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Réforme du marché du travail : le succès des lois Hartz

Peter Hartz, ancien directeur RH de Volkswagen, salarié d'IG Metall, le plus grand syndicat allemand, inscrit au SPD depuis 1963 et le promoteur des 4 lois Hartz qui ont permis la remise en route du modèle allemand ces 10 dernières années, rencontrait François Hollande, il y a à peine deux mois. Si le personnage fait encore débat en Allemagne, il faut reconnaître que la vaste réforme Schröder Agenda 2010 mise en place entre 2002 et 2005 est riche en enseignements :

  • en 10 ans, l'Allemagne a créé 2,5 millions d'emplois (principalement des temps partiels, des contrats intérimaires et des CDD).
  • en 10 ans : le nombre de demandeurs d'emploi a chuté de 1,7 million passant de 10 à 5,5% de la population active en 2013, soit son plus bas historique.
  • au pire de la crise économique de 2008, l'emploi allemand s'est maintenu et le taux de chômage, malgré un pic au-delà de 8% en juillet 2009, a repris sa chute.

Rappel des propositions de la Fondation pour une remise à plat des politiques de l'emploi :

  1. Revoir l'indemnisation des chômeurs, notamment en économisant 5 milliards d'euros en rendant dégressive l'allocation après 12 mois.
  2. Revoir la définition de l'offre raisonnable d'emploi afin qu'elle incite à la reprise du travail, et assurer l'effectivité des sanctions.
  3. Simplifier et réorganiser les mesures d'incitation et de retour à l'emploi, en mettant fin à leur empilement continuel et non maîtrisé, ainsi qu'à la dispersion des responsabilités.
  4. Rendre les données disponibles et procéder à des évaluations systématiques des diverses mesures de la politique de l'emploi, y compris celles menées par les collectivités locales.
  5. Retirer aux PDI (plans départementaux d'insertion) les actions qui n'ont pas à être prises en charge par la collectivité et mettre en rapport les moyens mis en oeuvre et leur efficacité.
  6. Voir notre étude de décembre 2013, Chômage : Remettre à plat les politiques de l'emploi.

Source : Eurostat, jusqu'en janvier 2013. Trésor-Eco : Réformes Hartz, quels effets sur le marché du travail allemand ?.

En mars 2013, la direction du Trésor reconnaissait dans sa note n°110 [1] que le « miracle allemand » de l'emploi était dû aux 4 lois Hartz qui ont globalement eu « un impact significatif sur le marché du travail, lié principalement à une meilleure adéquation entre offre et demande de travail et des incitations à travailler accrues. L'action concertée sur plusieurs leviers (renforcement de l'accompagnement, baisse des prélèvements sur le travail et réduction des revenus de remplacement) aurait favorisé le retour à l'emploi des personnes les plus éloignées du marché du travail ».

Fördern und forden (« inciter et exiger »)

Peter Hartz dans la note qu'il a rédigée pour le think tank, En temps réel, revient sur la construction de sa réforme et les 6 mois de négociations : Avec 10% de sa population active au chômage (soit plus de 4 millions de personnes) en 2002, l'Allemagne est qualifié comme « l'homme malade de l'Europe » par ses voisins et le journal britannique, The Economist [2], quand éclate le scandale des chiffres truqués du chômage par l'Office fédéral du travail. Le chancelier socialiste, Gérard Schröder décide alors de mettre en place une commission, avec à sa tête un homme venu d'une entreprise privée, Peter Hartz, pour réfléchir à une remise à plat de la politique allemande de l'emploi. Cette volonté de tourner la page pour aller de l'avant, Gérard Schröder l'expliquait ainsi : « ou bien nous nous modernisons, et j'entends par là que nous engageons des réformes en tant qu'économie sociale de marché, ou bien nous serons modernisés malgré nous par les forces effrénées du marché qui négligeront la dimension sociale ».

Pendant 6 mois, les 15 membres de la commission (aussi bien des entrepreneurs, que des universitaires, des syndicalistes ou des fonctionnaires, tous venus d'horizons politiques différents et représentatifs) travaillent à proposer une réforme efficace et crédible. Leur constat principal est la sous exploitation du travail temporaire en Allemagne (0,9% contre une moyenne européenne à 1,4% et un maximum atteint par les Pays-Bas à 4% [3]. Fin 2013, la France compte 523.100 salariés temporaires - intérimaires - soit 2% de sa population active [4]).

