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Transition énergétique : un rapport RTE aux hypothèses contestables

A partir des six scenarios de transition énergétique définis en juin 2021, Réseau de Transport de l’Électricité (RTE), gestionnaire national du réseau électrique, a publié le 25 octobre 2021 les évaluations de leur faisabilité et de leurs conséquences économiques avec toujours, en ligne de mire l'atteinte de la neutralité carbone en 2050 et l'objectif de diviser par deux la consommation d'énergie en 2050, par rapport à son niveau de 2012. Un travail qui sera complété début 2022 par des données plus détaillées. 

Pour chacun des 6 mix électriques variant de 50% à 100% d'énergies renouvelables, et de 50% à 0% de nucléaire, le rapport RTE mesure les conséquences économiques, évalue les écarts possibles, par exemple sur le coût du MWh, et décrit les impacts environnementaux et sociétaux. Restent les hypothèses de base sur lesquelles repose ce rapport qui posent deux questions de fond : le niveau de consommation et l'évaluation de l'intermittence dans le coût des énergies.

L'étude nommée « Futurs énergétiques 2050 »[1] dresse six scénarios censés permettre d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Pour mémoire, le mix électrique actuel (2019[2]) est le suivant : Nucléaire : 71% ; Solaire : 2% ; Eolien : 6% ; Énergies fossiles : 8% ; Hydraulique : 11% ; Autres bioénergies : 2%.

Chacun des scénarios entend assurer une sécurité d’approvisionnement du système électrique français comparable à son niveau actuel. Dans tous les cas, RTE assure avoir retenu des données « prudentes ».

En semblant recommander une solution équilibrée des modes de production « ancien et nouveaux nucléaires + toute la gamme des renouvelables », RTE devrait satisfaire la grande majorité des Français, mais l’hypothèse concernant la baisse de consommation d’énergie sur laquelle repose tous les scénarios est-elle crédible ?

Baisse de la consommation d’énergie

Le rapport RTE est aligné sur les hypothèses officielles concernant l’environnement économique et social à long terme, et sur les objectifs fixés par les gouvernements concernant la transition énergétique. L’objectif fondamental de la transition énergétique est de réduire progressivement le niveau des émissions CO2 pour arriver à la neutralité carbone en 2050. Pour y parvenir, un second objectif a été fixé : diviser par deux la consommation d’énergie en 2050 par rapport à 2012.

https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-de-lenergie-edition-2021

Les hypothèses relatives à la consommation d'énergie ont semble-t-il particulièrement divisé les auteurs de l'étude : au lieu d’une baisse en 2050 de 50% de la consommation d'énergie finale par rapport à 2012 comme définie à la COP21 et dans la Stratégie nationale bas carbone, le rapport RTE se base sur un objectif de baisse en 2050 de 40% de la consommation par rapport à « aujourd’hui ». Sur cette base, l’objectif pour 2050 serait de 930 TWh au lieu des 810 TWh officiels. Si « aujourd’hui » signifie 2020 ou 2021, la crise de la COVID rend ces données fragiles.

Quoi qu'il en soit ces stratégies supposent des gains en termes d'efficacité énergétique mais aussi une forte électrification des usages (transports, logement, etc.) La trajectoire dite de référence vise une consommation d'électricité de 645 TWh en 2050 – contre près de 475 en moyenne au cours de la décennie écoulée. Mais RTE a également mis à l'étude deux variantes : l'une dite de sobriété (555 TWh) et l'autre de réindustrialisation (752 TWh) avec une forte composante hydrogène.

Pour les hypothèses d’évolution de la population, RTE s’appuie sur les données officielles de l’INSEE. Mais la proposition de RTE de réduire l’objectif de croissance du PIB de 1,7 à 1,3 % entre 2030 et 2050 n’est pas conforme aux objectifs du gouvernement, soutenus par les divers plans de relance en cours. Ce taux (1,3% ou moins) correspond à la situation où les réformes de fond indispensables à la France ne seraient pas réalisées. Il n’est pas suffisant pour assurer le financement de notre modèle social, redresser les comptes publics et surtout satisfaire les aspirations légitimes des Français, comme le montre la montée des revendications actuelles concernant les revenus : 1,5% constitue un niveau minimum insuffisant, c'est au mpoins 2% que notre pays doit viser et atteindre. Même avec seulement, 1,5%, le rapprochement, à l’horizon 2050, entre les +50% de PIB et les -50% de consommation finale d’énergie interpelle particulièrement.

 

Population

PIB

Consommation d’énergie finale

Croissance / an

0,3 à 0,4 %

1,5 %

-1,4 %

2012

65 millions

2.100 M€

1620 TWh

2050

71 millions

3.200 M€

  810 TWh

Variation

+ 10 %

+50 %

-50 %

Rapprochés des données de population et surtout de richesse, les objectifs de baisse de la consommation d’énergie prennent toute leur signification : diviser par deux la consommation d’énergie de la France entre 2012 et 2050 est un véritable challenge ; mais le faire tout en augmentant le PIB en euros constants de moitié, et la population de 6 millions de personnes avec 5 millions de ménages supplémentaires, est difficilement crédible.

