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Pourquoi l'hôpital public coûte trop cher

Trente années de conflits entre les hôpitaux d'Evry et de Corbeil

Depuis 30 ans, l'hôpital public est un sujet de rivalité entre Corbeil et Evry, deux villes voisines de la banlieue sud de Paris. Chacune avait fini par avoir le sien mais, finalement, il a été décidé d'en construire un troisième. Prévue d'abord pour 2010, repoussée plusieurs fois, annoncée finalement pour juin 2011, la mise en service du nouvel hôpital d'Evry-Corbeil n'aura lieu, au mieux, qu'en janvier 2012, tandis que les coûts s'envolent.

Pour compliquer le problème, le torchon brûle maintenant entre cet Hôpital sud francilien et l'entreprise de construction Eiffage, les deux acteurs de ce Partenariat Public-Privé (PPP). Le seul point positif, c'est que, grâce au PPP, les problèmes sont connus au grand jour.

Une affaire très mal partie depuis très longtemps

Le Centre hospitalier d'Evry ouvrait en 1982, avec une capacité autorisée de 407 lits. En 1985, le Centre hospitalier de Corbeil, reconstruit à 7 kilomètres de là et entièrement restructuré, offrait également une capacité de 437 lits.

Très vite, les deux établissements qui mènent parallèlement des activités médicales polyvalentes, se sont trouvés en concurrence. Dès juillet 1994, le Schéma Régional d'Organisation de la Santé (SROS) d'Ile-de-France insistait sur la nécessité de mettre en œuvre une complémentarité entre les deux établissements. La fusion a été prononcée par le directeur de l'Agence Régionale de l'Hospitalisation d'Ile-de-France, par décisions n° 98-1-72 en date du 2 décembre 1998.

Source : rapport de la Cour régionale des comptes de 2007

Il est sans doute assez rare que la Chambre Régionale revienne contôler un même hôpital à peine trois ans après un précédent rapport, mais c'est ce qu'elle a fait en 2009/2010. Ce constat est sévère.

Trois ans plus tard, la situation a empiré

  • La situation financière de l'Hôpital est très dégradée ;
  • Le résultat financier est constamment déficitaire ;
  • Les comptes sont faussés par des reports de charge massifs et erratiques et par des créances irrecouvrables sous-estimées ;
  • malgré une productivité faible, les effectifs de personnels médicaux et non médicaux ont augmenté sur la période, sans véritable lien avec les évolutions de l'activité ;
  • Le problème de l'absentéisme (30 jours par an et par salarié, de 40% supérieur à la moyenne des hôpitaux publics) n'a pas été résolu ;
  • Un retour à l'équilibre nécessiterait des mesures d'économies plus énergiques en termes de réduction d'effectifs ;
  • Dans ce contexte l'absence, en 2005, d'outils de pilotage et d'analyse des coûts, de contrôle de gestion, de schéma directeur informatique, ne va pas dans le sens du projet ambitieux de développement que présente le Centre Hospitalier Sud Francilien.

Source : rapport de la Cour régionale des comptes de 2010

Il n'est donc pas du tout certain que la construction d'un tout nouvel hôpital ait été nécessaire. Evry et Corbeil sont mitoyennes, disposaient chacune d'un hôpital, mais refusaient farouchement depuis des décennies de voir l'un des deux développé aux dépens de l'autre et même de se coordonner réellement. Cela n'a semblé faisable qu'à condition de construire le nouveau exactement à cheval sur la frontière des deux communes (question de prestige) pour un coût de 1,2 milliard d'euros. Le résultat est qualifié de « monstre » : 110.000 mètres carrés, 20 blocs opératoires (au lieu de 9 actuellement), une « usine » que les hôpitaux ont beaucoup de mal à faire fonctionner de façon performante, et 1.000 lits au moment où la chirurgie ambulatoire réduit considérablement le besoin en « lits », d'au moins 50% et jusqu'à 75%. Pour rester dans les normes d'occupation et se rapprocher des coûts moyens, un étage entier de ce bâtiment devrait rester totalement vide.

Une fierté mal placée

Le message d'accueil sur le site du nouvel hôpital n'est pas "l'hôpital le plus performant" ou "fournissant les meilleurs soins" ou "le moins coûteux pour les meilleurs résultats" mais

LE PLUS GRAND CHANTIER HOSPITALIER DE FRANCE

Cette devise montre bien que le critère le plus important pour cet hôpital et pour les collectivités locales, c'est la taille du bâtiment. Un paramètre qui n'intéresse pourtant pas du tout le malade et qui inquiète beaucoup le contribuable.

Dès 2007, la Chambre régionale des comptes mettait en avant la surcapacité du nouvel hôpital sud francilien. Pour apaiser les salariés des deux hôpitaux et les élus locaux, l'État s'était sans doute engagé à ce que la fusion se fasse par addition stricte du nombre de personnels et de services, sans optimisation des moyens. Exactement le contraire de ce qu'ont fait (et continuent à faire) les centaines de cliniques qui ont fusionné ces dernières années en améliorant la qualité et le coût des soins. A Paris, un autre monstre récent, l'Hôpital Pompidou ne compte que 814 lits et rencontre de graves problèmes de fonctionnement et de déficit.

