Une semaine avant l’élection présidentielle, le Journal officiel publiait son bilan 2021 avec la publication de 67 lois, 91 ordonnances et 1 843 décrets (cela sans inclure les 59 décrets relatifs à l’application des accords internationaux). Un rythme record qui n’avait pas été dépassé depuis 2010 (63 lois). En moyenne, on a compté 44 lois tous les ans sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Et si l’année 2020 a vu un ralentissement du nombre de lois et décrets, elle a vu exploser le nombre d’ordonnances : 125 dont 99 pour répondre à la crise sanitaire. Finalement, en 2021, les normes répertoriées par le Journal officiel s’étendent sur 83 570 pages, effaçant ainsi tous les efforts de simplification normative effectués depuis le début du quinquennat.

La lutte contre l’inflation normative ne peut pas reposer sur la seule volonté politique de nos dirigeants : il faut mettre en place des outils pour évaluer les normes, les contrôler et les simplifier. Un travail ambitieux mais réalisable si l’on suit les méthodes déjà appliquées en Europe, notamment au Royaume-Uni, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne.

L’enjeu est double : faire la transparence sur le stock et sur ce que nous coûtent actuellement les normes et prévenir le flux, soit la création de nouvelles normes trop contraignantes pour les entreprises et l’administration.

Des données disponibles, la Fondation iFRAP estime la charge administrative à :

  • 75 à 87 milliards € pour les entreprises avec un gain potentiel de 18 à 21 milliards € en appliquant l’objectif européen d’une baisse de -25 % ;
  • 12 à 25 milliards pour les collectivités, les services publics et les particuliers avec un gain potentiel de 3 à 6 milliards € en appliquant l’objectif européen d’une baisse de -25 %.

Pour cela, la Fondation iFRAP préconise :

  • D’évaluer en priorité le stock de normes pesant sur les entreprises et d’en baisser la charge de -25 % en 6 ans (méthode allemande) ;
  • De créer un coordinateur unique indépendant : cette Autorité indépendante de l’Évaluation Normative (AEN) aurait pour mission d’évaluer chaque mesure du stock (selon les priorités fixées) du flux normatif, et de son impact sur l’économie ;
  • D’établir un index annuel de la complexité administrative (modèle allemand) ;
  • De créer, au niveau constitutionnel, un Office parlementaire d’évaluation indépendant pour renforcer la mission de contre-pouvoir du Parlement, challenger les évaluations du gouvernement et en particulier leurs impacts normatifs ;
  • De faire voter une loi proposant un pack suppression législative de lois et normes obsolètes pour baisser notre stock de lois de 15 % d’ici 10 ans ;
  • D’élargir le principe du One In, One Out à toutes les nouvelles normes (actuellement uniquement valable sur les décrets réglementaires).

 

Évolution du droit consolidé en nombre de mots, codifiés et non codifiés

Source pour les barres : SSG, Indicateurs de suivi de l’activité normative, mars 2022

Source sur les normes non répertoriées : C. Eoche-Duval, "Un mal français : son é-norme production juridique ?", RDP, mars 2022.

Scénario « iFRAP » de la mise en place d’une politique de lutte contre l’inflation normative

I. Une approche française non concluante

Les conditions d’embauche et de licenciement, la taille des bananes vendues en supermarché, les démarches à valider avant un projet de construction, tout est encadré par une norme et quand l’actualité met en lumière un espace non encadré, nos élus se précipitent pour corriger le tir. Une évolution au fil de l’eau de normes votées et appliquées, sans contrôle, ni état des lieux régulier, qui conduit à l’augmentation perpétuelle de notre stock normatif.

Un stock inconnu mais qui se codifie de plus en plus

Sur les deux quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, le consensus est d’un stock normatif autour de 400 000 normes. En réalité, en l’état des données disponibles, la seule mesure longue de la densification normative est l’appréciation en volume des législations en nombre de mots. Ainsi ce que l’on sait, c’est qu’en 2012, nous comptions 280 729 articles réglementaires et législatifs, codifiés et non codifiés, contre 332 365 en 2021 (+18 %)1.

Aujourd’hui, notre stock normatif est constitué à 73 % d’articles réglementaires et à 26 % d’articles législatifs, un taux stable depuis 2002. C’est la part des codes qui, elle, est en augmentation : +6 % concernant les articles législatifs et +15 % pour les articles réglementaires. En 2021, notre stock normatif culminait à 42,4 millions de mots contre 22,5 millions en 2002. C’est le code de la santé publique qui a vu l’augmentation la plus importante (de 552 088 mots en 2002 à 1,6 million en 2022), suivi de près par le code de l’environnement (104 841 à 1 million de mots) et le code du travail (646 836 à près de 1 million de mots). On a donc assisté à un vrai effort de codification ces dernières années avec l’idée que les normes couvrent toutes les situations possibles.

L’absence de chef de file de la lutte contre l’inflation normative

En 2016, le Conseil d’État2, pointait le bilan décevant de la lutte contre l’inflation normative. L’explication ? Un manque de stabilité, un excès de communication au moment des annonces, alors que les résultats sont souvent non publiés, et des programmes de simplification trop sectoriels, trop nombreux et qui se chevauchent parfois. Concernant l’instabilité, entre 2008 et 2016, plus de 10 circulaires ont touché à ce sujet (+3 circulaires supplémentaires sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron) et aucun chef de file ne s’est clairement dégagé. De 2007 à 2012, la question de la simplification était assurée au ministère du Budget et par un parlementaire en mission auprès du Premier ministre.

