nous l'Allemagne, le Royaume-Uni ou la Suède. Et là, il y a des économies très importantes à la clef, à la fois sur les fonctions support et sur la masse salariale.

Troisième non-dit au niveau des dépenses sociales : il faudra qu'elles baissent au-delà des économies sur les fraudes et des déremboursements de médicaments. Penser que l'on peut faire 4 % d'économies sur le volet social sans toucher, par exemple, aux indemnités de chômage (4 milliards d'euros de déficit attendus en 2014), à la rationalisation des établissements hospitaliers (AP-HP…) ou aux retraites qui pèsent 278 milliards dans les dépenses publiques n'est pas crédible.

La question qui se pose maintenant est : 2014 sera-t-elle l'année d'un réel tournant pour des réformes courageuses, au-delà des dénis et des tabous français (on le souhaite)… ou de la fuite en avant des annonces d'économies budgétaires non respectées et des déficits qui se creusent ?

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Témoignage d'un petit entrepreneur industriel

Les charges patronales pour la branche famille représentent 5,4% des salaires bruts non plafonnés, sans part salariale ; la réforme de 2012 prévoyait de les supprimer pour les salaires inférieurs à 2,4 SMIC ; Le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) applicable seulement en 2014 « rembourse » 4% des salaires inférieurs à 2,5 SMIC puis 6% l'année suivante ; il est estimé à 20 milliards d'euros en année pleine et est pratiquement équivalent à l'ancienne mesure sauf qu'il intervient 2 ans plus tard et oblige la trésorerie des entreprises à avancer temporairement les charges familiales. Cette avance de trésorerie n'est pas un détail pour les PME et 2013 a vu une remontée des défaillances d'entreprises pratiquement au niveau record de 2009.

L'annonce de la suppression de ces charges sur tous les salaires en 2017, qui porterait l'allégement de charges à 30 milliards en « absorbant » le CICE, augmenterait donc l'allégement d'une dizaine de milliards. Mais si l'on tient compte des augmentations diverses intervenues ou annoncées depuis 2012, trois fois 0,1% des salaires plafonnés pour l'assurance vieillesse, 0,6% de TVA en plus sur la TVA des dépenses pour lesquelles la TVA n'est pas récupérable, non déductibilités diverses sur l'IS… et future taxe carbone qui frappera surtout l'industrie, la différence par rapport à la législation en vigueur au début du quinquennat sera peu significative ! J-F.B. )]

[(Et ensuite, une baisse potentielle du taux d'IS ?

L'option (en 2016) de suppression des cotisations familiales contre l'écrasement du CICE et la baisse complémentaire de charges de 10 à 15 milliards d'euros pour correspondre à un volume de 35 milliards d'euros, ne sera pas neutre pour le Trésor. En effet, la suppression des charges devrait mécaniquement augmenter le bénéfice imposable des entreprises (si ce choix était retenu). La suppression pourrait donc se traduire par une majoration d'IS, ce qui devrait rapporter des recettes supplémentaires au Trésor, mais qui pourrait également être compensée utilement par une baisse faciale du taux marginal de l'IS, compétitivité européenne oblige (taux de 24% au Royaume-Uni, 15% en Allemagne).

La différence réside dans la perspective à court et moyen terme. A court terme, l'imputation des déficits reportables sera plus importante potentiellement. Le basculement est donc plutôt pro-cyclique, favorable aux entreprises quant à la réalité de leur activité et défavorable au Trésor qui pourrait voir ses recettes fondre plus rapidement en cas de crise. L'inverse étant vrai en cas de rebond. A moyen terme cependant les déficits reportables seront mécaniquement purgés plus vite ce qui améliorera l'exposition des entreprises à l'IS et aux rentrées fiscales correspondantes.

S-F.S. )]