En septembre 2002, le gouvernement inclut les 343 pages du rapport de la commission dans le programme de l'Agenda 2010, pour relancer l'emploi en Allemagne et ce, à 6 semaines des élections fédérales qu'il remporte :

Hartz I, entrée en vigueur le 1er janvier 2003 :

  • l'amélioration des services de placement des chômeurs par la création des Personal Service Agenturen (PSA), des agences d'intérim rattachées aux agences du service public de l'emploi.
  • la redéfinition d'un emploi acceptable ; avant la loi, c'était aux services de l'emploi de prouver le caractère raisonnable de l'emploi proposé à un chômeur alors que depuis 2003, c'est au chômeur de prouver pourquoi il ne peut pas accepter telle offre d'emploi. Au 1er refus d'une offre d'emploi raisonnable : le montant de l'allocation est réduit de 30% pendant 3 mois. Au 2ème refus, -60% pendant 3 mois. Au 3ème refus, l'allocation est suspendue pendant 3 mois (voir 2ème tableau de la loi Hartz IV).

Hartz II, entrée en vigueur le 1er avril 2003 :

  • facilite le développement des contrats à salaires modérés, d'environ 15 heures hebdomadaires, dits « mini-jobs » (450 euros mensuels depuis le 1er janvier 2013) ou « mini-jobs » (850 euros mensuels), grâce à la réduction des cotisations pour l'employeur. Les mini-jobs sont uniquement soumis à des cotisations patronales réduites quand les midi-jobs restent soumis à des cotisations salariales et patronales réduites. Le but de ce volet est la lutte contre le travail au noir qui pèserait 400 milliards d'euros en Allemagne. Les mini-jobs attirent principalement les étudiants, les femmes et les retraités à la recherche d'un complément de revenu : en 2012, 7,29 millions de personnes bénéficiaient d'un contrat à salaire modéré (« mini-jobs ») dont 4,76 millions n'avaient pas d'autre salaire que ce mini-job. Ces personnes-là, touchent également l'allocation chômage appelée Hartz IV.
  • facilite l'accès au statut d'auto-entrepreneur.
  • amorce la restructuration de l'administration de l'emploi en regroupant tous les bureaux d'emploi locaux (Arbeitsämter) en guichets uniques (Job centers).

Hartz III, entrée en vigueur le 1er janvier 2004 :

  • restructuration de l'Office fédéral pour l'emploi, qui devient l'Agence fédérale pour l'emploi et suppression des 16 agences régionales pour l'emploi, services déconcentrés au niveau des Länder. Les Job centers, à l'échelon local, sont directement placé sous le contrôle de l'Agence fédérale installée à Nuremberg et composée essentiellement de salariés de droit privé, non de fonctionnaires. Moins de 150.000 salariés font fonctionner l'Agence fédérale pour l'emploi, un chiffre en baisse à cause du petit nombre de chômeur dans le pays.

Hartz IV, entrée en vigueur le 1er janvier 2005 :

  • durcissement des conditions d'indemnisation du chômage avec notamment la réduction de la période d'indemnisation de 32 à 12 mois, 18 mois pour les chômeurs de plus de 55 ans. Pendant cette période, le demandeur d'emploi est inscrit au régime Arbeitlosengeld I (ou SGB I) et touche une allocation chômage dont le versement est soumis à de strictes règles incitatives :
Règles de versement de l'allocation chômage, régime SGB I
% du salaire net, sans enfant, pendant 12 mois% du salaire net, avec enfant, pendant 12 mois1er manquement (rdv…)2ème manquement3ème manquement4ème manquement
60%57%Suspension de l'allocation pendant 3 semainesSuspension de l'allocation pendant 6 semainesSuspension de l'allocation pendant 12 semainesSuspension de l'allocation et passage au régime des minimas sociaux : SGB II
L'allocation est plafonnée à 5.500 euros pour les länder de l'Ouest, à 4.650 euros pour les länder de l'Est
  • changement des règles pour le chômage de longue durée : au bout de 12 mois, le demandeur d'emploi quitte le régime de l'assurance chômage pour passer au régime de l'assistance, Arbeitslosengeld II (SGB II). Il touche donc un minima social d'environ 380 euros par mois dont le versement est également soumis aux règles des Job centers.
Règles de versement du minima social, régime SGB II
Montant versé par le Job Center1e refus d'offre d'emploi raisonnable2ème refus d'offre d'emploi raisonnable3ème refus d'offre d'emploi raisonnableManquement à un rdv, fixé par le Job Center, sans raison valable
Environ 380 euros par mois30% pendant 3 mois-60% pendant 3 moisSuspension de l'allocation pendant 3 mois10%, cumulable, pendant 3 mois
  • lutter contre le chômage de longue durée en encourageant les chômeurs de plus de 2 ans à se réinsérer sur le marché du travail grâce à des emplois « à un euro » permettant de compléter les revenus de l'allocation chômage et des aides sociales. Ces emplois, payés 1 euro de l'heure (avec un maximum de 30 heures par semaine), ne sont pas soumis aux cotisations sociales et sont proposés par les communes et les associations.
  • Mesures de soutien à la formation.

