Actualité

100 milliards d'impôts cachés : le poids des normes administratives

Pourquoi l’inflation normative pose-t-elle problème ? Car elle engendre des coûts inutiles qui freinent nos entreprises, ralentissent nos services publics et les démarches de tous les jours pour les particuliers.  Des données disponibles, la Fondation iFRAP estime la charge administrative à :

  • 75 à 87 milliards d'euros pour les entreprises,
  • 12 à 25 milliards pour les collectivités, les services publics et les particuliers.

En 2018, la Mutuelle du Médecin estimait que les généralistes consacraient 7 heures par semaine à des tâches administratives sur une semaine de 50 heures, soit 14 % de leur temps de travail. Au niveau de l’industrie, moins de 30 % des projets d’implantation d’usines se concrétisent dans les 2 premières années. Un temps anormalement long qui est la conséquence directe de la lourdeur des procédures exigées sur le terrain, la faune, la flore, les fouilles potentielles, etc. Conscients des enjeux, la Belgique, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont tous commencé à aborder ces problématiques en se focalisant sur les entreprises dans l’objectif d’améliorer leur compétitivité.

Normes pesant sur les entreprises : pas une priorité pour la France

Dans une stratégie à l’opposé, la France démarre son combat contre l’inflation normative en 2008 en créant le CCEN qui devient le CNEN en 2013 afin d’évaluer les normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. Ce n’est qu’en 2014 qu’un Conseil de la simplification pour les entreprises est expérimenté, mais pas reconduit. Depuis 2015, une fiche d’impact doit bien être réalisée pour les collectivités, pour les entreprises et les particuliers, en vue des saisines du SGG mais ces documents sont généralement très peu chiffrés et leur analyse n’est plus effectuée pour les entreprises depuis la disparition du Conseil de la simplification.

D’ailleurs, cette expérimentation n’a pas été concluante si l’on suit le bilan du Sénat effectué en 20173 et qui expliquait que « 43 % des mesures annoncées par le Conseil de la simplification ne sont pas effectives, […] du fait d’une volonté politique défaillante du gouvernement, voire de blocages systémiques dus à la résistance de ceux à qui profite la complexité ou à l’inquiétude liée au changement ». Pire, alors que le gouvernement misait sur un gain de 5 milliards € d’économies liés aux mesures de simplification, le Sénat pointe du doigt que ce chiffrage ne prenait pas en compte les coûts du flux parallèle des nouvelles obligations et cela, à une époque où le gouvernement renforçait la prise en compte de la pénibilité.

En effet, pour lutter contre l’inflation normative, il faut pouvoir évaluer l’impact des textes législatifs que le Parlement vote. Or, il existe trop de dérogations à l’obligation d’élaborer des études d’impact : ainsi, les amendements législatifs, les propositions de lois et les ordonnances ne sont pas concernés. Restent soumis à cette obligation les projets de loi émanant du gouvernement mais leur nombre a été divisé par deux depuis la seconde présidence de Jacques Chirac : de 477 textes à 156 sous la présidence d’Emmanuel Macron (jusqu’à octobre 2021).

Normes pesant sur les collectivités : bientôt la fin du suivi ?

Ce n’est guère mieux du côté du CNEN, puisque depuis 2019, ce dernier ne publie plus de rapport d’activité. On sait néanmoins que de 2009 à 2019, l’impact budgétaire des réformes soumises au CNEN est de 16,3 milliards. En 2018, 44 % des nouveaux coûts étaient induits par le ministère de la Transition écologique (sur les nuisances lumineuses notamment).

En 2016, 4,4 des 6,9 milliards € de coûts résultaient d’un seul projet : l’obligation d’effectuer des travaux d’amélioration de la performance énergétique dans certains bâtiments recevant du public. Les collectivités locales sont donc très bousculées par l’inflation normative… et son instabilité : entre 1996 et 2005, sur les quelque 4 500 articles que contient le code général des collectivités territoriales, 3 000 ont été modifiés.

Coûts nets pour les collectivités des projets de texte soumis au CNEN depuis 2009, en millions €

 

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Coût net

580

577

728

1 581

1 853

1 411

556

6 860

1 035

369

790

Source : Rapports annuels du CNEN et la Gazette des communes pour 2019

3,5 à 4,5 % du PIB de charges administratives

La réalité est, qu’en termes de lutte contre l’inflation normative, la France tâtonne encore alors que la plupart de nos voisins européens se sont saisis du sujet dès les années 2000 et avec des résultats concluants. L’Union européenne elle-même, fixait en 2006 une réduction de -25 % des coûts administratifs dans les États membres. À cette date, la Commission européenne estimait que le coût des charges administratives représentait 3,7 % du PIB pour la France4.

De son côté, en 2007, l’OCDE estimait le coût total des charges administratives pesant sur les entreprises à 60 milliards €5, soit 3 % du PIB de l’époque. Une estimation reprise en 2017 par le Sénat notamment. La même année, le dernier rapport des dirigeants d’entreprises du Conseil de la Simplification évoquait que « pour la France, les estimations souvent avancées par plusieurs organismes portent sur une fourchette allant de 75 à 100 milliards € »6. On peut en conclure que :

  • le poids des normes pèserait entre 3,5 % et 4,5 % du PIB français, soit entre 87 et 112 milliards €.
  • de ce total, la part des charges administratives pesant sur les entreprises oscillerait entre 75 et 80 %, soit entre 75 et 87 milliards €.

Il s’agit là d’une hypothèse basse qui prend en compte partiellement l’augmentation de 14 % du nombre de mots codifiés et non codifiés de notre droit réglementaire et législatif consolidé depuis 2010. Incontestablement, cette augmentation est venue complexifier nos normes et a aggravé le coût de notre charge normative.

Il n’est évidemment pas possible de supprimer tous les coûts administratifs mais on peut les rationaliser. Une réduction de -25 % des coûts pour la France, un gain de 21 à 28 milliards de charges libérées sur les entreprises. Reste à savoir si cet objectif fixé par la Commission européenne est atteignable ? Il semble que oui car il a été dépassé par la Belgique qui a baissé le poids des charges administratives fédérales de -30 % entre 2000 et 2020. À cette date, l’Espagne se fixait également un programme de baisse de -30 % des charges administratives pour les entreprises (objectif : -16 milliards €).

L’Allemagne a également atteint son objectif de réduction de -25 % sur le coût des normes affectant ses entreprises alors que le Royaume-Uni a lancé 2 cycles de simplifications avec, à chaque fois, l’objectif d’une baisse de -13 milliards € de coûts.

Estimation du poids de la charge administrative en France et économies potentielles

 

En % du PIB

En milliards € (2021)

Potentiel d’économies en milliards (2021) sur la base d’une réduction de -25 %
des charges administratives

Estimation de la charge administrative reposant
sur les entreprises

3 à 3,5 %

75 à 87 milliards

18 à 21 milliards

Estimation de la charge administrative reposant sur les collectivités et les particuliers

0,5 à 1 %

12 à 25 milliards

3 à 6 milliards

Estimation de la charge administrative totale

3,5 à 4,5 %

87 à 112 milliards

21 à 28 milliards

Source : Commission européenne, OCDE, retraitement iFRAP.