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Sociétés publiques locales : réduire leur nuisance !

Quatre propositions de la Fondation iFRAP

Les parlementaires sont parvenus à « faire passer » une proposition de loi tendant à introduire en droit français le principe dégagé par la jurisprudence communautaire des prestations dites « in house » c'est-à-dire des « prestations intégrées ». Concrètement, cela va permettre à une collectivité locale de confier à un tiers qui en est l'émanation directe, la possibilité de réaliser des opérations non soumises aux contraintes des procédures de passation des marchés publics, pourvu que deux conditions cumulatives soient réunies : que l'autorité publique exerce sur l'entité un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services (administratifs) et qu'elle exerce l'essentiel de son activité avec les collectivités qui la détiennent (arrêt CJCE Teckal du 18 novembre 1999). En clair, de contourner la transparence du droit des marchés publics classiques en faisant réaliser des prestations en quasi-régie sans avoir à recourir à une délégation de service public traditionnelle ou plus largement à contracter avec des opérateurs privés mis en concurrence après appel d'offre.

A l'heure même où le rapport Carrez mettait en lumière la tension financière croissante existant au sein des budgets locaux, il est pour le moins curieux que les pouvoirs publics laissent ainsi émerger une occasion d'endettement supplémentaire au bénéfice des collectivités territoriales, à rebours de la rigueur budgétaire officielle.
Cette réforme, intervenue en catimini, a été entérinée à l'unanimité par les deux assemblées [1], et promulguée 10 jours seulement après son adoption définitive au Sénat… Par ailleurs, elle a été rendue d'application directe et il sera renvoyé à une circulaire la précision éventuelle des dispositions les moins claires afin d'en « rappeler le cadre juridique »… c'est dire l'urgence ! Or les nouvelles SPL recèlent à notre avis 3 vices congénitaux :

- D'une part la loi ne fixe pas de limites claires au champ d'intervention thématique et géographique de ces sociétés. Sur le premier point les SPL vont pérenniser les SPLA (sociétés publiques locales d'aménagement) introduites par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement : elles pourront intervenir en matière de politique locale de l'habitat, de rénovation urbaine et d'accueil de nouvelles activités, sans toutefois mordre dans le logement social puisque la très puissante Union sociale de l'habitat (USH) a réussi à leur bloquer l'accès aux subventions d'Etat et aux prêts de la Caisse des dépots… Qu'à cela ne tienne, elles vont pouvoir s'orienter vers le conseil et les études, s'occuper du développement touristique, urbain, de l'environnement, des transports et des télécommunications puisque la loi prévoit que les SPL pourront mener (article L1351-1 al.2 du CGCT) « des opérations de construction ou d'exploitation, de services publics à caractère industriel et commercial ou toute autre activités d'intérêt général ». Avec une telle clause balaie, les municipalités vont pouvoir faire passer hors de la sphère concurrentielle un ensemble a priori indéterminé d'activités [2].

Second point, celles-ci s'exerceront pour le compte exclusif des collectivités actionnaires et limité à leur territoire. Est-ce pour autant une limitation claire de leurs prérogatives ? Rien est moins sûr car dans le cadre de SPL fondées par un groupement et une région, ou plusieurs régions, il risque d'il y avoir une illisibilité quant aux compétences propre transférées (surtout s'il s'agit de compétences partagées) et au ressort géographique des activités placées hors champ concurrentiel qui pourront s'étendre parfois à des groupes régionaux entiers. Cela risque de déboucher sur des SPL tentaculaires adoptant une logique protéiforme… et des contentieux juridiques nourris.

Les 1061 SEM vont donc pouvoir s'affranchir de la contrainte actuelle d'une « mise en concurrence » en se transformant en SPL… avec les surcoûts liés au monopole local de l'activité que devront payer inévitablement les usagers ou les contribuables.

