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Réforme à l'hôpital : le siège de l'AP-HP déménage à l'Hôtel-Dieu

Le déménagement, un formidable outil de réforme

D'un côté, un grand hôpital, l'Hôtel-Dieu de Paris, plus du tout adapté aux exigences actuelles des techniques et des organisations, trop coûteux à remettre aux normes hospitalières, qui se vide donc de sa substance depuis des années. De l'autre, le siège de l'AP-HP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris) qu'il faut réorganiser et mettre sérieusement au régime en dépêchant au front (dans les hôpitaux) la plupart de ses 1.400 salariés. La solution était évidente, mais taboue jusqu'à la décision de Mireille Faugère, la nouvelle directrice de l'AP-HP, de transférer le siège à l'Hôtel-Dieu et de vendre le bâtiment de l'avenue Victoria. Ce déménagement pourrait bien être un formidable outil de réforme de l'AP-HP.

La lente agonie de l'hôpital Hôtel-Dieu

Fondé en 651, situé dans l'île de la Cité juste à côté de Notre-Dame de Paris, l'Hôtel-Dieu est exceptionnel du point de vue historique. Mais d'un point de vue pratique, complètement inadapté aux besoins du troisième millénaire. Inutile en plus à Paris où il existe un certain consensus sur le fait « qu'il y a un hôpital de trop dans Paris intra muros ». Fermer purement et simplement l'Hôtel-Dieu et le vendre aurait été la solution de bon sens. Les candidats à sa reprise étaient nombreux (Palais de Justice, Préfecture de Police entre autres). Mais son histoire et sa situation le rendaient apparemment sacré, au moins pour les salariés qui y travaillent et pour les élus de la ville et du quartier. Déjà en 2005, des grèves avaient réussi à repousser l'inévitable.

[(L'Hôtel-Dieu reconverti en hôtel de luxe

Les hôpitaux publics de la ville ont décidé de vendre l'historique hôpital l'Hôtel-Dieu pour s'installer dans des locaux plus fonctionnels. Il sera reconverti en hôtel 4 étoiles, centre commercial et bureaux. Mais c'est à Lyon que cela se passe, une ville où les responsables politiques et syndicaux sont sans doute plus pragmatiques que dans la capitale.)]

En 2010, le débat a repris à l'occasion du plan stratégique 2010-2014 de l'AP-HP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris). Malgré l'arrêt de ses activités de long séjour, chirurgie et traitement des cancers, l'hôpital se dit sauvé. L'Hôtel-Dieu garderait une vocation d'hôpital de proximité avec des services de jour qui ne nécessitent pas l'alitement du patient (ophtalmologie, dermatologie et petite chirurgie...). Les anciens services dits « lourds » seraient transférés à l'hôpital Cochin avec lequel il formerait un groupe hospitalier. Pour occuper l'espace laissé disponible, le précédent projet prévoyait de faire de l'établissement la vitrine de la santé publique en France. Une activité qui n'a aucune raison d'être sur l'Ile-de-la Cité dans des bâtiments à 20 ou 30.000 euros le mètre carré. Et le financement de ce projet n'était pas du tout résolu alors qu'il était censé voir le jour en 2013.

[(Un grand roque audacieux de Mireille Faugère

Le déménagement lancé par la nouvelle directrice de l'AP-HP semble confirmer la réponse optimiste que Dominique Coudreau, ex directeur de l'Agence Régionale de l'Hospitalisation d'Ile-de-France nous avait faite en janvier 2011 sur cette nomination.

Extrait d'un entretien à paraître fin mars 2011 dans le mensuel Société Civile :

Agnès Verdier-Molinié
Est-ce à dire que la démarche engagée par la nouvelle directrice générale, Mireille Faugère, est vouée à l'échec ?

