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Logement : à la place du choc d’offre, toujours plus de freins

Mis à part l’urgence de disposer de plus de logements, le seul message clair de la grande consultation des Français organisée par le ministère du Logement, « Habiter la France de demain », n’est pas une surprise : « Les conclusions de la consultation citoyenne en ligne, de juin à octobre 2021, ont placé la maison individuelle comme un idéal : plus de 80% des répondants souhaiteraient habiter dans une maison individuelle s’ils avaient le choix, contre 15% en appartement. »   

Alors sans surprise, les déclarations du jeudi 14 octobre de la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, ont créé une véritable commotion chez les 56 % de Français vivant en maison individuelle, et chez les autres qui le voudraient. Cette dernière estime, en effet, que : « Le modèle du pavillon avec jardin n’est pas soutenable et nous mène à une impasse. » Et ajoute, en plus, que « ce rêve construit pour les Français dans les années 1970 », « ce modèle d’urbanisation qui dépend de la voiture pour les relier » sont un « non-sens écologique, économique et social ». A quoi bon consulter les Français si c’est pour s’engager à les faire changer d’avis, de gré ou de force ?

La fin du quinquennat approche, et le « choc d’offre de logements » promis ne s’est pas concrétisé. Au contraire, les autorisations de construction et les mises en chantier sont en baisse. Si la crise sanitaire peut expliquer une partie du problème, ce sont les obstacles mis sur la route des constructeurs et des acheteurs qui ont conduit à cet échec. Un échec d’autant plus anormal que les conditions financières sont extraordinairement favorables, comme le montre l’activité sur le marché du logement ancien.      

Logement : on va vous faire changer d’avis

De nombreuses mesures prises par les gouvernements ou par les nouveaux maires (Régulation thermique 2020, nouveau Diagnostic de performance énergétique, gel des terrains constructibles, Plans Locaux d'Urbanisme soumis aux préfectures…), renchérissaient et ralentissaient déjà la construction des logements. Les conclusions de la Concertation citoyenne vont rajouter une couche classique de contraintes avec un « référentiel de qualité et d’usage », toutes mesures pleines de bonnes intentions mais qui toutes renchérissent le coût de construction.

Mais c’est sur le thème de la maison individuelle que le ministère a le plus dévoyé les conclusions de la Concertation citoyenne.  Le ton du rapport officiel publié après des mois de concertation était resté policé, affirmant : « Le rêve des Français en matière d’habitat reste la maison individuelle. (…) Il faut gagner la bataille culturelle qui consiste à faire préférer le collectif à l’individuel ». Même si l’expression, on va vous « faire préférer » ce que vous n’aimez pas, est déjà rude.

Mais pendant son discours de clôture de cette concertation, la ministre du Logement a laissé transparaître le fond de sa pensée en affirmant « les maisons individuelles sont un non-sens écologique, économique et social, le modèle pavillon-jardin est insoutenable, il nous mène dans une impasse ». Et en complétant sa pensée par « Ce rêve construit pour les Français dans les années 70 », Emmanuelle Wargon accuse des lobbys de promoteurs ou de responsables politiques d’avoir manipulé un peuple ignorant qui ne sait pas ce qui est bon pour lui. Admettre que ce rêve a été construit par les Français aurait été moins méprisant.

Maison individuelle vs. Immeuble collectif  

Ce combat idéologique contre la maison individuelle « petit bourgeois », et pour les immeubles collectifs, n’est pas nouveau. Si possible avec des espaces et services communs (chauffage, jardin, aire de jeux, salle de réception, laverie, chambre d’amis, voire cuisine), les collectifs seraient favorables au développement de la socialisation et éviterait le repli sur soi. Des arguments qu’on avait déjà entendus dans les années 1950-1980 pour justifier la construction des grandes barres et tours de logements privés et HLM, et déjà dénoncés en 2014 dans le livre : "L'urbanisme de la vie privée" d'Olivier Piron. 

