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Normes handicapées : une menace pour l’activité économique

En vertu de la loi Handicap de 2005, tous les établissements recevant du public (ERP) devaient avoir effectué les travaux nécessaires d’aménagement des locaux professionnels pour respecter les normes accessibilité handicapés au 1er janvier 2015. Cela se chiffre pour le privé à près de 5 milliards d’euros. La mise aux normes pour les commerçants, hôtels, professions libérales, etc., représente souvent un coût très élevé, voire disproportionné,  et certains établissements risquent la fermeture s’ils n’entament pas les travaux nécessaires. L’ordonnance du gouvernement de septembre 2014 tente de simplifier la règlementation. Malgré tout, l’activité économique et sociale de proximité, en centre ville, est menacée.

Une mesure au caractère urgent et aux délais trop courts

La loi Handicap 2005 prévoit que toute personne ait la possibilité « de pénétrer dans l’établissement, d’y circuler, d’en sortir, (…)». En 2015, tous les ERP devraient mettre leurs locaux en conformité avec la loi. Cet aménagement intervient sur tout le trajet du client ou du patient, de l’extérieur à l’intérieur, et doit être adapté à tous types de handicaps. Ces règles s’appliquent tant au privé qu’au public.

L’ordonnance prise par le gouvernement en septembre 2014[1] simplifie et explicite les normes d’accessibilité. Elle instaure notamment un agenda d’accessibilité programmée, document de programmation pluriannuelle qui précise la nature des travaux et leur coût et engage le gestionnaire de l’établissement à réaliser les travaux dans les délais impartis (environ 3 ans). 
Aucune distinction n’est effectuée entre le public et le privé concernant les délais. Les ERP sont classés par catégories en fonction de la capacité d’accueil de l’établissement, y compris les salariés.[2]

Tableau 1 : Typologie par catégorie d'ERP

Catégorie de l'ERP

Part relative

1ère catégorie (plus de 1 500 personnes accueillies)

1 %

2ème catégorie (plus de 700 personnes accueillies)

2 %

3ème catégorie (plus de 300 personnes accueillies)

4 %

4ème catégorie (au-dessus d'un seuil, différent selon le type d'ERP)

3 %

5ème catégorie (au-dessous du même seuil)

90 %

La durée de l’agenda d’accessibilité programmée (Ad’AP) débute suite à la validation de l’agenda par le préfet. Les délais de mise aux normes coïncident avec la taille de l’établissement et l’ampleur des travaux. Toutefois, le délai de 3 ans applicable pour la 5ème catégorie (qui représente 80% des ERP) reste très court. La mise aux normes nécessite un temps pour l’expertise, les travaux mais également le financement. Une petite structure privée qui n’a pas les moyens de financer un aménagement conforme aux dispositions doit s’organiser ! [3]

Durée de l’agenda d’accessibilité programmée suivant les catégories :

  • Autoriser une durée de 1 à 3 ans pour les ERP de 5ème catégorie isolés (la mairie d’une petite commune, un magasin indépendant), compte tenu des obligations plus circonscrites qui leur incombent ;
  • Autoriser une durée pouvant aller jusqu’à 6 ans pour les ERP de 1ère (par exemple un grand stade) à 4ème catégories et pour les Ad’AP de patrimoine (par exemple un groupe de supérettes ou les crèches d’une commune) ;
  • Autoriser une durée exceptionnelle pouvant aller jusqu’à 9 ans pour les cas complexes pour un Ad’AP de patrimoine important (les collèges, les bâtiments de l’État) ;

À l’intérieur de ces durées maximales, déterminer, par le maître d’ouvrage, des périodes selon une programmation annuelle qui doit être

proportionnée aux mesures et travaux à mettre en œuvre et aux capacités du maître d’ouvrage.

Un déséquilibre coût/avantage

L’aménagement de l’accessibilité handicapés est une question de société fondamentale. Néanmoins, il faut trouver un compromis entre la charge financière payée par le gérant de l’établissement et le véritable bénéfice pour les personnes nécessitantes. La loi handicap porte des incohérences et disproportions entre le coût et les avantages, entre les dépenses et les besoins. Les sanctions retenues contre les propriétaires d’ERP ne respectant pas la loi sont également disproportionnées. 

Le coût supporté par les entreprises ou libéraux est très élevé et l’intérêt de procéder à certains travaux d’accessibilité alors même que certaines structures ne reçoivent que très peu d’handicapés pose problème.

En effet, selon la CCI Paris Île-de-France, sur une marge commerciale annuelle de 77 milliards d’euros (hors grande distribution), pour 180.000 commerces et un coût moyen de 33.000 euros, la mise aux normes représente 5 milliards d’euros, soit 8% de la marge totale.

