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Médecins libéraux : rémunération toujours aux pièces

Le 1er mai, entre les deux tours de la présidentielle, le tarif de la consultation des médecins génétralistes en secteur 1 a été augmenté de deux euros. Le jour où ils s’installent, tous ces jeunes médecins sont désormais payés 25 euros par consultation, comme ceux qui ont dix ans, vingt ans, trente ans ou quarante ans d’expérience. Une politique de rémunération simple, et très originale en 2017 où le travail « aux pièces » a largement disparu, même pour les emplois peu qualifiés. Pour les emplois qualifiés, cette méthode semble grotesque, injurieuse même. Résultat : les médecins généralistes deviennent rares, et cherchent par tous les moyens à échapper à ce traitement expéditif.    

Une situation d’autant plus étonnante qu’à l’hôpital, les salaires de tous les personnels augmentent en fonction de l’ancienneté, et en fonction de la qualité du travail fourni. Une méthode qui n’est pas non plus idéale vu la prépondérance du facteur ancienneté, mais qui reconnaît 1) que l’expérience peut souvent améliorer la qualité du travail et 2) qu’il existe des différences importantes de performance entre les êtres humains. Plus choquant encore, alors que les tarifs des hôpitaux des grandes métropoles (ex. Paris) sont plus élevés que ceux des autres villes pour tenir compte de coûts supérieurs, notamment des bâtiments, le tarif de 25 euros est le même dans toute la France. Dans un autre domaine intellectuel, celui de l’enseignement, un professeur voit son salaire augmenter tout au long de sa carrière, même s’il enseigne toujours la même matière, le même nombre d’heures et dans la même classe (ex. en CM1, ou l’anglais en 4ème).    

Plus vite

Quand elle a été mise en place par la convention médicale de 1971, l’idée directrice de ce mode de rémunération a sans doute été que les médecins généralistes expérimentés et plus qualifiés, pourraient augmenter leurs revenus en travaillant plus vite. Une perspective qui ferait fuir tout jeune ingénieur, juriste ou énarque[1] auquel son futur employeur annoncerait ce mode d’évolution de carrière.

Mieux

Avec l’expérience, on n’attend généralement pas des salariés (et de la quasi-totalité des autres travailleurs) qu’ils travaillent toujours plus vite, mais surtout qu’ils soient capables de travailler mieux. Soit en accomplissant des tâches techniquement plus complexes, soit en étant capables de faire travailler d’autres personnes, typiquement en organisant et coordonnant leur travail. Dans le cas de la médecine, la première voie est évidente : il existe toute une gamme de malades et de problèmes de santé. La seconde serait par exemple de prendre la responsabilité d’un groupe de professionnels (médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, secrétaires, sages-femmes…).

Si cela n’a pas été fait et qu’on en est resté si longtemps au tarif uniforme pour tous, c’est que rémunérer le « mieux » suppose d’évaluer les médecins, un problème très délicat, qui fait peur aux médecins et à leurs syndicats.

Des correctifs

Le ridicule de cette situation a fini par devenir évident, et l’Assurance-maladie obligatoire (CNAM) a peu à peu accepté quelques entorses à l’uniformité. La dernière version du plan de rémunération des médecins, la Rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) porte sur 29 paramètres, et est complétée par le Nouveau forfait structure.  

ROSP

Forfait structure

Suivi des pathologies chroniques

Logiciel d’informatisation du dossier médical

Taux vaccination grippe

Logiciel d’aide à la prescription certifié HAS

Prévention

Horaire et organisation du cabinet

Prescription de médicaments génériques

Synthèse annuelle par patient

Suivi bucco-dentaire et de l’obésité des enfants

 

Taux de vaccination

 

Etc.

 

 

Comme le montre le texte de l’accord CNAM-Médecins, la formule qui permet de calculer ce que chaque médecin percevra est complexe : « A partir d’un taux de départ ou niveau initial défini pour chaque indicateur selon la situation initiale de chaque médecin, un taux de suivi est calculé annuellement et permet ensuite de déterminer un taux de réalisation par rapport à l’objectif cible qui donne un nombre de points pour chaque critère. Le médecin est donc incité à modifier sa pratique dans la durée. Le nombre total de points obtenus est ensuite pondéré par la patientèle. La base choisie est de 800 patients. »

Des tarifs plus élevés sont aussi prévus pour des consultations complexes (48 euros pour une première visite de maladie de Parkinson, d’épilepsie…) et très complexes (60 euros pour une annonce de cancer, de malformation…).