En parallèle, en 2008, le gouvernement met en place la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN) pour collectivités territoriales qui deviendra le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) en 2013. En 2012, la mission de lutte contre l’inflation normative est confiée au ministre de la Réforme de l’État avant d’être transférée en 2014 à un secrétariat d’État auprès du Premier ministre. C’est l’époque du « choc de simplification » piloté par le conseil de simplification, dirigé par le député Thierry Mandon. La même année, un Conseil de la simplification pour les entreprises est expérimenté pour une durée de 3 ans qui ne sera jamais renouvelé. Depuis 2017, la direction interministérielle de la transformation publique, sous l’autorité du ministère de la Transformation et de la Fonction publique, assure la mission de modernisation tandis que le Secrétariat général du gouvernement (SGG) assure l’évaluation du stock normatif dans un rapport annuel publié depuis 2018.

Indicateurs de volume de publication au Journal officiel sur le dernier quinquennat (2017-2021)

Source : SSG, Indicateurs de suivi de l’activité normative, mars 2022

Des impulsions politiques insuffisantes

Emmanuel Macron promettait en 2017 « qu’on n’ajouterait plus de nouvelles règles avant d’avoir passé en revue celles qui existent et qui n’ont pas d’utilité ». Si de 2017 à 2020, le Journal officiel s’est bien réduit de -6 109 pages, l’activité 2021 porte le bilan de la présidence à +8 049 pages effaçant ainsi tous les efforts de simplification effectués depuis le début du quinquennat.

La volonté politique n’a donc pas été suffisante même si de nombreuses décisions ont été prises par les gouvernements successifs d’Édouard Philippe. En juillet 2017, une circulaire limite la production normative de décrets réglementaires : chaque ministère a dû dresser un inventaire et adopter le principe de One In, One Out (« toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes »). En juin 2019, une circulaire limite le recours aux circulaires « de commentaires ou d’interprétations », et celles encadrant l’organisation et le fonctionnement des services déconcentrés. Ces circulaires doivent, désormais, être exceptionnelles et requérir la signature personnelle du ministre. Trois vecteurs législatifs de « simplification » ont aussi été utilisés : la loi PACTE, en mai 2019, qui a permis de simplifier les seuils applicables et de supprimer le forfait social sur l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés. La loi d’août 2019 sur la transformation de la fonction publique, a simplifié les règles encadrant le recours aux contractuels dans la fonction publique et a unifié les quatre lois statutaires de la fonction publique de 1983, 1984 (11 et 26 janvier) et 1986 dans un nouveau code, le code général de la fonction publique. Enfin, la loi ASAP de décembre 2020 prévoit la suppression des commissions administratives consultatives et crée des démarches simplifiées notamment pour les installations industrielles ou la vente de médicaments en ligne.

Des freins culturels, voire politiques

En janvier 2018, l’opposition via le Sénat se saisit aussi du sujet et lance une mission dite « BALAI » (bureau d’abrogation des lois anciennes et inutiles) qui vise la suppression de 162 lois désuètes ou caduques de 1819 à 1980… Mais l’Assemblée nationale choisira de préserver 49 de ces lois pour des motifs qui peuvent laisser parfois perplexe comme la prise en compte de leur caractère historique ou symbolique, leur valeur organique qui exige une procédure d’abrogation particulière (et non lancée en parallèle) ou encore la possibilité qu’une loi, certes inappliquée, puisse encore être utilisée en l’absence de dispositif s’y substituant (risque de créer un « vide législatif »). Au final, le bilan 2021 du comité interministériel de la transformation publique confirme que la stratégie gouvernementale se focalisait sur des « micromouvements » et ne cherchait pas à amener à une simplification « par le haut ». Ce bilan souligne, tout de même, que l’application du One In, One Out a conduit à réduire le flux de décrets instituant « de nouvelles contraintes ou obligations » par deux en 2020, aboutissant à une économie de 62,4 millions. Des résultats encourageants.

II. De l’importance d’évaluer l’impact des normes

Pourquoi l’inflation normative pose-t-elle problème ? Car elle engendre des coûts inutiles qui freinent nos entreprises, ralentissent nos services publics et les démarches de tous les jours pour les particuliers. En 2018, la Mutuelle du Médecin estimait que les généralistes consacraient 7 heures par semaine à des tâches administratives sur une semaine de 50 heures, soit 14 % de leurs temps de travail. Au niveau de l’industrie, moins de 30 % des projets d’implantation d’usines se concrétisent dans les 2 premières années. Un temps anormalement long qui est la conséquence directe de la lourdeur des procédures exigées sur le terrain, la faune, la flore, les fouilles potentielles, etc. Conscients des enjeux, la Belgique, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont tous commencé à aborder ces problématiques en se focalisant sur les entreprises dans l’objectif d’améliorer leur compétitivité.

Normes pesant sur les entreprises : pas une priorité pour la France

Dans une stratégie à l’opposé, la France démarre son combat contre l’inflation normative en 2008 en créant le CCEN qui devient le CNEN en 2013 afin d’évaluer les normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. Ce n’est qu’en 2014 qu’un Conseil de la simplification pour les entreprises est expérimenté mais pas reconduit. Depuis 2015, une fiche d’impact doit bien être réalisée pour les collectivités, pour les entreprises et les particuliers, en vue des saisines du SGG mais ces documents sont généralement très peu chiffrés et leur analyse n’est plus effectuée pour les entreprises depuis la disparition du Conseil de la simplification.

D’ailleurs, cette expérimentation n’a pas été concluante si l’on suit le bilan du Sénat effectué en 20173 et qui expliquait que « 43 % des mesures annoncées par le Conseil de la simplification ne sont pas effectives, […] du fait d’une volonté politique défaillante du gouvernement, voire de blocages systémiques dus à la résistance de ceux à qui profite la complexité ou à l’inquiétude liée au changement ». Pire, alors que le gouvernement misait sur un gain de 5 milliards € d’économies liés aux mesures de simplification, le Sénat pointe du doigt que ce chiffrage ne prenait pas en compte les coûts du flux parallèle des nouvelles obligations et cela, à une époque où le gouvernement renforçait la prise en compte de la pénibilité.