Dominique Coudreau
Certainement pas. D'abord sa carrière professionnelle antérieure parle pour elle. Elle met en évidence des qualités remarquables acquises dans l'environnement économique et social difficile de la SNCF. Ensuite, les réformes entreprises sous le mandat de Rose-Marie Van Lerberghe, pôles, GHU vont dans la bonne direction. En regroupant les établissements en douze groupements universitaires en évitant l'accusation du démembrement de l'institution un progrès sensible a été réalisé. Le plan stratégique 2010 – 2014 comporte d'excellentes orientations. Ces réformes sont bonnes, tout comme la décision gouvernementale de nommer un haut fonctionnaire, excellent connaisseur du secteur, pour présider le conseil de surveillance.
Je doute cependant qu'elles suffisent à maîtriser l'AP-HP : la puissance des mécanismes à l'œuvre, corporatismes des soignants et d'abord des médecins, angoisse des patients et de leurs familles, dynamique du progrès technique ont toujours résisté aux efforts de maîtrise reposant sur des mécanismes techniques mis en œuvre par des hauts fonctionnaires. Le seul exemple historique de maîtrise du système de santé par le gouvernement, appuyé sur un consensus social, le National Health Service anglais, a disparu il y a plus de dix ans. )]

Vers un siège de l'AP-HP de 200 personnes

Avec ses 1.400 salariés, la taille du siège de l'AP-HP était déjà considérée comme anormale avant la réforme. La nouvelle organisation de l'AP-HP en 12 groupements d'hôpitaux et 4 groupements d'hôpitaux universitaires implique une forte décentralisation du système. La plupart des décisions devront être arbitrées à l'intérieur de ces groupes et ne plus remonter au siège. Les chaînes de cliniques privées qui se sont mises en place depuis 15 ans regroupent des dizaines de cliniques, parfois dispersées dans toute la France. Leurs sièges ne comptent que quelques dizaines de salariés. Aux États-Unis, des groupes de soins comme ceux des anciens combattants ou mutualistes (Veterans, Kaiser Permanente) comportent des centaines d'établissements mais sont très décentralisés.

Un déménagement représente une opportunité unique d'abattre les cloisons entre services, de vider divers types de placards et de remettre en question des situations anciennes indues. Espérons que l'initiative de Mireille Faugère sera soutenue par tous les responsables politiques. Ce premier succès pourrait lui permettre de s'attaquer aux autres chantiers, l'Hôpital Trousseau par exemple.

[(Le psychodrame de Trousseau

La région Ile-de-France compte de nombreuses maternités publiques et privées, plusieurs établissements de soins pédiatriques et 3 hôpitaux publics de soins des maladies rares ou extrêmes à l'intérieur de Paris : Robert Debré dans le nord-est, Necker Enfants malades dans le centre/sud-ouest et Trousseau dans l'est.

En 2010, le projet de ne conserver que 2 hôpitaux pour les soins pédiatriques les plus rares et les plus complexes a été étudié et approuvé par le conseil exécutif de l'AP-HP.

« On a simplement fait le constat que l'offre de pédiatrie spécialisée est sur-dimensionnée. … Est-ce qu'on a les moyens, aujourd'hui, de garder un petit hôpital de pédiatrie spécialisée ? Nous ne le croyons pas. » Jean-Yves Fagon, Libération, 12 février 2010, Directeur de la politique médicale de l'AP-HP

A peine cette réorganisation annoncée, les intérêts personnels, l'émotion, des convictions sincères avaient remplacé une analyse objective des avantages et des inconvénients pour les malades, pour les salariés de Trousseau et pour les finances de l'assurance maladie.

« Aux côtés des médecins, des personnalités qui ont été soignées telles que Benabar ou Jamel Debbouze dans cet hôpital se mobilisent. Parmi les politiques qui ont dit leur opposition au projet de démantèlement, on compte aussi bien Bernard Debré de l'UMP que les têtes de liste du centre à l'extrême-gauche (Alain Dolium du Modem, Cécile Duflot des Verts, Jean-Paul Huchon pour le PS, Pierre Laurent pour le Front de Gauche/PC, et Anne Leclerc pour le NPA). »
Site Rue89

)]