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Logement : les 4 erreurs du rapport de la Cour des comptes

La Cour des comptes a présenté 9 notes thématiques « pour renforcer la qualité de la dépense publique ». Objectif : participer à la revue de dépenses organisée par le Gouvernement pour dépenser moins tout en faisant mieux. Une de ces notes est consacrée à la politique du logement. Si le constat dressé est exhaustif et s’appuie sur les différents rapports de la Cour, les préconisations sont insuffisantes.

La Cour indique en introduction que les politiques du logement ne sont plus adaptées. Définies dans les années 1970, elles visaient, entre autres, à fournir à chacun un logement décent et abordable, dans une logique de parcours résidentiel qui n’est plus forcément observé. Depuis, différentes lois sont venues essayer de corriger les difficultés liées au logement mais ces lois ont eu plutôt pour conséquence d’alourdir les procédures et les normes, parfois en fixant des objectifs contradictoires sans rénover la vision d’ensemble de la politique du logement.

Rien que depuis 2014 on peut citer : la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové en 2014, la loi égalité et citoyenneté en 2017, la loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique en 2018 imposant une concentration du secteur des habitations à loyer modéré (HLM), la loi de finances pour 2018 sur la réduction du loyer de solidarité (RLS), la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets en 2021, la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale en 2022.

Aujourd’hui les objectifs sont nombreux. Au souhait d’encourager la construction et l’offre de biens immobiliers à la location comme à la vente pour un prix abordable pour le plus grand nombre, s’ajoute les préoccupations suivantes :  

  • Rénovation énergétique, lutte contre l’étalement urbain et aussi contre la surdensité
  • Politique logement d’abord (personnes aux revenus les plus faibles)
  • Adaptation au vieillissement
  • Redynamisation des centres-villes et aménagement du territoire (pbm des zones détendues)
  • Mixité sociale et lutte contre la ghettoïsation des banlieues
  • Contrôle du développement des meublés de tourisme et leur influence sur la tension immobilière dans certaines zones littorales
  • Favoriser les parcours professionnels et accompagner des évolutions sociétales comme le télétravail

1ere erreur : La Cour oublie le poids des prélèvements obligatoires

La Cour fait le constat que les difficultés d’accès au logement tiennent à la nature du marché immobilier français, dont les prix peuvent être de plus en plus déconnectés des revenus des ménages, notamment dans les zones tendues. La politique du logement mobilise, toutes administrations publiques confondues, 38,2 Md€ en 2021, soit 1,5 % du PIB, une part deux fois plus importante que la moyenne de l’UE (1,3 % en données Eurostat 2021 en France contre 0,6 % en moyenne au sein de l’UE). Pour autant, la dépense de logement des ménages français demeure élevée (26,2 % de leur revenu en 2019 contre 23,5 % au sein de l’UE).

Financées à plus de la moitié par l’État, les dépenses se répartissent entre des allègements d’impôt ou dépenses fiscales (13,7 Md€ pour 65 dépenses fiscales concernant le logement), des prestations sociales comme les aides personnelles au logement (20,1 Md€), des subventions (3,5 Md€) et des avantages permettant de réduire le taux des prêts au logement (0,9 Md€).

Si la Cour a raison de rappeler la contribution publique à la politique du logement, elle oublie de rappeler le poids des prélèvements frappant ce secteur économique ; elle évoque juste une « pression fiscale sur les logements qui a augmenté ». Pourtant, en 2021, le secteur du logement acquitte 90 milliards € de fiscalité (IFI compris). Si la France avait le même % de taxes frappant le secteur immobilier que la moyenne européenne, cela représenterait 30 milliards € en moins.

Mais au contraire, la Cour en rajoute suggérant de revoir l’ensemble des niches fiscales : les magistrats estimant que l’efficience des dépenses fiscales n’a pas été sérieusement évaluée, en dépit de leur coût élevé. Dans le viseur de la Cour, se trouvent en particulier les dispositifs d’encouragement à l’investissement locatif. Dans un précédent rapport, la Cour déplorait l’impact insuffisant de ces dispositifs sur l’offre locative intermédiaire, le manque d’évaluation sur les contreparties sociales de ces dispositifs et mettait en balance leur coût pour les finances publiques et celui des aides publiques en faveur du logement social. Mais c’est oublier qu’il faut une offre locative intermédiaire pour construire un parcours résidentiel, et que tout ne peut pas être misé sur l’offre de logement social. Quant aux contrôle des contreparties, il faut d’abord blâmer le législateur qui change régulièrement le public-cible de ces dispositifs. De toute façon, il serait plus simple d’encourager une offre locative abondante en baissant la fiscalité qui pèse sur tous les bailleurs.