En effet, pour lutter contre l’inflation normative, il faut pouvoir évaluer l’impact des textes législatifs que le Parlement vote. Or, il existe trop de dérogations à l’obligation d’élaborer des études d’impact : ainsi, les amendements législatifs, les propositions de lois et les ordonnances ne sont pas concernés. Restent soumis à cette obligation les projets de loi émanant du gouvernement mais leur nombre a été divisé par deux depuis la seconde présidence de Jacques Chirac : de 477 textes à 156 sous la présidence d’Emmanuel Macron (jusqu’à octobre 2021).

Normes pesant sur les collectivités : bientôt la fin du suivi ?

Ce n’est guère mieux du côté du CNEN, puisque depuis 2019, ce dernier ne publie plus de rapport d’activité. On sait néanmoins que de 2009 à 2019, l’impact budgétaire des réformes soumises au CNEN est de 16,3 milliards. En 2018, 44 % des nouveaux coûts étaient induits par le ministère de la Transition écologique (sur les nuisances lumineuses notamment).

En 2016, 4,4 des 6,9 milliards € de coûts résultaient d’un seul projet : l’obligation d’effectuer des travaux d’amélioration de la performance énergétique dans certains bâtiments recevant du public. Les collectivités locales sont donc très bousculées par l’inflation normative… et son instabilité : entre 1996 et 2005, sur les quelque 4 500 articles que contient le code général des collectivités territoriales, 3 000 ont été modifiés.

Coûts nets pour les collectivités des projets de texte soumis au CNEN depuis 2009, en millions €

 

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Coût net

580

577

728

1 581

1 853

1 411

556

6 860

1 035

369

790

Source : Rapports annuels du CNEN et la Gazette des communes pour 2019

3,5 à 4,5 % du PIB de charges administratives

La réalité est, qu’en termes de lutte contre l’inflation normative, la France tâtonne encore alors que la plupart de nos voisins européens se sont saisis du sujet dès les années 2000 et avec des résultats concluants. L’Union européenne elle-même, fixait en 2006 une réduction de -25 % des coûts administratifs dans les États membres. À cette date, la Commission européenne estimait que le coût des charges administratives représentait 3,7 % du PIB pour la France4.

De son côté, en 2007, l’OCDE estimait le coût total des charges administratives pesant sur les entreprises à 60 milliards €5, soit 3 % du PIB de l’époque. Une estimation reprise en 2017 par le Sénat notamment. La même année, le dernier rapport des dirigeants d’entreprises du Conseil de la Simplification évoquait que « pour la France, les estimations souvent avancées par plusieurs organismes portent sur une fourchette allant de 75 à 100 milliards € »6. On peut en conclure que :

  • le poids des normes pèserait entre 3,5 % et 4,5 % du PIB français, soit entre 87 et 112 milliards €.
  • de ce total, la part des charges administratives pesant sur les entreprises oscillerait entre 75 et 80 %, soit entre 75 et 87 milliards €.

Il s’agit là d’une hypothèse basse qui prend en compte partiellement l’augmentation de 14 % du nombre de mots codifiés et non codifiés de notre droit réglementaire et législatif consolidé depuis 2010. Incontestablement, cette augmentation est venue complexifier nos normes et a aggravé le coût de notre charge normative.

Il n’est évidemment pas possible de supprimer tous les coûts administratifs mais on peut les rationaliser. Une réduction de -25 % des coûts pour la France, un gain de 21 à 28 milliards de charges libérées sur les entreprises. Reste à savoir si cet objectif fixé par la Commission européenne est atteignable ? Il semble que oui car il a été dépassé par la Belgique qui a baissé le poids des charges administratives fédérales de -30 % entre 2000 et 2020. À cette date, l’Espagne se fixait également un programme de baisse de -30 % des charges administratives pour les entreprises (objectif : -16 milliards €).

L’Allemagne a également atteint son objectif de réduction de -25 % sur le coût des normes affectant ses entreprises alors que le Royaume-Uni a lancé 2 cycles de simplifications avec, à chaque fois, l’objectif d’une baisse de -13 milliards € de coûts.

L’obligation des fouilles archéologiques, un coûteux casse-tête pour les collectivités

Le coût de l’archéologie préventive, pour l’ensemble des aménageurs, tourne autour de 200 millions €7. En effet, tous les permis de construire passent devant la DRAC qui détermine le risque de trouver des vestiges et le besoin de diagnostic ou préfouilles. Ces préfouilles sont prises en charge par l’État via la RAP (redevance récoltée sur les permis de construire en sous-sol).

S’il doit y avoir des fouilles, il y a un appel d’offres sur lequel, depuis mai 2017, la DRAC doit émettre un avis (et peut réévaluer à la hausse le besoin de financement) et le financement des fouilles préventives est assuré par l’aménageur du projet. Ces dépenses ne sont plafonnées (à 50 %) que si elles touchent des programmes de construction de logements dans des zones d’aménagement concertés ou de lotissements soumis au permis d’aménager.

Alors que les communes représentent 29 % de la construction publique, les plus petites d’entre elles peuvent se retrouver asphyxiées par des coûts même si l’État peut leur accorder une aide. En moyenne, entre 2009-2018, environ un tiers des opérations de fouilles ont reçu un soutien financier de l’État et qui représente 25 % du volume financier du marché. On peut donc estimer les difficultés de financement des communes autour de 50 millions €.