- D'autre part sur le plan financier, l'imbrication des actionnaires et des territoires va avoir pour corollaire une démultiplication des flux financiers croisés entre collectivités. Il risque d'il y avoir alors pour les institutions de contrôle une difficulté supplémentaire à les évaluer. Par ailleurs le caractère privé de ces nouveaux opérateurs (sociétés anonymes régies par le code de commerce mais détenues à 100% par des personnes publiques) pourrait permettre de contourner les contrôles classiques prodigués par les chambres régionales des comptes aux établissements publics locaux.

Le secrétaire d'Etat à l'Intérieur Alain Marleix a apporté la précision suivante : « le préfet peut toujours saisir la chambre régionale des comptes lorsqu'il estime qu'une délibération est de nature à augmenter gravement une charge financière d'une ou plusieurs collectivités ou groupements actionnaires. » Il n'y aura donc pas d'automaticité du contrôle de la chambre régionale des comptes, et l'on peut penser qu'en la matière, les audits des commissaires aux comptes ne seront pas suffisants puisqu'ils ne déboucheront pas sur une vision consolidée des finances locales des collectivités actionnaires, que seuls les comptables publics locaux auront la possibilité de dégager. Sans vue d'ensemble, sans consolidation effective, certaines SPL pourraient devenir à terme des réceptacles à dettes et permettre aux collectivités de faire du hors bilan… et les acculer à terme à la faillite…

- Enfin, aisément constituées (avec un minimum de 2 actionnaires), les SPL vont permettre aux collectivités locales d'externaliser leurs charges de personnel en les faisant ainsi partiellement supporter par leurs dépenses d'investissement. En effet, soit les personnels seront engagés sous contrat de droit privé et ce sont les recettes des SPL complétées par les flux d'investissement des collectivités actionnaires qui vont payer les salaires (ainsi s'agissant de leurs fonctionnaires, les municipalités pourront afficher une « apparente » maîtrise de l'emploi public local), soit les personnels sont fonctionnaires et s'ils sont placés en détachement ils seront eux aussi supportés directement par le budget des SPL donc par des dépenses d'investissement au niveau local [3]. Dans les deux cas on constate donc que les SPL pourraient conduire à une nouvelle dérive de la masse salariale des collectivités locales et plus généralement à une nouvelle « fuite en avant » de la dépense locale.

Mal architecturée, la création des SPL risque donc d'ajouter encore l'illisibilité à l'atteinte qu'elle fait peser sur la concurrence. Alors que faire ? Il faut profiter de la rédaction de la circulaire interprétative pour imposer :

- Qu'elle soit la plus stricte possible en explicitant de façon limitative les champs d'intervention exacts des SPL.
- Il faut qu'elle décourage les actionnariats trop dissemblables afin de simplifier les liens capitalistiques, les compétences exercées et leurs ressorts territoriaux (prévoir que les actionnaires soient du même niveau : communes, EPCI, départements, régions)
- Imposer une justification systématique de la transformation de SEM en SPL afin d'en limiter le recours.
- Imposer enfin que l'ensemble de la masse salariale des SPL apparaisse clairement dans les comptes des collectivités actionnaires à l'instar des opérateurs de l'Etat en distinguant les employés sous contrats privés et les fonctionnaires mis à disposition ou détachés.

[1] La loi n°2010-559 du 28 mai 2010 a été publiée au J.O dans l'urgence, puisqu'elle paraît immédiatement dès le 29 mai 2010 sur le site légifrance en version ultra-abrégée puis sur support papier quelques heures plus tard…

[2] Un gouffre qu'ont voulu tenter de reboucher sans succès deux sénateurs MM Michel Houel et Michel Bécot en conditionnant l'intervention des SPL dans l'hypothèse où « l'initiative privée se soit avérée défaillante. »

[3] Seuls des fonctionnaires placés simplement mis à disposition seront « neutre » budgétairement car émargeant toujours dans les dépenses de fonctionnement de leurs collectivités locales d'origine.