La loi Hartz IV est de loin la partie la plus mémorable et la plus controversée de toute la réforme. Ce dernier volet a d'ailleurs donné lieu à plusieurs manifestations dites « du lundi » au moment des négociations, principalement en ex-RDA, mais les syndicats n'ont jamais sonné la mobilisation générale et demandent simplement, depuis 2005, un assouplissement des règles avec l'introduction d'un smic et du minimum social à 500 euros par mois. Des ajustements (sociaux), que le gouvernement allemand semble prendre en compte aujourd'hui avec notamment la prochaine création d'un smic allemand et l'augmentation des allocations "éducation" par foyer, suite à l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale de février 2010 [5].

L'impact social de la réforme Hartz

Aux lois Hartz, est généralement imputée la hausse des inégalités de revenus et de la pauvreté en Allemagne. En effet, le taux de pauvreté est passé de 12,5 à 15,2% entre 2000 et 2012 [6].

Une situation qui, d'après Peter Hartz, aurait pu être évitée si le gouvernement avait suivi toutes les recommandations de la commission : « Selon moi, les réformes du marché du travail auraient été compatibles avec un objectif de redistribution plus ambitieux afin d'éviter le creusement des inégalités et de répondre à un principe de solidarité plus exigent. J'étais allé dans ce sens avec plusieurs propositions finalement laissées de côté. Pour les chômeurs en fin de droit, nous estimions que le minimum permettant de vivre décemment devait être supérieur à 500 euros. Le gouvernement en a décidé autrement en fixant un montant légèrement inférieur à 400 euros. »

Pour conclure, ce « miracle allemand » a été permis par un véritable changement de mentalité, en passant d'un modèle passif où les demandeurs d'emploi « se content[ent] de recevoir les aides sociales » à une logique incitative vers un retour à l'emploi rapide. Si l'objectif affiché de réduire le nombre de chômeurs de 2 millions en 3 ans était trop ambitieux (dans les faits, -1,7 million en 10ans), Peter Hartz estime que « la tâche la plus difficile a certainement été de persuader l'opinion publique du caractère indispensable de ces réformes ». Un courant de pensée dont pourrait s'inspirer le gouvernement et les syndicats français qui montent déjà au créneau contre l'entretien « informel » entre François Hollande et Peter Hartz. Il faut pourtant tirer les leçons de l'exemple allemand et de son pragmatisme. Dans un entretien donné au Point en juillet dernier, Peter Hartz se montrait optimiste sur l'état d'esprit des Français, « beaucoup plus mûrs et prêts à entendre un discours de vérité que ne le pensent les responsables politiques. Les Français savent pertinemment que de grandes réformes ont été menées ailleurs en Europe et que le modèle social de leur pays n'est plus viable financièrement en l'état ».

[1] Trésor-Eco : Réformes Hartz, quels effets sur le marché du travail allemand ?

[2] L'article, The sick man of the euro toujours disponible en ligne, ici, n'est pas sans rappeler le dernier avertissement du journal à l'encontre de la France en 2012, The time-bomb at the heart of Europe.

[3] A titre indicatif, en Allemagne, 1% de la population active équivaut, plus ou moins, à 400.000 emplois.

[4] Source Insee, chiffre du 3ème trimestre 2013 pour la population active (25.472.000 salariés) et DARES pour les emplois temporaires (523.100 salariés), toujours au 3ème trimestre 2013.

[5] La Cour constitutionnelle fédérale a contesté en février 2010, le mode de calcul du minima social au nom du "minimum vital digne" qui doit "assurer à chaque personne qui se trouve dans la nécessité les conditions matérielles indispensables à son existence physique et à un minimum de participation à la vie sociale, culturelle et politique. Les critiques de la Cour portait essentiellement sur le montant de l'allocation touchée par enfant.

[6] Le taux de pauvreté correspond à la part de personnes dont le niveau de vie (après redistribution) se situe en-dessous du seuil de pauvreté (60 % du niveau de vie médian). Voir Trésor-Eco : Réformes Hartz, quels effets sur le marché du travail allemand ?.