Par exemple, en 2017, le diagnostic et les fouilles pour l’extension du parc d’activités de Tournebride (44) auront coûté 800 000 € pour 22 hectares, à la communauté de communes. Soit 4 € le m2. En septembre 2021, la commune de Vienne (38) a dû abandonner son projet, lancé 7 ans plus tôt, de construction de parking souterrain à cause du coût des fouilles archéologiques de 6,7 millions €.

En 2013, le rapport de la Mission de lutte contre l’inflation normative proposait de plafonner à 1 % du montant du chantier le coût des fouilles archéologiques. Une proposition rejetée.

Estimation du poids de la charge administrative en France et économies potentielles

 

En % du PIB

En milliards € (2021)

Potentiel d’économies en milliards (2021) sur la base d’une réduction de -25 %
des charges administratives

Estimation de la charge administrative reposant
sur les entreprises

3 à 3,5 %

75 à 87 milliards

18 à 21 milliards

Estimation de la charge administrative reposant sur les collectivités et les particuliers

0,5 à 1 %

12 à 25 milliards

3 à 6 milliards

Estimation de la charge administrative totale

3,5 à 4,5 %

87 à 112 milliards

21 à 28 milliards

Source : Commission européenne, OCDE, retraitement iFRAP.

III. S’attaquer au stock de normes

Allemagne et Belgique : les deux approches les plus abouties

En 2006, l’Allemagne a procédé à une première phase d’évaluation du stock normatif et de leur coût de traitement par les entreprises, 48 milliards €. De 2006 à 2012, le pays réduisait ce coût de 25 %, en dégageant 12,3 milliards € en passant par la recension exhaustive de 18 500 obligations d’informations (O.I). Des enquêtes progressivement élargies aux normes affectant les collectivités et les particuliers et en plus, depuis 10 ans, 13 lois de simplification sont intervenues, réduisant le stock de lois fédérales de 2 039 à 1 728 lois. Désormais, le pays est capable de dire que la norme qui pèse le plus sur les citoyens allemands relève d’une obligation sur les petites installations anti-incendie (+50 millions €), tandis que l’allègement le plus important concernait la modernisation des règles encadrant les télécoms (-149 millions € libérés). Pour les entreprises, la norme qui pèse le plus est celle encadrant l’utilisation des pesticides (+159 millions €)8. Dans le même temps, un acte de modernisation sur la santé digitale et la protection sociale a produit un allègement de -980 millions €. Pour les services publics, la norme le plus contraignante est celle dictant les règles pour encadrer les écoles primaires (3,7 milliards €) quand l’allègement le plus important relève de la protection des sols (-22 millions €).

La Belgique, depuis 1998, a baissé le poids des coûts administratifs pesant sur les entreprises et les indépendants : ils représentaient 3,4 % du PIB en 2000, 1,6 % en 2016 et 1 % en 2020, soit une baisse de 30 % environ. Depuis 2003, la Belgique cherche aussi à réduire ce poids pour les citoyens et, depuis 2018, pour les « autorités » (administration, service public, etc.) On sait aussi que, de 2008 à 2020, les charges administratives ont baissé, au niveau fédéral, de 2,8 milliards € dont 60 % bénéficiant aux entreprises, 35 % aux citoyens et environ 5 % aux « autorités ».

De la nécessité d’évaluer les lois : le cas de la loi Résilience et Climat

L’étude d’impact de la loi Résilience et Climat présente très peu d’évaluations budgétaires. Sont ainsi chiffrés l’impact prévu par l’interdiction des avions publicitaires (1 million de chiffre d’affaires lié aux activités de tractage de banderoles en 2013), l’impact découlant de l’obligation de formation à l’écoconduite des conducteurs routiers (192 millions € pour chaque cycle de formation) ou encore l’impact de la généralisation des dispositions de la loi Egalim à la restauration collective privée à partir de 2025 (78 et 90 millions € par an). Au total, sur les 69 mesures, moins de 10 présentent une estimation d’impact économique pour les entreprises ou les collectivités. Une situation d’autant moins compréhensible que cette loi a acté plusieurs mesures très radicales et coûteuses.

  • L’arrêt des aménagements de zones commerciales qui génèrent de l’artificialisation : les constructions doivent désormais s’établir sur des zones déjà artificialisées, ce qui représente un surcoût de 20 à 30 % par rapport à un terrain nu ;
  • L’interdiction de la publicité sur les énergies fossiles : rien que sur les publicités présentant des SUV, les médias estiment le manque à gagner à 1,8 milliard € ;
  • L’obligation d’installer 30 % de panneaux photovoltaïques ou végétaux sur les toits des entrepôts de 500 m2, mais aussi sur les immeubles de bureaux, les parkings, les commerces (seuil d’obligation de 1 000 m2 de surface au sol) : le syndicat des professionnels de l’énergie solaire estime, qu’à la revente, un bâtiment disposant de panneaux photovoltaïques gagne 15 % de valeur et l’énergie produite doit venir alléger la facture d’électricité du bâtiment, néanmoins l’installation d’une quinzaine de panneaux solaires pour couvrir 30 % de la toiture d’un entrepôt de 500 m2 coûterait entre 135 000 et 225 000 € d’investissement ;
  • L’interdiction du chauffage au gaz dans les maisons individuelles nouvellement construites depuis janvier 2022 (et en 2024 pour les nouveaux immeubles) : la Fédération française du bâtiment estime que « pour un jeune ménage qui fait construire, […] le passage du gaz à la pompe à chaleur représente une facture supplémentaire de 7 000 à 11 000 € » ;
  • L’obligation pour les propriétaires d’entamer des travaux de rénovation puisqu’en 2023, la location des logements avec une étiquette G sera interdite (600 000 logements), puis des étiquettes F en 2028 (1,2 million de logements) mais avec une première étape, en août 2022, avec l’interdiction de la hausse des loyers des passoires thermiques. Opéra Énergie, un média spécialisé, estime le prix moyen de travaux de rénovation énergétique à entre 200 et 450 € le m2. Entre la question du coût et des délais extrêmement serrés, le risque est grand de voir de plus en plus de ces logements passer en locations saisonnières qui bénéficient d’une exception ;
  • L’interdiction de vente de tout véhicule à carburant fossile à partir de 2040 avec une première étape dès 2030 où la vente des voitures thermiques dépassant les 123 g/k de CO2 sera interdite. Emmanuel Macron, en novembre 2021, estimait le besoin d’investissement dans le secteur à 4 milliards € pour espérer produire 2 millions de véhicules électriques et hybrides en France. À l’été 2020, le secteur automobile était doté, via le plan de relance, de 8 milliards € tandis que la Plateforme automobile (PFA) estime à 17 milliards € l’enveloppe nécessaire pour localiser en France l’industrie de l’automobile « du XXIe siècle ».