Dans ces deux cas, travailler sur deux sites n'était pas idéal, mais le vrai problème est que le management commun à deux hôpitaux n'a pas la capacité ou le pouvoir d'imposer les choix indispensables mais difficiles : en fermer un, ou clairement définir et séparer les rôles de chacun. Une illustration caricaturale de la faiblesse du management dans les hôpitaux publics face aux élus locaux et aux syndicats de salariés, depuis les moins qualifiés jusqu'aux médecins chefs de service.

Une structure « pousse à la dépense »

L'exemple de cet hôpital illustre une des causes du coût des soins dans les hôpitaux, en moyenne de 30% supérieur à ce qu'il est dans les cliniques. A Evry, à Corbeil comme partout en France, l'interférence des politiques dans les décisions de gestion du parc hospitalier constitue un terrible handicap. Elle va systématiquement dans le même sens : toujours plus de bâtiments et de fonctionnaires hospitaliers, une tentation logique puisqu'ils ne les financent pas. Leur logique est simple : faire construire dans leur ville des hôpitaux les plus importants possible, mettre les responsables de l'Etat et de l'Assurance maladie devant un fait accompli, sachant que les deficits seront de toute manière pris en charge à terme par l'État.

En 2010, le déficit de l'assurance maladie a été de 11 milliards d'euros. En 2011, il ne va pas baisser malgré une hausse des prélèvements obligatoires sur les produits de consommation et sur les complémentaires santé, difficilement acceptable dans une période de crise et de très faible progression du pouvoir d'achat. En toute logique, l'assureur qu'est supposé être la Caisse Nationale d'Assurance Maladie, devrait refuser de payer à ce nouvel hôpital des prix supérieurs à ce qu'il règle aux cliniques de cette région pour des soins identiques sur des groupes de patients similaires. Dès que l'assurance maladie se décidera à appliquer cette règle, ce sera la fin des gabegies dont l'hôpital d'Evry/Corbeil est un exemple.

Vive les interfaces des PPP

La seule bonne nouvelle de cette crise est que le problème a été largement mis sur la place publique. Les responsables de l'hôpital sont accusés d'avoir fréquemment changé les objectifs et donc les plans du nouveau bâtiment, et le constructeur Eiffage de malfaçons ou de surcoût. Le contrat de Partenariat Public Privé (PPP) concernant non seulement la construction mais aussi l'exploitation technique du bâtiment sur une longue période, fait que son coût est connu à l'avance. Imaginons ce qui se serait passé sans Partenariat Public Privé. Les changements d'objectifs et de plans exigés par l'hôpital sud francilien, le ministère de la santé et les collectivités locales auraient certainement été aussi nombreux. Et même plus puisqu'il n'y aurait pas eu en face un interlocuteur unique et un contrat signé engageant les deux parties. Les négociations entre tous les acteurs se seraient déroulées de façon feutrée avec l'objectif de ne pas faire de vagues, sachant bien que, très probablement, aucun d'eux n'est tout à fait exempt de reproches. La crise actuelle est donc un signe très sain de transparence.

Dans les projets ou organismes complexes, l'avantage de disposer d'interfaces claires entre sous ensembles est tout à fait général. Le cas de la SNCF est typique. Tant que le réseau, les trains, les gares, l'entretien, le fret, les passagers étaient intégrés dans un même paquet, il était impossible de connaître les coûts de chacun, de les comparer à ce qui se fait à l'extérieur et d'étudier ce qui se passe à l'intérieur. Ni les hôpitaux, ni la SNCF ne disposaient d'ailleurs d'une comptabilité analytique. Une situation confortable où les responsabilités sont diluées. Si les PPP sont critiqués, c'est parfois parce que les partenaires publics manquent de compétence pour signer des contrats qui les engagent sur du long terme, parfois aussi parce que les partenaires privés font des erreurs, mais c'est surtout parce qu'ils introduisent de la clarté dans un monde habitué au flou.

Une autre catastrophe évitée de justesse : Poissy / Saint-Germain-en-Laye

A l'ouest de Paris, le cas des hôpitaux de ces deux villes est très similaire à celui de l'hôpital sud francilien : distants de 7 kilomètres, fusionnés sur le papier en un seul établissment en 2005, et projetant de se regouper dans un tout nouveau bâtiment de 874 lits à mi-chemin des deux communes.

Le 28 janvier 2011, Claude Evin, ancien ministre socialiste de la santé, directeur de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France, a annoncé l'arrêt de ce projet : le projet médical de ces deux hôpitaux ne permettant pas de financer ce bâtiment de 400 millions d'euros : "Aucune méthode d'élaboration de ce programme ni aucun projet médical pour le futur hôpital n'a pu être fourni par l'établissement".