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TVA sociale

Efficacité minime, effets néfastes garantis

La TVA dite « sociale » est un mécanisme faisant basculer une partie des cotisations sociales sur la TVA. Elle a pour objet essentiel de diminuer le coût du travail des produits et services d'origine française, et donc de favoriser la compétitivité des entreprises françaises et les exportations (dont les prix sont hors TVA). En même temps le prix des produits importés augmente du montant de la hausse de la TVA.

Cet effet paraît simple à expliquer. En réalité la TVA sociale est un serpent de mer qui resurgit périodiquement et donne lieu à des batailles d'experts d'une technicité et d'une complexité telles qu'il paraît impossible de prendre une position claire. Nous estimons néanmoins que l'efficacité de la mesure est plus que douteuse ou en tout état de cause minime, et qu'elle comporterait des effets néfastes notamment sur les dépenses publiques.

Trois points nous paraissent devoir être particulièrement distingués.

Un effet protectionniste mais largement illusoire sur la compétitivité

Tout d'abord l'effet premier sur la compétitivité paraît largement illusoire si l'on veut comparer le coût du travail français avec celui des pays à bas coûts de production, car les quelques points gagnés sur la baisse des cotisations sociales ne parviendront jamais à combler le différentiel considérable de coût du travail. En fait la TVA sociale est une mesure protectionniste qui à ce titre seul est mauvaise et peut susciter des mesures de rétorsion. S'il s'agit d'abaisser le coût du travail dans nos rapports avec les pays européens, un tel protectionnisme est à proscrire, et il n'est pas du tout évident que le coût du travail soit la raison essentielle de nos difficultés à l'exportation. Le coût du travail relativement élevé de l'Allemagne ne l'empêche pas d'être un grand pays exportateur.

Une fiscalisation de la protection sociale au détriment du capital et de la croissance

Comme le remarque l'économiste Pascal Salin, opposant très décidé, la TVA sociale a pour effet de taxer le capital des entreprises en faisant davantage reposer le financement de la protection sociale sur la valeur ajoutée, alors que le capital est selon l'expression de l'économiste, le « choix du futur », qu'il est déjà surtaxé en France, ce qui pèse sur la croissance (et donc les emplois). C'est une objection qu'il faut prendre en considération. En réalité, avec la TVA sociale, on s'éloigne encore plus du caractère contributif de la protection sociale en la fiscalisant. Déjà en quelques années on est passé d'une couverture à 80% de cette protection par les cotisations contributives, à une couverture à seulement 50%, évolution que nous estimons dangereuse pour les finances publiques et déresponsabilisante.

Un effet inflationniste créateur de dépenses publiques

Il faut enfin se poser la question des conséquences de la TVA sociale sur l'inflation et les dépenses publiques. Pascal Salin estime avec d'autres que le risque d'inflation n'existe réellement pas car le niveau des prix au consommateur final est déterminé par la loi de l'offre et de la demande et que l'entreprise n'est pas libre de répercuter la hausse de la TVA sur le prix final.

Sans prendre parti sur cette controverse, on peut quand même remarquer que cette répercussion se produira mécaniquement sur les prix des produits importés vendus en l'état, voire sur ceux des entreprises employant peu de main-d'œuvre. Pour prendre un exemple simple mais important, le prix des carburants inclut une TVA au taux plein calculée sur le prix hors taxe mais TIPP comprise (la marge de raffinage en France, sur laquelle la baisse du coût du travail pourrait jouer, étant de l'ordre de 2%, donc négligeable).

Selon l'étude réalisée par l'Inspection Générale des Finances en 2007, le scénario probable, accréditant la thèse de l'inflation, serait le suivant :
- La hausse de la TVA provoquerait une inflation immédiate et durable par l'augmentation des prix des produits importés, et temporaire seulement en ce qui concerne les productions françaises, pendant le temps nécessaire pour écouler les stocks des produits déjà fabriqués, et pour reconstituer les marges, surtout là où la concurrence est insuffisante,
- La baisse du coût du travail, provoquée par celle des cotisations, devrait permettre à terme de contrebalancer l'effet de hausse des prix causée par celle de la TVA…
- …mais le pouvoir d'achat des salariés serait protégé par les mécanismes d'indexation automatique des bas salaires (SMIC) sur l'inflation, mécanismes qui se propagent en pratique sur toute l'échelle des salaires,
- et cette indexation se propagerait aussi sur les retraites et les minima sociaux, avec un coût supplémentaire pour les finances publiques.