Plus grave encore, les augmentations de fiscalité décidées dans la loi n’ont pas, non plus, été évaluées. Le texte prévoit pourtant, pour lutter contre l’artificialisation des sols, l’augmentation de la taxe d’aménagement du territoire jusqu’à 20 % (à décider par les collectivités), de taxer les engins agricoles dès 2024 s’ils ne réduisent pas suffisamment leurs émissions, d’augmenter la compensation du CO2 sur les billets d’avion de 0,4 à 2,4 % et d’augmenter la taxe sur l’essence dédiée à l’aviation de tourisme. Au final, il est probable que l’impact de la loi Résilience et Climat se porte à plusieurs dizaines de milliards € pour les entreprises, les particuliers et les collectivités territoriales.

Évolution du coût des charges administratives des entreprises et des indépendants en Belgique (en % du PIB)

Source : Bureau fédéral du Plan, les charges administratives en Belgique en 2020, mars 2022

Pays-Bas et Royaume-Uni : approches alternatives

En 2006, les Pays-Bas lançaient leur première phase d’évaluation. Sans parvenir à l’objectif européen de -25 % des coûts, depuis 2013, le pays a adopté un principe de réduction des coûts de 5 % par an (pour un stock normatif pesant pour 7,4 milliards €).

Le Royaume-Uni, lui, a choisi de ne pas réaliser d’audit de son stock normatif mais a engagé un cycle de réduction des coûts de la réglementation pour les entreprises britanniques de 13 milliards € de 2011 à 2014.

Ce qu’il faut faire en France

  • S’inspirer des méthodes belges et allemandes : La première étape pour la France, c’est la réalisation d’un audit du stock normatif afin de pouvoir dégager un effort cible. La Fondation iFRAP recommande qu’un coordinateur unique suive la méthode SCM (standard model cost) qui a été utilisée en Belgique et en Allemagne et qui consiste à passer en revue les obligations d’informations (O.I), c’est-à-dire les coûts administratifs qui pèsent sur les entreprises. Une seconde étape pour élargir le spectre des charges serait de reprendre la méthode CAR (cost driven approach to regulatory burden) adoptée par le Conseil de simplification des entreprises et qui relève d’une évaluation microsectorielle pour mettre en lumière les charges réglementaires annexes liées à l’exploitation de l’entreprise comme celles des mises en conformité ou les coûts liées aux réglementations spécifiques du secteur et aux inspections. Ces deux méthodes associées, élargies aux administrations et aux collectivités, permettront de constituer un état des lieux robuste de notre stock normatif initial, condition pour dégager des cibles de baisses et pour évaluer correctement le flux à venir.
  • Créer une commission permanente de la suppression des lois : En parallèle, il faut créer à l’Assemblée nationale une Commission permanente de la suppression de lois qui siégerait pour faire passer un pack de suppression législative par an. En s’alignant sur le rythme tenu par l’Allemagne et ses lois de simplification, il est possible de réduire le stock de lois de 15 % en 10 ans ce qui nous ferait passer de 11 500 lois à 9 890 lois. Pour éviter la constitution d’un nouveau stock de lois « vide », une option serait d’encadrer le délai d’adoption des mesures d’exécution, par l’exécutif, à 10 mois (sauf disposition législative contraire) : depuis 2007, le taux d’application des lois varie de 50 à 95 % en fonction des semestres (seulement 81 à 95 % sur la dernière législature).
  • Donner la priorité aux entreprises : Pour cela, on peut instituer un Conseil des ministères trimestriel dédié aux efforts des ministères en matière de simplification pour les entreprises. Chaque ministère devra se fixer des objectifs précis et les résultats devront, évidemment, être suivis et publics.
  • Établir la transparence : La dernière étape doit être de constituer une base statistique de légistique unifiée accessible « en temps réel ». Cette base doit disposer d’une section legilocal qui présenterait le stock normatif au niveau local (une donnée actuellement absente) et doit inclure la publication de tous les avis du Conseil d’État, une source légistique importante et dont la publication n’a commencé qu’en 2015. Enfin, il faut mettre en place un reporting semestriel public réalisé par un cabinet d’audit international indépendant pour évaluer la réalité de la politique de simplification et de ses conséquences sur l’économie.

IV. S’attaquer au flux normatif et systématiser les évaluations

L’approche allemande : suivre tout, tout le temps

En 2012, l’Allemagne met en place un indice pour suivre l’évolution des coûts annuels des mesures applicables aux entreprises, aux citoyens et aux administrations publiques. La base 100 de cet indice est fixée en 2012 et en 2020, la complexité administrative était passée à 97. Néanmoins la réalité de cet indice est en « dents de scie » avec des périodes de hausses de la complexité (en 2017, mise en place d’un nouvel acte sur le salaire minimum) et des périodes de baisses (2019, réforme des taxes sur la propriété). Une réalité qui illustre l’importance de la transparence et des outils de suivi pour maintenir le cap de la simplification.

