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TPE : Le fiasco bien compréhensible des élections professionnelles

Les élections professionnelles dans les TPE (entreprises de moins de 11 salariés) viennent de se clore dans l’indifférence générale, avec des résultats tellement faibles au niveau de la participation que personne n’ose prétendre que les syndicats bénéficient d’une représentativité au sein des entreprises en question. Il serait grand temps que l’on commence à faire les bons constats sur le désaveu des syndicats et à se poser les vraies questions sur la façon de réorganiser la représentativité des salariés et de faciliter le dialogue social en France. 

Les résultats de la consultation 2017 dans les TPE

Le scrutin clos le 3 février vient de livrer ses résultats. Ce qui nous intéresse ici n’est pas la répartition des voix entre les syndicats, mais la signification d’un scrutin qui s’est soldé par une abstention de 92%.

En effet, environ 4,5 millions de salariés étaient appelés à voter, et environ 330.000 seulement d’entre eux ont participé au vote. Par rapport aux dernières élections de 2012, la baisse de la participation est de 30%, passant d’un peu plus de 10% à 7,35%. On notera en ce qui concerne la répartition des sièges que les deux syndicats de tête opposés à la loi travail, CGT et CFDT, réalisent une contre-performance (respectivement -55.000 et -28.000 voix), mais qu’il en est de même pour la CFDT, qui arrive seconde loin derrière la CGT en pourcentage des voix (15,49% contre 25,12%) alors qu’au contraire elle avait soutenu la loi travail. Ce qui souligne que le problème n’est vraiment pas celui d’une opposition à la loi travail, dont on continue à nous rebattre sans cesse les oreilles, mais celui de la représentativité syndicale.

 La CFTC améliore son pourcentage mais au total baisse en nombre de voix. Le seul syndicat à afficher une progression est l’UNSA, selon laquelle « ces bons résultats sont d’abord à mettre au compte de l’offre syndicale développée par l’UNSA auprès des salariés des TPE. Elle les considère comme des salariés à part entière, qui ont d’abord besoin d’information, d’aide juridique, d’assistance administrative, bref d’un syndicalisme utile, efficace et responsable. Ils sont le fruit aussi d’une campagne de terrain dynamique menée par des équipes militantes motivées ».

Il n’en reste pas moins qu’en cinq années l’érosion de la participation est notoire et évidemment préoccupante. Comme on va le voir, impossible de ne pas rapprocher l’échec de la consultation de la faible signification de ses enjeux.

Les enjeux de la consultation

La représentation des salariés n’est pas organisée dans les entreprises de moins de 11 salariés, où il n’y a ni délégué du personnel, ni comité d’entreprise. Les syndicats n’y sont donc pas présents. Quel peut donc être l’intérêt du scrutin ? Ainsi que le précise le ministère du Travail, il s’agit « de parvenir à établir une mesure de l’audience syndicale couvrant l’ensemble des salariés relevant du droit privé », et pour ce faire de « permettre aux salariés travaillant dans des TPE et aux salariés des particuliers employeurs d’apporter leurs suffrages à l’organisation syndicale de leur choix en vue de leur agrégation avec ceux résultant des élections professionnelles ». C’est un scrutin régional « sur sigle » organisé par les services du ministère du travail, dont les résultats contribueront à la fixation en 2017, de la liste des organisations syndicales représentatives au niveau des branches professionnelles et au niveau national interprofessionnel.  Pour la première fois, ce scrutin, servira également de base à la constitution du collège salarié des futures commissions paritaires régionales interprofessionnelles [les « CPRI »] qui seront mises en place en juillet 2017 ».

Autrement dit, les salariés sont invités à voter pour un « sigle », c'est-à-dire le nom d’une centrale syndicale de leur choix, à la seule fin d’établir une mesure d’audience nationale en intégrant (« noyant » serait le bon terme) leurs votes dans ceux obtenus pour l’ensemble des salariés. Pas étonnant dans ce cas que le scrutin, dont le seul enjeu est d’arbitrer la lutte pour la prééminence entre les syndicats, ne déplace pas les foules !

La loi de 2015 sur le dialogue social a certes ajouté une nouveauté avec l’institution des CPRI, qui, précise toujours le ministère du Travail,  pourront être appelées à « donner des conseils aux salariés et aux employeurs en matière de droit du travail. Elles auront également des fonctions d’information et de concertation sur l’emploi et la formation et pourront faciliter la résolution de conflits individuels ou collectifs. Ces commissions n’auront aucun droit d’ingérence dans la marche des entreprises ». Donner des conseils en matière de droit du travail, vaste programme en effet. Tellement vaste, pour permettre de se déplacer dans ce maquis invraisemblable qu’est devenu le Code du travail, que le code doit lui-même inventer une institution nouvelle pour ce faire, à savoir des commissions régionales de 20 personnes composées paritairement entre représentants des employeurs et des salariés ! Cela promet évidemment de beaux débats et conflits d’interprétation avec les Conseils de Prud’hommes qui seraient ultérieurement saisis. Mais se rend-on compte du ridicule de la situation ? Quand arrêtera-t-on de tout compliquer et de multiplier les comités Théodule ?

Les salariés, éternels mineurs incapables

Le droit du travail s’acharne à traiter les salariés en mineurs incapables. Autrement que pour les faire participer au scrutin destiné à mesurer l’audience des syndicats, les salariés des entreprises de moins de 11 salariés n’ont en effet aucun droit de négocier par eux-mêmes au sein de leur entreprise, sauf si cette négociation portait sur des mesures dont la mise en œuvre n’était possible que par un accord collectif comme les accords de maintien dans l’emploi ou l’instauration de forfaits-jours, et elle devait être menée, en l’absence de représentant syndical par un représentant élu disposant d’un mandat syndical.

La loi travail de 2016 a apporté un changement sur ce sujet, en élargissant la faculté de négocier aux autres cas, concernant par exemple la durée du travail, celle des congés ou encore les rémunérations. Mais pas question d’ouvrir cette faculté à des salariés que les syndicats – non présents dans l’entreprise  -  ne contrôleraient pas : cette négociation doit toujours être menée par une personne disposant d’un mandat syndical. En dehors de ce cas, la loi apporte une modification : Pour être valide, l’accord conclu avec un représentant élu du personnel, tel un délégué du personnel, lorsqu’il n’est pas mandaté par un syndicat devait jusqu’alors être approuvé par une commission paritaire de branche. Dorénavant, l’accord doit seulement être transmis à ladite commission. Quelle avancée ! Rappelons que nous sommes dans des entreprises de  moins de 11 salariés…

Il est de bon ton de considérer que le dialogue social est défectueux en France. Mais ne le rend-on pas tout simplement  impossible ? A force d’exiger, soit de passer par les centrales syndicales dont le sport principal consiste à lutter les unes contre les autres à coups de surenchères, soit dans le cas des TPE de nier que ce dialogue passe par les rapports permanents  que le « patron » entretient naturellement avec ses salariés, à coup sûr on fait tout pour compliquer ce dialogue. Et si on faisait un essai, en autorisant dans les TPE la conclusion d’accords passés par un représentant du personnel désigné ad hoc (ni délégué du personnel ni mandaté par un syndicat) et ratifiés bien entendu par la majorité, même qualifiée, de ce dernier, serait-ce un insupportable sacrilège ?