De nombreuses personnes préfèrent habiter dans le centre des très grandes villes avec sa possibilité d'anonymat choisi (ex. étudiants, jeunes actifs), de nombreuses autres préfèrent la banlieue, de plus petites villes ou la campagne (ex. ménages avec enfants). De même, certains préfèrent les facilités des appartements tandis que d’autres acceptent les contraintes des maisons individuelles. A cette diversité des préférences s’ajoute celle des contraintes (ex. resources, travail, famille). Au total, cette diversité est une chance pour animer des territoires français très divers, à condition de laisser les Français choisir eux-mêmes ce qu’ils veulent, et ne pas leur imposer depuis le ministère du logement, des choix arbitraires, bien-pensants.  

Les chiffres de la construction en 2020-2021 montrent que les Français qui veulent habiter des maisons individuelles finiront par réussir à en habiter une. Les obstacles mis par les gouvernements auront seulement réussi à augmenter leurs coûts et à aggraver la crise du logement.      

Statistiques de la construction

Avec 198 200 unités sur 1 an (de juillet 2020 à juin 2021), le nombre de logements collectifs autorisés à la construction baisse de 3,8 %. L’individuel pur (145 600 logements) poursuit sa hausse (+17,8 %) et l’individuel groupé, avec 50 400 logements, connaît une progression de 12,9 %. L’individuel collectif avec 195 100 logements reste en baisse (-6,9 %).

Source : https://www.immomatin.com/evaluation/services-evaluer/logements-neufs-125-400-mises-en-chantier-41-et-95-900-pc-4-8-de-mai-a-juillet-2021.html

Pour ceux qui le souhaitent, et le peuvent compte tenu de leurs contraintes personnelles, la construction de maisons individuelles est beaucoup plus rapide et facile que la construction de grands ensembles qui soulèvent de nombreux problèmes d’infrastructure et de voisinage. Si quelques lotissements et maisons isolées posent des problèmes, la quasi-totalité de leurs habitants sont satisfaits d’y vivre, et ces logements se revendent facilement, mis à part des zones en grand déclin : on est très loin du méprisant "Cauchemar pavillonaire".  Rien de comparable avec la réalité de nombreux grands ensembles HLM et même parfois privés, où les problèmes de sécurité et de délabrement sont tels que des milliards d’euros doivent régulièrement être consacrés à leur réfection.

« Fake news »

Le principal moteur derrière la stigmatisation de la maison individuelle est le combat contre l’artificialisation des terres. A la source de ce combat, l’affirmation de Barbara Pompili et d’Emmanuelle Wargon, qu’en France les terres sont plus artificialisées que dans les pays voisins. Un fait peu crédible face aux 65 millions d’habitants pour 550.000 Km2, et une densité de population très inférieure à celle de ses voisins. L’étude de France stratégie confirme que le taux d’artificialisation est en France (5,5%), très inférieur à celui de l’Allemagne, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, et similaire à celui de l’Italie.     

Les autres arguments (coût des canalisations, du ramassage scolaire, de la collecte des ordures, de la nécessité de disposer de moyens de locomotion personnels...) sont valables mais sont, soit mineurs, soit moins coûteux que des services équivalents dans les centres-villes, soit assumés par les intéressés. Olivier Piron, ancien secrétaire général du Plan urbanisme, construction, architecture, a aussi remarqué que les habitants des banlieues disposant d'un jardin, utilisent plus leur voiture dans la vie courante, mais ont moins besoin de partir très loin à chaque congé.  

Conclusion

En France, le problème urgent et dramatique, c’est celui du manque de logements, pas celui de l’artificialisation des terres, ni celui de savoir si tous les nouveaux logements seront « traversants », disposeront d’une douche à l’italienne, construits en paille ou disposeront d’une terrasse ou d’un jardin.

Le compte rendu de Habiter la France demain montre que les vœux exprimés par les Français sont très divers et largement contradictoires (ex. des villes plus denses ou moins denses,  partir dans des zones moins denses ou habiter le centre-ville). Et encore, l’enquête n’a motivé qu’une frange limitée de la population volontaire. Cette diversité montre qu’il faut laisser les Français choisir eux-mêmes le type de logements qu’ils veulent habiter sans leur imposer les choix du ministère ni des contraintes artificielles.