Évolution de l’index de complexité administrative en Allemagne (base 2012)

Source : Normenkontroll, rapport annuel 2021.

Une loi votée, une loi annulée : un principe adopté par tous

Un des outils utilisés par l’Allemagne est la méthode du One In, One Out adopté depuis 2015 et qui s’applique actuellement sur les normes encadrant les entreprises. Ce suivi a été renforcé en mars 2018 par un décompte du stock spécifique des obligations déclaratives imposées aux entreprises.

Les Pays-Bas ont également adopté le principe du One In, One Out pour atteindre un objectif de simplification de 2 milliards € pour les entreprises et de 500 millions € pour les citoyens et les services publics de 2012 à 2017. Un objectif atteint dès l’année 2016 grâce à la responsabilisation de chaque ministère pour proposer des compensations. Le Royaume-Uni a également adopté la méthode du One In, One out dès 2010. Cette approche a permis de réduire les coûts des normes de 3 milliards €. Depuis 2016, le Royaume-Uni est même passé à une logique de One In, Three Out pour soutenir son nouveau cycle de baisse des charges de 13 milliards € sur la période 2016-2018.

Ce qu’il faut faire en France

  • Instituer un coordinateur unique : La seconde étape pour notre pays consiste à réaliser un suivi annuel de la législation produite par les pouvoirs publics et y adjoindre des objectifs en termes de volume d’économies à générer. Pour cela, la Fondation iFRAP recommande la création d’un coordinateur unique, responsable de l’évaluation sous toutes ses formes et qui soit bien identifiable. Cette Autorité indépendante de l’Évaluation Normative (AEN) aurait pour mission d’évaluer chaque mesure et son impact sur l’économie et de réaliser des contre-analyses aux études d’impact proposées par le gouvernement. Elle devra également déployer des indicateurs de suivi, en priorité pour les entreprises, mais également pour les collectivités locales, les administrations, et surveiller les surtranspositions des directives européennes. Pour cela, nous proposons de perpétuer la pratique des fiches d’impacts (actuellement saisies par le SGG) mais de les faire traiter par l’AEN et de renseigner une partie « charge administrative » au même titre que les charges socio-économiques et budgétaires. Ces informations permettront à la France d’établir un index de complexité administrative à suivre annuellement, sur le modèle allemand.

Il sera possible de lui donner corps via le redéploiement des entités existantes (SGG, CNEN mais aussi des redéploiements partiels au SGAE, SGMAP, etc.) Enfin, il faudra réaliser une enquête biennale, assurée par l’AEN et l’Insee, auprès d’un échantillon d’entreprises et d’indépendants afin d’évaluer les besoins en termes de simplification.

Les coordinateurs uniques : s’inspirer de la Belgique et de l’Allemagne

La Belgique a créé, dès 1998, une Agence pour la Simplification administrative (ASA) rattachée au service de la Chancellerie du Premier ministre. À l’origine, l’ASA avait vocation à ne s’intéresser qu’à la problématique pour les entreprises, puis pour les citoyens à partir de 2003. En 2007, un Bureau de la mesure est créé à l’ASA avec comme objectif d’évaluer les diminutions de charges administratives potentielles (dans le stock en place et dans les projets potentiels). Les missions de l’ASA sont de faire des propositions de simplification, de stimuler et coordonner les initiatives, de réaliser des études, d’élaborer et d’appliquer une méthode de mesure des coûts pour les entreprises et les PME, d’organiser la collaboration des différentes administrations fédérales, d’élaborer les fiches d’impact administratif en collaboration avec les services du ministère des classes moyennes (mesure pour les particuliers), d’organiser la concertation relative à la simplification administrative avec tous les niveaux de pouvoir. Mais aussi, d’accompagner juridiquement le portage des projets d’e-gouvernement, de la concertation avec les administrations lors de la préparation d’actions de simplification, du rapport sur les résultats obtenus. En 2014, le budget de l’ASA était de 887 800 € contre 611 800 € en 2017, cela en gardant en mémoire que le calcul des charges administratives est sous-traité à un partenaire externe. Au niveau des effectifs, en 2014, l’Agence comptait 14 permanents contre 12 en 2017 mais, encore une fois, elle a recours à des externes pour les travaux de mesures (une dizaine de consultants en 2015) et lors des enquêtes biennales (60 000 € par enquête).

D’autres exemples d’institutions étrangères doivent aussi nous inspirer : le NormenKontrollrat, en Allemagne, qui existe depuis 2006 est une agence partiellement indépendante, rattachée au ministère des Finances, composée de 10 membres nommés pour 5 ans (sans appartenance administrative ou mandat électif) et soutenue par 15 agents chargés de contrôler les études d’impact et les évaluations sur le suivi des normes fournies par les ministères et d’assurer également le suivi infra-annuel des flux de législation avec agrégation des coûts des législations (et réglementations) publiées.