Autre exemple avec la lutte contre les logements vacants : L’Insee compte 3 millions de logements vacants en 2022. Ces logements, dit la Cour, constituent dans les territoires tendus un frein à la constitution d’une offre abordable complémentaire au parc social. La Cour reconnaît que pour lutter contre la vacance, les outils ont surtout été jusqu’à présent coercitifs (taxe sur la vacance TLV, THLV, réquisition). Mais sans beaucoup de succès comme le suggère le plan national de lutte contre les logements vacants lancé en 2020. Idem sur les loyers : la Cour indique que la politique de prix abordable concerne également les loyers, certaines communes ayant la possibilité de les encadrer. Dans son bilan sur l’encadrement des loyers à Paris en 2020, relève la Cour, l’observatoire des loyers de l’agglomération parisienne, cette modération a un effet limité. Mais elle n’évoque pas le poids croissant de la combinaison taxe foncière + taxation des revenus locatifs qui baisse le rendement locatif et dissuade les bailleurs de mettre en location, surtout s’ils sont confrontés à des contraintes environnementales de plus en plus fortes (DPE) et des risques d’impayés (recours qui sont très longs et peuvent durer parfois plus d’une année).

2e erreur : ne pas oser réclamer une vraie décentralisation des politiques du logement

Non seulement, les politiques du logement usent d’outils très variés avec parfois des effets de bord (aides personnelles au logement jugées inflationnistes), mais les secteurs institutionnels susceptibles d’agir sur la politique du logement sont très nombreux : Selon l’OCDE, la France est un des pays où la « fragmentation des pouvoirs administratifs » en matière de logement est la plus forte. Si avec les lois de décentralisation, les collectivités territoriales ont pris une part significative dans les politiques du logement, la Cour recommande un équilibrage encore davantage en faveur des collectivités territoriales.

Pour la Cour, une décentralisation plus volontariste de la politique du logement devrait bénéficier aux EPCI chargés d’attribuer les permis de construire et d’agréer la construction de logements sociaux. Ceux-ci moduleraient les aides fiscales pour l’acquisition de certaines catégories de logement et seraient chargés de la politique de rénovation énergétique des bâtiments. Ce scénario impliquerait que soient maintenus, en les simplifiant, les dispositifs de solidarité financière entre les territoires (dotations, fonds de soutien). Les interventions de l’État seraient resserrées : à l’État de fixer les perspectives générales, d’assurer la solidarité entre les territoires et d’exercer sa mission de contrôle des collectivités territoriales ; à ces collectivités de définir et de mettre en œuvre ces politiques. Cette proposition est intéressante mais elle n’est pas suffisante : c’est une vraie décentralisation qu’il faut mettre en œuvre !

Encore aujourd’hui, l’Etat central imprime sa marque sur de nombreux aspects de la politique du logement fixés d’un point de vue national alors que c’est une approche décentralisée qu’il faudrait adopter : par exemple, le zonage des aides à la construction fixé par la DHUP (ministère du logement), le droit opposable au logement pour les ménages reconnus prioritaires et les différentes catégories prioritaires qui se sont accumulées au cours des dernières années, avant même que ne s’y ajoutent les « emplois essentiels ». On peut citer aussi les mesures introduites en 2017 de RLS fixé au niveau national pour compenser les bénéficiaires du logement social de la baisse des APL. Mais la plus emblématique est certainement la loi SRU qui impose aux 2 000 communes les plus importantes de disposer d’un taux minimum de 25 % de logements sociaux. Tous ces exemples montrent que l’Etat est encore très présent et l’équilibrage que prône la Cour doit être une vraie décentralisation. Bien sûr, décentralisation ne doit pas vouloir dire se débarrasser du problème sur les collectivités et l’Etat pourrait rester le garant d’une politique ambitieuse en contractualisant avec les collectivités. En particulier, on peut songer à encourager les maires bâtisseurs en modulant la DGF en fonction de l’augmentation de la population et de la construction dans les zones tendues. On pourrait aussi adapter les aides publiques en fonction des priorités des territoires : redynamisation des centres villes ou bien incitation à la construction, etc.

3e erreur : la place du logement social : universel ou filet de sécurité ?

Les critiques de la Cour sur la politique de logement social ne permettent pas de trancher le dilemme entre un logement destiné en priorité à loger les plus modestes et une politique qui favorise la mixité sociale. Sans recommandation claire, les politiques publiques seront toujours tentées d’en faire toujours plus pour accueillir toujours plus de ménages et permettre à ceux qui y résident déjà de rester dans un logement social.

Dans un premier temps, la Cour rappelle que les fonds dépensés pour la politique du logement sont importants, plus que la moyenne européenne, et nécessite un meilleur ciblage. Le constat que dresse la Cour est sans appel : Les règles d’attribution de logements sociaux, instituées par la loi Alur de 2014 puis confortées par la loi Elan en 2018, contribuent à favoriser l’accès au logement des ménages aux revenus modestes mais de manière inégale sur le territoire, même si 73 % des ménages s’étant vu attribuer un logement dans le parc social en 2022 sont sous les plafonds des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI). Le parc social français, particulièrement vaste, est pourtant de moins en moins ouvert à de nouveaux entrants, l’âge moyen de ses occupants dépassant désormais 50 ans. L’entrée de nouveaux ménages dans ce parc est de plus en plus difficile, notamment pour les jeunes travailleurs modestes, même s’ils occupent des emplois considérés comme essentiels, comme pour les ménages précaires, dont le profil est jugé à risque par les bailleurs.