La mise en accessibilité d'une chambre d'hôtel coûte en moyenne 50.000 euros. À cela s'ajoutent les frais de mise aux normes des parties communes estimés à 270.000 euros en moyenne. Celle d'un restaurant va de 5.000 à 50.000 euros.

Selon un rapport du Sénat, le risque de fermeture d'établissements ne pouvant se mettre en conformité est estimé à 3.000, voire 4.000, pour les seuls hôtels et 30.000 emplois sont menacés.

En cette période de crise, alors que les revenus des indépendants stagnent et que les charges sont très élevées, cette obligation est mal accueillie. Le coût est significatif pour les bâtiments existants alors même que le nombre d’handicapés représente une partie restreinte de la population.

Selon les chiffres de l’Insee, la population bénéficiant d’une reconnaissance administrative[4] s’élevait à 1,8 million en 2007. En intégrant les personnes ayant un problème de santé entraînant des difficultés dans les activités quotidiennes, ce chiffre s’évalue à 9,6 millions (concernant une population entre 15 et 64 ans). Étant donné que dans cette fourchette d’âge, la population actuelle est d’environ 37,8 millions,  les handicapés reconnus administrativement représentent 4% de la population totale. Le rapport du Sénat indique que la France compte près de 400.000 personnes à mobilité réduite pourvues de fauteuils. Le rapport indique également que les hôtels qui disposent d’une chambre « accessible » la louent en moyenne moins de cinq nuits par an, ce qui n’est pas très rentable pour eux.  

Pour les professions libérales, et notamment pour les médecins, cette loi est tout aussi disproportionnée. Le témoignage d’une généraliste indique que, s’il y avait une obligation d’effectuer des travaux, elle deviendrait remplaçante. « J’ai 58 ans, dans dix ans je suis à la retraite. Mais je laisse 2.000 personnes dans l’embarras. J’ai 1.200 contrats médecins-traitant. En tant que généraliste, je n’ai qu’un seul patient handicapé que je vais voir chez lui. Cela ne pose aucun problème depuis bientôt dix ans. Quand les patients ne viennent pas, c’est moi qui vais chez eux. ».[5]

Beaucoup de bâtiments en centre ville abritant des cabinets médicaux sont classés, avec des cages d’escalier étroites et des petits ascenseurs. Ces immeubles sont donc difficiles à aménager d’autant plus que les exigences d’accessibilité sont calquées sur les règles applicables aux constructions neuves. Ces contraintes structurelles sont démesurées et bien souvent, elles entraînent une diminution de la surface exploitable et ont une répercussion sur la rentabilité.

Les sanctions sont aussi disproportionnées. Les établissements privés ne reçoivent aucune aide financière et sont obligés de se conformer aux règles en effectuant des travaux très coûteux.  En cas de non respect des normes d’accessibilité handicapés, les professionnels s’exposent à des risques de fermeture ou de sanctions conséquentes. Cette politique punitive interroge. La fermeture des établissements qui ne correspondent pas aux normes de salubrité par exemple, se justifie par le risque d’atteinte à la santé publique. La fermeture d’un établissement pour non-conformité aux normes accessibilité handicapés, alors même qu’il ne reçoit qu’une ou deux personnes à mobilité réduite dans l’année, est injustifiée.  

Trois catégories de disproportions ont toutefois été relevées par une étude Regard Croisé en 2012 et pouvant faire l’objet de dérogations[6] :

  • Impossibilité pour un établissement de financer les travaux d’accessibilité ;
  • Impact des travaux sur la viabilité économique future de l’établissement ;
  • Nécessité d’une approche raisonnée de mise en accessibilité, notamment en cas de rupture de la chaîne de déplacement.

Il semblerait pourtant que de nombreux établissements soient dans les situations énumérées ci-dessus. Toute l’ampleur du problème est là ! Il y a plus de cas d’exceptions que de cas correspondant à la règle.

En moyenne, 80% des ERP (commerces, restaurants, hôtels) ne sont pas aux normes, 60% risquent de demander une dérogation pour des raisons architecturales ou économiques. Etant donné qu’une dérogation est très difficile à obtenir (les justifications exigées étant très strictes), la multiplication des demandes risque d’entraîner un engorgement dans le traitement des dossiers.