  • Institut un Office parlementaire d’évaluation indépendant : Enfin, dans le contexte démocratique français, qui se caractérise par un exécutif très puissant et un Parlement souvent contourné, la Fondation iFRAP propose de renforcer le rôle du Parlement en lui rattachant un organisme chargé de proposer, s’agissant des projets de loi, un audit indépendant en cas de désaccord profond quant à l’évaluation des estimations alternatives. Aujourd’hui, France Stratégie recueille sur certains dossiers économiques cette compétence, sans que cela soit institutionnalisé, alors que le Parlement reste, pour le moment, à l’écart de la démarche d’évaluation contradictoire. Nous proposons de changer cela par une création qui devra se faire au niveau constitutionnel et constituer un organisme auprès du Parlement en autorité administrative indépendante que l’on propose de nommer Office parlementaire d’évaluation indépendant. L’office proposerait systématiquement ses propres chiffrages d’impact économique/financier, légistique et d’évaluation de la charge administrative pour les propositions de loi les plus importantes. Et devrait réaliser une étude d’impact conclusive à l’issue des discussions au Parlement (pour tenir compte de l’enrichissement des projets de loi en cours de discussion). Il pourrait d’autant plus y parvenir qu’il serait saisi de l’évaluation économique et budgétaire de tout amendement déposé par le gouvernement ou le Parlement et adopté au cours de la discussion parlementaire. En cas de désaccord entre l’évaluation des ministères et celle de l’Office d’évaluation parlementaire, le Conseil constitutionnel pourrait être saisi par 60 députés ou 60 sénateurs, alternativement à la voie actuelle du Président de chaque chambre, afin de se prononcer sur la qualité de tout ou partie de ce document, et éventuellement bloquer la procédure d’examen, en attendant qu’une nouvelle évaluation soit produite.

V. Adopter les bons outils pour lutter contre la surtransposition

Quel est le vrai poids des normes d’origine européenne ?

Lorsqu’on parle d’inflation normative, le droit européen est souvent accusé de venir complexifier les règles nationales. Incontestablement, la législation européenne vient enrichir notre stock de normes mais ce phénomène est difficilement mesurable car, une fois transposées, les obligations européennes ne se distinguent pas des normes nationales. Les eurosceptiques parlent souvent d’un chiffre de 80 % des lois votées en France qui seraient d’origine européenne. Un chiffre infondé qui trouverait sa source dans une déclaration de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne et qui affichait l’ambition, en 1988, que « vers l’an 2000, 80 % de la législation économique, peut-être même fiscale et sociale, sera décidée par les institutions européennes ».

Plusieurs études, résumées en 2014 dans une analyse d’Yves Bertoncini pour Notre Europe9, sur le sujet, ont permis d’estimer la part des normes d’origine européenne aux alentours de 20 % des lois (des années 1990 à 2008) mais avec des taux qui monteraient à 30-40 % des lois pour les secteurs de l’agriculture, de la finance et de l’environnement et qui tomberaient en dessous de 10 % pour les secteurs de l’éducation, du logement, de la défense ou de la protection sociale. D’autres pays se sont également posé cette question et, d’après une note de 201210, il ressort que la majorité des États affichaient une part de normes d’origine européenne plus faible que nous : 15 % pour le Royaume-Uni, 14 % pour le Danemark, 10 % pour l’Autriche… mais 39 % pour l’Allemagne. Pour contrer ce poids, l’Allemagne suit, depuis 2015, l’impact pour ses entreprises de la législation d’origine européenne et a adopté le principe du One In, One out pour contenir la complexité. Si cette politique du One In, One Out a permis de baisser les coûts de -3,5 milliards depuis 2015, en prenant en compte l’impact de la législation d’origine européenne pour les entreprises, la baisse est amoindrie à -2,1 milliards €.

Évolution de la mise en place du One In, One Out (OIOO) en Allemagne et impact des transpositions européennes

Source : Normenkontroll, rapport annuel 2021.

La surtransposition « politique », une problématique française

Il est possible de contenir l’inflation normative d’origine européenne à condition de se doter des bons outils et de mettre fin à la pratique de la surtransposition qui consiste à « adopter des normes nationales plus contraignantes que celles précédant strictement des directives européennes ». Dans leur définition de la surtransposition, les pouvoirs publics français ajoutent « sans que cela soit justifié par la volonté d’atteindre […] des objectifs plus ambitieux que ceux qui sont fixés au niveau européen dans le domaine concerné ». En clair, si une transposition base sa contrainte accrue sur un choix politique, elle n’est pas considérée comme de la surtransposition.

Heureusement, le rapport consacré à « l’adoption et au maintien, dans le droit positif, des mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales du droit de l’Union européenne » qui a été rendu au Parlement courant 2019 mais non publié, n’exclut pas l’arbitrage politique de son enquête et permet de dresser un bilan complet : 1 directive sur 4 fait l’objet d’au moins une mesure de surtransposition « avec un effet pénalisant » et pour la moitié de ces directives, plus d’une mesure de surtransposition concentrait ce phénomène sur quelques ministères, pénalisant souvent l’industrie. Au total, sur 1 400 textes identifiés, 137 directives faisaient l’objet d’au moins une mesure de surtransposition, soit 2,6 %… Le gouvernement a reconnu que 30 directives auraient dû être simplifiées via une loi présentée au Sénat en octobre 2018 mais abandonnée par la suite. Encore une fois, c’est l’arbitrage politique qui l’a emporté car, par exemple, sur les énergies renouvelables, « le gouvernement assume que la loi de transition énergétique qui prévoit de porter leur part en France à 32 % de la consommation finale brute d’énergie en 2030 surtranspose le droit européen […] qui propose de fixer un objectif européen à 27 % en 2030 ».