Évaluer, c’est très difficile

Cet effort de quantification de la qualité des soins est méritoire, et séduisant par son objectivité/impartialité. Mais il répond mal à l’extrême complexité du sujet et à la diversité des situations. Il est probable que les médecins s’adapteront facilement au respect formel des critères mesurés, ce qui constituera un progrès limité. Avec le temps, une course va s’engager entre l’État et les médecins, conduisant à une explosion du nombre de paramètres mesurés, sans amélioration notable de l’évaluation de la véritable performance des médecins. Pour reprendre la comparaison précédente, la qualité d’un enseignant peut-elle s’évaluer en mesurant seulement le pourcentage du programme enseigné en fin d’année, le nombre de devoirs corrigés et d’interrogations orales faites ?[2]

Évaluation : le cas des vendeurs

L’idée d’évaluer les vendeurs en fonction du niveau de leurs prises de commandes semblait simple, objective et motivante. Mais la pratique a montré qu’elle présente de gros inconvénients : vente de produits ne correspondant pas aux besoins qualitatifs ou quantitatifs du client, tendance à privilégier les commandes immédiates aux commandes futures, sous-estimation du risque financier de non paiement par le client, etc. Même pour cette profession, d’autres critères humains ont été mis en place, destinés à évaluer la relation de confiance entre le vendeur et le client, plus subjectifs mais indispensables.

Contournement

Pour échapper à ce carcan, de nombreux médecins généralistes cantonnés au secteur 1, soit tardent à s’installer et effectuent des remplacements, si possible en secteur 2, soit recherchent des activités complémentaires mieux rémunérées (esthétique, homéopathie, épilation, acupuncture, ostéopathie, etc.) aggravant la pénurie de généralistes.  

Diversité

Face aux vrais problèmes que pose l’évaluation des médecins généralistes, qu’ils soient libéraux ou salariés, seules de multiples expériences entre assureurs et médecins volontaires pourraient faire progresser la méthodologie. Il serait par exemple utile d’exploiter les données de santé stockées par la CNAM pour réaliser une évaluation des résultats, et pas seulement des moyens mis en œuvre. L’initiative d’entrepreneurs regroupant plusieurs médecins, voire plusieurs cabinets de médecins[3], peut aussi permettre au responsable d’évaluer les performances techniques et humaines des personnes qui y travaillent. Cest ce qui est fait dans certains hôpitaux (fondations, mutualistes...) où les médecins sont salariés, évalués et conseillés. 

Conclusion

En modulant le prix des consultations suivant leur complexité, la CNAM se place en position d’évaluateur des médecins, un monopole qui n’est favorable ni aux médecins qui sont face à un seul juge, ni aux malades qui sont mal guidés dans le système de santé. En acceptant de contracter avec différents assureurs, les médecins seront en position de définir les pratiques qui leur conviennent vraiment et d’explorer de nouvelles méthodes (ex. télémédecine, prévention, soins à domicile) sans la lourdeur de la procédure de négociation globale avec la CNAM tous les sept ans. Faute d'ouverture globale de l'Assurance-maladie au premier euro, des contrats directs entre complémentaires santé et médecins sur des sujets précis permettraient de faire progresser notre système de santé. Au lieu d'être "complémentaires" seulement au sens financier du terme, les "complémentaires" le seraient aussi au sens de la gestion qualitative du système.   

 

 


[1] Pour prendre des exemples de niveaux d’études comparables à ceux des médecins, mais une réaction de rejet valable et souhaitable à tout niveau de formation.

[2] Dans son livre Lost in management, François Dupûy a montré comme les « process » sont séduisants mais conduisent souvent à des attitudes négatives de contournement.  

[3] C’est le cas pour des cabinets d’ophtalmologie comme Point Vision