Dans ce cadre, il est curieux que pour conforter ses prévisions, le rapport RTE ne prenne pas en compte la quasi stabilité de la consommation d’énergie depuis 2012 (diagramme ci-dessous). En 2020, la consommation d’énergie finale n’a baissé que de 3,5% (2012 : 1620 TWh, 2020 : 1.562 TWh) malgré la faiblesse de la croissance française et la récession liée au COVID. Pour atteindre -50% en 2050, elle aurait déjà dû baisser de 13%, sachant que si les dépenses d’économie d’énergie sont en augmentation, leur efficacité est en diminution, les actions les plus rentables ayant logiquement été réalisées les premières.  

Source : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/pdf/pages/partie2/partie2.pdf

Coût des productions intermittentes

Les auteurs du rapport RTE appellent les responsables politiques à faire rapidement des choix dans les multiples options ouvertes, le rapport leur permettant de prendre rapidement des décisions éclairées même si elles restent risquées. En effet, qu'il s'agisse du renouvellement du parc nucléaire ou de l'option tout-renouvelable, ces voies impliquent de lourds investissements. Selon RTE, tous les scénarios nécessitent un investissement massif : sur 40 ans, il faudra investir entre 750 et 1000 milliards d’euros selon le scénario choisi, pour alimenter le pays en électricité, soit 20 à 25 Md€/an. Sur toute la période entre 2020 et 2060, il existe un écart de plus de 200 milliards d’euros entre le scénario nécessitant le plus d’investissement (M1) et ceux en nécessitant le moins (N2 et N03). Il s’agit d’un différentiel de cinq milliards d’euros par an, à l'avantage des scénarios avec une part de nucléaire.

Et le rapport ajoute : "toutes les composantes du système sont concernées : production d’électricité, moyens de flexibilité (électrolyseurs, réseaux et stocks d’hydrogène, centrales thermiques, batteries, dispositif de pilotage de la demande), réseaux de transport et de distribution". Une précision importante qui montre bien que le coût de l'énergie ne se limite pas au coût d'exploitation du mode de production.

A l'heure où le prix de l'énergie et son augmentation est dans tous les esprits, RTE explique que ces investissements (sur la base des hypothèses de consommation retenues dans le rapport) conduiraient à augmenter le coût global du MWh de l’ordre de 15% hors inflation (médiane). Cette projection néanmoins est soumise à deux réserves : un coût de financement faible. Le rapport indique que "les conditions macroéconomiques actuelles, combinant des taux d’intérêt bas et un renchérissement des énergies fossiles, sont particulièrement propices à une politique d’investissement dans les énergies bas-carbone". Mais cet environnement est-il susceptible de rester stable dans les prochaines années ?

D'autre part, entre le bas et le haut de la fourchette d’évolution des coûts du système électrique à long terme, ce sont essentiellement les coûts des flexibilités et ceux des réseaux qui font la différence. C'est un des points forts du rapport que son évaluation du coût complet des énergies intermittentes en France.

Le diagramme de RTE (page 31) indique, pour chacun des 6 scénarios, le coût complet des MWh produits. En se limitant aux deux extrêmes (M0 et N03) correspondant au maximum et au minimum de renouvelables, on voit que la part des flexibilités et des réseaux de transport et distribution est très supérieure dans le scénario M0. Au total, les coûts de production de l’électricité sont à peu près les mêmes dans les deux cas (environ 38 Mds d’euros), mais les coûts annexes sont moitié plus élevés dans le scénario M0.    

C’est bien sur les conséquences de l’intermittence que les nouvelles données sont les plus intéressantes. En 2021 par exemple, la consommation d’électricité a varié de 29.660 MW le 8 août à 7h00, jusqu'à 88.440 MW le 11 janvier à 9h30, soulignant la nécessité de produire quand les consommateurs le demandent. Les prix de l’électricité varient en conséquence : pour une moyenne de 35 à 50 €/MWh, les prix atteignent régulièrement des centaines d’euros. Des records ont été atteints avec des prix négatifs en 2020, et +1939 €/MWh le 12 février 2012, soulignant l’intérêt qu’il y a à produire quand il y a une forte demande.  

Au total, au coût brut de production des MWh, les productions intermittentes doivent prendre en compte cinq surcoûts :  coefficient d’utilité inférieur à 1 + coût d’équilibrage du réseau + coût de stockage + coût de délestage + coût des centrales en stand-by. Ces données officielles de RTE devraient mettre de l’ordre dans les chiffres très variables cités par les experts et les responsables politiques, en profitant d’une grande confusion :  coûts en France ou dans des pays étrangers où les conditions sont totalement différentes (ex. l’Arabie Saoudite pour le solaire, le Danemark pour l’éolien en mer), dates prises en compte (passé, présent ou futur), centrales considérées (stock ou nouvelles installations) et inclusion ou non des surcoûts liés à l’intermittence.   