En dépit de la demande croissante de logement social (cette demande est toutefois surévaluée de l’ordre de 20 % en raison des modalités de comptabilisation des demandes et des imperfections du système national d’enregistrement des demandes de logement social), l’accès au parc social a diminué en raison de la faiblesse du taux de rotation de ses occupants (moins de 8 % en 2020 selon l’Union sociale pour l’habitat). Or, une augmentation d’un point du taux de mobilité représenterait une offre équivalente à la construction de 47 000 logements par an – soit près d’un tiers des nouveaux logements agréés – sans coût pour les finances publiques.

Malgré de nouvelles constructions et des mécanismes correctifs destinés à mieux articuler les spécificités des territoires et des organismes de logement, cette faible rotation des locataires du parc social s’explique par les délais d’obtention d’un logement social en zones tendues, et les difficultés d’accès au parc privé dans les zones tendues ne facilitent pas les sorties du logement social. Cette situation illustre la difficulté à mettre en œuvre un parcours résidentiel. Cette situation appelle un renforcement des mesures pour assurer une plus grande mobilité des locataires et une gestion active du parc existant. Mais la Cour ne dit pas lesquelles alors que c’est le droit au maintien dans les lieux qu’il faut remettre en cause. Même si les surloyers ont permis d’améliorer la mobilité, cela ne suffit pas, en raison du différentiel de loyer avec le secteur privé. Mais celui-ci pour se développer a besoin d’un choc fiscal comme expliqué dans le premier point. La Cour doit dans ses préconisations sortir de cette ambiguïté.

Dernier point sur lequel la Cour doit se faire plus explicite : la nécessité de construire plus et la remise en question des politiques ZAN

Avec son langage diplomatique, la Cour interroge le besoin de construction pourtant défendu par les acteurs du logement. Si la Cour a raison de rappeler que les objectifs quantitatifs de construction n’ont finalement jamais été atteints, qu’il s’agisse du plan d’investissement pour le logement de mars 2013 (promesse de F. Hollande) pour la construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux, du plan d’investissement volontaire d’avril 2019 entre l’État et Action logement prévoyant le financement de 110 000 logements sociaux par an, ou encore du plan de relance de la Caisse des dépôts de septembre 2020, elle ne peut fermer la porte à l’objectif de construire plus. On sent pourtant que sur ce point la Cour n’est pas favorable : « De nombreux acteurs publics et privés considèrent que le soutien à la construction est l’élément moteur de la politique du logement. Toutefois, compte tenu des contraintes budgétaires, les actions de rénovation et d’entretien du patrimoine existant, telles que le programme action coeur de ville, ou la lutte contre les copropriétés dégradées, doivent être préférées à une politique de soutien de la production, moins à même de répondre aux exigences de qualité et de zéro artificialisation des sols. »

Cet objectif est d’abord une nécessité au vu des contraintes socio-économiques : croissance de la population, mobilité géographique, décohabitation, etc. La Cour doit aussi tenir compte des attentes des Français : la crise Covid étant passée par là les ménages aspirent à des maisons individuelles avec des espaces extérieurs. Mais à cette préférence collective la Cour oppose la lutte contre l’artificialisation des sols, qui est devenue un objectif majeur dit la Cour : la loi « climat et résilience » fixe un objectif de zéro artificialisation nette des sols en 2050 et la réduction de moitié de la consommation d’espaces à l’horizon 2031, la consommation d’espaces étant définie comme le changement d’usage du sol, passant d’un usage naturel, agricole ou forestier, à un usage urbanisé.

Les politiques de logement butent pourtant sur les objectifs de préservation des espaces naturels. Dans certains territoires, la compatibilité de cet objectif avec celui visant à accroître l’offre de logements face à la croissance de la population devient un enjeu social et économique majeur reconnaît la Cour qui explique qu’en zone tendue, le prix du logement à presque doublé entre 2000 et 2022, avec des écarts géographiques très importants alors que le coût de la construction n’a progressé que de 50 %. Cette situation contraste avec celle de nos voisins européens. Le prix du foncier, environ un tiers du coût d’un logement avec une forte amplitude selon les zones, en est la cause principale pour les logements neufs. Elle recommande de réformer la fiscalité sur les plus-values de cession de foncier pour lutter contre la rétention immobilière et faciliter la construction dense dans les zones tendues. Mais elle reconnaît aussi que le différentiel de coûts est tel entre une opération d’aménagement en recyclage et une opération d’aménagement en étalement qu’une simple évolution de la fiscalité ne pourrait à elle seule suffire.