Ce qu’il faut faire en France

  • Faire du Sénat le chef de file de la lutte contre la surtransposition : Depuis 2019, suite à une expérimentation concluante, le Sénat est investi d’un dispositif de vigilance sur les surtranspositions mais cela est loin d’être suffisant. La Fondation iFRAP propose de renforcer ce dispositif en rendant ces conclusions contraignantes et en faisant sauter l’argument de l’arbitrage politique. Pour que les surtranspositions « politiques » baissent, il faut une volonté politique forte de « déréglementer » et de simplifier l’environnement normatif français, ce qui présente des enjeux pour les entreprises (notamment via les coûts indirects dits de « mise en conformité »), pour les particuliers (paperasse administrative stricte) et pour les administrations elles-mêmes (numérisation, partage des données, introduction des algorithmes au sein des back-offices, etc.). Avec à la clé, des gains en termes de coûts de production pour la sphère économique mais aussi administrative.
  • Généraliser la règle du One In, One Out : Néanmoins, comme les transpositions font partie intégrante du stock normatif, leur régulation et leur évaluation passeront dans les filets de l’Autorité indépendante de l’Évaluation Normative et de l’Office parlementaire d’évaluation indépendant. Sur les modèles allemand et britannique, la Fondation iFRAP propose d’élargir le principe du One In, One Out à toute la législation (aujourd’hui, ce principe n’est adopté que sur la prise de décrets réglementaires) en instaurant comme règle que toute nouvelle norme soit compensée par la suppression, ou en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes. Les suppressions ou simplifications devront intervenir dans le même champ ministériel ou sur la même politique publique et devront apparaître d’un niveau qualitatif équivalent. La nouvelle Autorité indépendante s’assurera du respect de l’application de ce principe et assurera les arbitrages en cas de difficulté.

Industrie du bois : une législation française 5 fois plus dure que l’obligation européenne

Pour protéger les salariés de l’industrie du bois, l’Union européenne encadre l’exposition aux poussières de bois à 5 mg/m3 et uniquement sur les essences de bois durs. La France, elle, a transposé cette obligation et abaissé le seuil d’exposition à 1 mg/m3, soit 5 fois en dessous et cela quelle que soit l’essence du bois. Les machines de cette industrie étant construites pour les normes européennes (le leader du marché est l’allemand, Weinmann), elles ne permettent pas de respecter l’obligation française. Alors la France a renforcé les procédures de contrôles et de mesures de l’exposition des salariés aux poussières de bois et dans le cadre de la mise en place du compte pénibilité, ces dernières sont rentrées dans la liste des agents cancérogènes. À cette même période, le ministère de la Santé avait même évoqué l’objectif de réduire le seuil d’exposition à 0,2 mg/m3.

 

Toutes les normes qui encadrent les abris de jardin

Avant d’installer un abri de jardin, un particulier devra veiller à consulter le Plan Local d’Urbanisme ainsi que le Plan d’Occupation des Sols de sa mairie, de respecter les distances limites avec son voisinage (3 m minimum avec la clôture du voisin ou la voie publique, variable selon les communes) et respecter les normes architecturales (si dans un lotissement ou un secteur protégé – couleur, matériaux, hauteur, etc.).

  • Si un abri de jardin ne dépasse pas les 12 m de hauteur et les 5 m2 de superficie, pas besoin d’effectuer des démarches à la mairie pour l’installer. Sauf si cela concerne plusieurs abris de jardin de ce type car les surfaces s’additionnent.
  • Si l’abri de jardin a une surface de plancher inférieure à 5 m2 mais une hauteur supérieure à 12 m et inférieure à 20 m, ou est placé dans un secteur protégé, il faut faire une déclaration préalable de travaux. Compter en moyenne un mois pour l’obtenir et la déclaration de travaux doit être affichée sur le terrain durant toute la durée des travaux.
  • Si un abri de jardin a une surface au sol supérieure à 5 m2 et jusqu’à 20 m2 pour une hauteur supérieure à 12 m, ou une surface de plancher supérieure à 20 m2, ou une surface de plancher inférieure à 5 m2 pour une hauteur supérieure à 12 m et une implantation dans un secteur protégé, ou une surface de plancher supérieure à 5 m2 et jusqu’à 20 m2 pour une hauteur supérieure à 12 m mais avec une implantation en secteur protégé… il faut demander un permis de construire à la mairie. Cette fois, il faut compter 2 à 3 mois pour l’obtenir et la déclaration de travaux doit être affichée sur le terrain durant toute la durée des travaux.

Même démontable, si l’abri de jardin tombe sous le coup d’une déclaration de travaux ou d’un permis de construire, le particulier devra également payer une taxe d’aménagement en fonction de la taille de son abri et du taux appliqué par sa mairie. Le montant dû est envoyé par courrier au plus tard 6 mois après la délivrance de l’autorisation mais jusqu’à 12 mois si le montant dû est inférieur à 500 €. Le particulier a, lui, comme date limite de paiement le 15 du 2e mois suivant la date d’émission du courrier.

La simplification doit devenir une politique publique à part entière

« Choc de simplification », mission « Balai » et expérimentations abandonnées, la simplification est souvent reléguée au rang de gimmick par les majorités et les gouvernements successifs. Loin de cela, nos partenaires européens ont mis en place des garde-fous, des institutions et des outils pérennisés afin de lutter contre l’inflation normative et de réduire les coûts (en euros, en temps et en démarche) liés aux charges administratives. Tous ont fait le choix de réduire ce poids, en priorité, sur les entreprises car la réalité est qu’une charge administrative incontrôlée agit comme un impôt supplémentaire et inutile qui freine la compétitivité. Alors que les entreprises françaises s’acquittent déjà de 200 milliards € de prélèvements obligatoires en plus par rapport aux entreprises allemandes, réduire le poids des normes est une nécessité absolue. En s’inspirant des méthodes qui ont fonctionné à l’étranger, la France peut transformer son retard en opportunité et viser d’ici 5 ans, une baisse de 18 à 21 milliards € sur les charges pesant sur les entreprises et une baisse de 12 à 25 milliards pour les collectivités, les services publics et les particuliers.