Conclusion

L’étude RTE a été réalisée sous la contrainte de respecter strictement les objectifs que la France s’est fixés à la COP21, dans la Loi de transition énergétique pour la croissance verte et dans les différentes Programmations Pluriannuelles de l’Energie. Au niveau de la France, les investissements massifs, les surcoûts et les changements de mode de vie considérables qu’ils impliquent, seront très difficiles à assumer par les Français. Au niveau mondial, de nombreux pays ne respectent pas les engagements pris à la COP21, soit qu’ils ne le veulent pas, soit souvent qu’ils ne le peuvent pas, compte tenu de leur situation sociale et économique. La crise des gilets jaunes et celle actuelle dans toute l’Europe, du prix des énergies, ont montré que même dans des pays très développés, imposer de nouvelles contraintes dites « vertueuses » sur le niveau de vie est très mal supporté. On imagine ce qu’il en est dans des pays en grandes difficultés en Afrique, Amérique du sud, Asie du sud est ou Europe orientale…

En déclarant que "Les efforts des pays doivent être multipliés par quatre pour garder accessible l'objectif de 2°C et par sept pour celui de 1,5°C" un des principaux experts du Programme des Nations Unies pour l'environnement de l'ONU, et auteur du rapport préparatoire à la COP26, a sans le vouloir confirmé que ces objectifs ne seront pas atteints.  

Face à cette situation dégradée et à la certitude que le réchauffement climatique va se produire, la France devrait réviser ses plans et mieux répartir ses investissements : réduire ceux qui concernent la lutte directe contre le réchauffement climatique en France,  augmenter ses efforts de recherche sur des solutions applicables en France et dans les pays étrangers, notamment en développement, et mieux préparer notre adaptation au réchauffement climatique.

RTE, aux ordres ?

Cette question devait inévitablement se poser avant et après la publication des rapports RTE. Le principal soupçon est l’allégeance de RTE à son actionnaire majoritaire EDF. Pendant la préparation de la Stratégie Nationale Bas Carbone et de la Programmation pluriannuelle de l’énergie, ce soupçon était peu crédible, les représentants de RTE s’opposant frontalement en public à ceux d’EDF. RTE semblait surtout vouloir défendre à tout prix la loi de transition énergétique dont le député François Brottes avait été le rapporteur à l’Assemblée nationale, avant d’être nommé à la présidence de RTE. En juillet 2020, Xavier Piechaczyk, ingénieur des Ponts, haut fonctionnaire et expert du sujet de l’énergie a été nommé à la présidence de RTE. Pour réduire les tensions, il semble avoir eu à cœur de s’entourer de multiples comités où de nombreuses voix ont pu s’exprimer. 

Au service de tous les producteurs et de tous les consommateurs d’électricité, RTE devrait logiquement être une entreprise tout à fait indépendante. C’est d’ailleurs ce que la Commission européenne (et l’iFRAP) avaient demandé pour le plan de réorganisation Hercule d’EDF. Au lieu de cela, un « Chinese wall » opaque est supposé exister entre EDF et RTE, qui laisse place à de nombreux doutes.

Il demeure étrange que la stratégie énergétique de la France soit confiée au transporteur d’électrons. Comme si c’était SNCF réseau ou Air France qui, au lieu de traiter de leurs capacités de transport, allaient définir les besoins de transport en passagers et en marchandises du pays.

 

 

Principaux risques

Pour ses évaluations, RTE estime s’être entourée des meilleurs experts mais reconnaît qu’il demeure de nombreuses inconnues et des risques inhérents à des technologies en cours de développement.

Nucléaire : Des centrales nucléaires EPR ou comparables ont été récemment construites en Chine, en Russie, et aux Emirats Arabes Unis. Le principal risque concernant les futurs EPR français repose sur la capacité d’EDF et de ses sous-traitants de redevenir aussi performant que dans les années 1975-1995. Les sites où fonctionnent actuellement des centrales nucléaires sont en général très favorables à la construction de  nouvelles centrales.  

Renouvelables : La capacité de développement des éoliennes terrestres et marines posées dépend de leur acceptabilité sociale comme on peut le voir actuellement en France, et de la raréfaction des sites les plus propices à cette activité. Les centrales marines flottantes sont en voie d’expérimentation, et RTE insiste sur la nécessité d’une forte amélioration de leur compétitivité. Pour les centrales photovoltaïques, moins visibles de loin, c’est l’artificialisation des terres et la concurrence avec les autres utilisateurs de terrains (logements) qui peut limiter leur expansion. La pleine efficacité des énergies intermittentes suppose des progrès très significatifs (facteur 3 à 5) des batteries, de la filière hydrogène et de la filière cogénération.

Pour le développement massif de production de gaz, d'électricité et de chaleur à partir de la biomasse, c'est la disponibilité de la biomasse qui est questionnée : elle est déjà très recherchée par les agriculteurs pour enrichir leurs terres, par les éleveurs pour nourrir leurs animaux et par les chimistes pour remplacer le plastique et d'autres dérivés du pétrole.  


[1] https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-10/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats_0.pdf

[2] Nous avons choisi 2019, année plus standard que 2020