Cet effet sur les dépenses publiques serait d'autant plus défavorable que, pour assurer une efficacité réelle de la TVA sociale en termes de création d'emplois, il semble qu'il faille cibler la baisse des charges sur les bas salaires. En effet, d'après une simulation réalisée par la DGTPE, une baisse des cotisations répartie également sur l'ensemble de l'échelle des salaires n'aurait qu'un effet très limité sur les créations d'emploi, surtout après le jeu des mécanismes d'indexation des salaires sur les prix (30.000 emplois pour un allégement uniforme de 2 points des charges sociales).

Or, toutes les cotisations obligatoires sont aujourd'hui supprimées au niveau du SMIC. Si donc pour des raisons d'efficacité on ciblait cette baisse des charges sur les bas salaires, on créerait un système de « cotisations négatives » venant encore impacter défavorablement l'équilibre des dépenses publiques. Comme l'écrit l'IGF, « les administrations publiques deviendraient en quelque sorte co-financeurs du salaire brut versé par les entreprises ». On peut ajouter que ce co-financement est déjà largement effectif avec les allégements de charges et le financement public du RSA qui s'analyse en un complément de salaire sur lequel au surplus ne pèsent pas de charges sociales ni fiscales. Il est inacceptable de s'engager plus avant dans un tel processus.

En résumé, il est très douteux que l'institution d'une TVA dite sociale, qui n'est en fait que le remplacement d'un impôt par un autre, ait un effet positif important sur la compétitivité des entreprises françaises et la création d'emplois. Pour qu'il en soit autrement, il faudrait que la baisse des charges intervienne soit sans une augmentation corrélative de la TVA, soit dans un contexte de forte reprise économique qui ne paraît pas être d'actualité.

En revanche, des effets néfastes se produiraient à la suite d'une inflation inévitable sur au moins une partie des produits vendus en France. L'indexation des salaires sur les prix viendrait supprimer en grande partie l'effet favorable de la baisse des charges. Au bout du compte les dépenses publiques s'en trouveraient augmentées au niveau des bas salaires et des revenus d'assistance, ainsi d'ailleurs que pour les rémunérations des fonctionnaires, qui sont aussi indexées sur l'inflation. Une pression fiscale accrue se produirait alors. Or c'est justement la pression fiscale qu'il faudrait diminuer pour favoriser l'emploi. Au total, l'institution de la TVA sociale, qui représenterait une réforme fiscale majeure (et administrativement coûteuse), aurait des conséquences néfastes tout en ne s'adressant pas au véritable problème. Un jeu douteux et en tout cas de faible impact pour une chandelle coûteuse.

TVA sociale : attention au maximum de 25%

Afin de mieux cerner l'enjeu du problème, il faut savoir que la TVA française au taux normal de 19,6% ne pourrait être augmentée que de 5,4 points au maximum [1] dans le cadre de l'UE. Sur la base de la TVA collectée en 2008 [2] (129,9 milliards d'€), le point de TVA supplémentaire au taux normal représenterait 5,9 milliards d'€.

L'ensemble des cotisations employeurs représentant près de 217 milliards d'€ en 2008 pour 100 milliards de cotisations des salariés soit 92% de l'ensemble des cotisations effectives (342 milliards) et 81% de l'ensemble des cotisations de protection sociale. Elles viennent financer le risque famille et l'Assurance Maladie à hauteur de 108 milliards d'€. C'est le transfert de la charge de ces 108 milliards qui est visée dans le cadre du débat sur la TVA sociale.

Or la marge de manœuvre théorique maximale compensatrice créée par l'augmentation de la TVA si l'on portait ses taux respectivement à 25%, 15% et 5,5% ne serait en réalité que de 55,46 milliards [3], conduisant à une suppression de cotisations à due concurrence sur ces deux risques de 51%.

Mais cela équivaudrait surtout à une réduction de seulement 17% des cotisations liées à l'emploi salarié et 14% des cotisations totales.

[1] Dans la mesure où il existe un accord informel entre les états membres de l'Union européenne pour ne pas aller au-delà d'une fourchette de 10 points à partir du taux normal minimum communautaire de 15%, ce qui place la limite à 25% jusqu'au 31 décembre 2010.

[2] L'année 2008 est prise comme année de référence car c'est la dernière année pour laquelle nous bénéficions du rapport sur les comptes de la protection sociale de la DREES (document de travail) en date de juillet 2010.

[3] Le passage du taux normal de 19,6% jusqu'au taux de 25% ne génère que 31,86 milliards d'€ de recettes supplémentaires, auxquels s'ajoutent 22,3 milliards si le taux réduit de 5,5% était porté à 15% et 1,3 milliard si le taux super-réduit de 2,1% disparaissait au profit du taux réduit à 5,5. La marge de manœuvre théorique totale avec une TVA désormais fixée à 25%, 15% et 5,5%, ne permettrait de compenser que 55,46 milliards de suppressions de cotisations à due concurrence.