Voilà une obligation qui concerne tous les ERP mais seulement 10% d’entre eux sont en règle… de quoi se poser des questions. Les bâtiments portent tous des spécificités propres et la typologie du territoire français varié. On aperçoit l’ampleur du problème…

L’ordonnance de septembre 2014 prévoit un certain nombre d’assouplissements de la réglementation. Les hôtels de moins de 10 chambres et n’ayant pas de chambre handicapé seront exonérés de l’obligation. Des solutions techniques alternatives aux normes réglementaires seront autorisées à condition de la démonstration que des solutions équivalentes proposées offrent le même niveau de service. Dans un immeuble, si la copropriété ne donne pas son accord, les travaux ne sont plus obligatoires. Mais ce « rafistolage » conduit à additionner les normes sans proposer de véritable solution. La spécificité très variée des sites est telle, qu’une des réponses  à cette disproportion coût/avantage serait la flexibilité. 

En conclusion

Nombreux sont les établissements qui risquent de  fermer tout simplement à cause de cette réglementation. L’urgence dans laquelle se retrouvent les gérants d’établissements engendre des complications financières. Alors même que la loi handicap date de 2005, les mises en accessibilité ont été tardives car aucune obligation claire et précise n’avait été avancée. Il y a également eu une mauvaise appréciation de la réalisation de l’ensemble des travaux. Le renouvellement matériel s’échelonne dans certains cas sur plus de 10 ans.

L’État lui-même n’a d’ailleurs pas les moyens de mettre en conformité ses propres bâtiments puisque le coût est évalué à 20 milliards d’euros selon l’étude Accèsmétrie de 2010. Le coût pour les seuls ERP s’élevait à 3,6 milliards pour l’État et à 16,8 milliards d’euros pour les collectivités territoriales. Les plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (PAVE) constituent également une charge importante pour l’État, le dispositif étant obligatoire mais leur exécution n’étant pas soumise à délai.[7]

Finalement, le terme « d’adaptabilité » des ERP aux personnes à mobilité réduite, non voyantes (etc.) selon les besoins est plus cohérent que celui « d’accessibilité » à tous les ERP.

Une proposition de mutualisation de quelques établissements avait aussi été avancée[8] afin de fournir dans chaque ville un « accès handicapé » (chambres handicapés par exemple) qui garantirait les meilleures prestations tout en limitant les coûts à certains établissements. Cela permettrait de laisser un choix aux personnes à mobilité réduite tout en évitant d’imposer à la totalité des établissements des normes disproportionnées. Dans le cas des centres médicaux, une activité coordonnée et partagée pourrait avoir lieu dans certains centres mis aux normes afin de permettre aux libéraux en centre ville de continuer à exercer.

Un rapport du Sénat en 2013 présentait un aperçu du nombre  des coûts d’équipements et de mises en accessibilité :  

  • Une balise sonore pour déficients visuels : 1.000 euros posée HT ;
  • Un élévateur pour franchir quelques marches : 10 à 45.000 euros ;
  • Un ascenseur : 50 à 100.000 euros ;
  • Une rampe amovible : 2.000 euros ;
  • Une rampe fixe en béton : 10.000 euros.

Voir Sénat 

 

Loi handicap 2005, applicable au 1er janvier 2015 : dérogations et sanctions

Obtenir une dérogation pour l’aménagement des locaux professionnels

La loi prévoit 3 situations pouvant conduire à une dérogation au respect des normes accessibilité handicapés :

  • Impossibilité technique liée à l’environnement ou à la structure du bâtiment ;
  •  Préservation du patrimoine architectural ;
  • Disproportion manifeste entre la mise en conformité et ses conséquences (impact économique trop lourd ou réduction importante de l’espace disponible pour l’activité du professionnel après les travaux).

Les risques encourus en cas de non-respect des normes accessibilité handicapés

Un professionnel contrevenant à la loi s’expose à différents risques :

  • La fermeture de son établissement ;
  • Le délit pénal de discrimination en raison du handicap de la personne ;
  • Les sanctions pénales applicables en cas de manquement aux règles de construction.

 

Coût de mise en accessibilité pour les infrastructures publiques

La mise en accessibilité de l'existant représente des coûts très significatifs, comme le montrent les quelques exemples ci-après :

  • lycées de la région Rhône-Alpes : 159,2 M€ ;
  •  réseau de transports Ile-de-France : 1,1 milliard d'euros ;
  • projets d'aménagements de 143 gares gérées par réseau ferré de France : 470 millions d’€ ;
  • aménagement des points d'arrêts du réseau de transport interurbain de l'Isère : 220 M€ ;
  • surcoût d'un bus à plancher bas : 40 % ;
  • aménagements des musées de France : 19 M€ pour le musée du Louvre par exemple.

[1] Voir legifrance

[2] Voir vosdroits.service-public.fr

[3] Voir social-sante.gouv

[4] Personnes bénéficiant de l’OETH

[5] Voir generaliste-en-france.fr

[6] Voir territoires.gouv

[7] Réussir 2015 – Sénat

[8] Ibid