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Logement : encore trop de failles dans les données

La Cour des comptes vient de publier un référé adressé au gouvernement sur La production et l’utilisation des données utiles à la politique du logement, et le moins que l’on puisse dire c’est que le gouvernement navigue à vue sur cette question pourtant essentielle. La Cour des comptes relève « plusieurs dysfonctionnements et risques » sur les bases de données qui servent à renseigner la politique du logement. Elle rappelle que « la disposition et l’utilisation de données pertinentes sur les logements et leurs occupants, constituent en effet une condition essentielle pour garantir l’efficience d’une politique publique qui représente un coût annuel proche de 40 Md€ ».

Données sur le logement : le gouvernement navigue à vue

Dans ce référé la Cour estime que « La donnée (data) apparaît aujourd’hui comme un élément déterminant pour l’élaboration de politiques publiques de qualité. » Une affirmation qui ne vaut pas seulement pour le logement mais pour de nombreuses politiques publiques. « Or, la capacité de l’État paraît insuffisante au regard des ambitions affichées. De manière générale, les bases de données mobilisables sont difficiles d’accès et faiblement interopérables », souligne la Cour.

Ce qui est dans la ligne de mire de la Cour, c’est la connaissance des parcs de logement social et privé afin d’établir « les stratégies les plus appropriées en matière d’offre de logement neuf, de lutte contre l’habitat indigne, de rénovation énergétique ». Des sujets qui sont pourtant au centre des préoccupations gouvernementales depuis de nombreuses années.

Des critiques déjà anciennes

Ces recommandations paraissent d’autant plus urgentes qu’en 2017 déjà, la Cour des comptes, dans un rapport consacré à l’accompagnement du logement social, soulevait la question du chiffrage du nombre de nouveaux logements : les rapporteurs faisaient alors le constat que, si l’on connait, année après année, le nombre de logements du parc, et donc son accroissement, on est incapable de rapprocher ce chiffre du nombre de logements construits ou financés. Sur la période citée en référence, en l’occurrence, 2007 – 2015, le nombre de logements financés était au total de 992.000. Pourtant, le parc ne s’était accrû que de 346.000 unités, soit 646.000 logements de moins. Un écart explicable par le décalage entre la date de financement d’un logement et sa livraison (18 mois à 2 ans), les démolitions (5.000 à 20.000 par an) et les ventes (5.000 à 6.000 par an). Mais qui laissait subsister une différence inexpliquée d’environ 20.000 logements annuels.

Autre exemple des faiblesses des bases de données sur le logement, en 2014, le ministère du Logement avait subitement corrigé de +58 000 le nombre de logements construits en raison, avait-il reconnu, d’une sous-estimation du nombre de logements construits. Résultat, au lieu des 297 000 logements annoncés, c’étaient 356 000 logements qui avaient bel et bien été construits.

Cette question est essentielle, car elle a souvent fait l’objet de grandes promesses électorales (Sarkozy, Hollande, Macron) avec des ambitions de construire 500 000 nouveaux logements par an, pas forcément corroborés par les études économiques. Et surtout, des objectifs nationaux qui ne disent rien des différences au niveau local (zones tendues/zones détendues).

Quels sont les besoins réels en logements ?

A l’époque, les erreurs s’expliquaient par deux raisons essentielles selon le quotidien Le Monde qui s’était penché sur la question : d’une part, l’instruction sur les permis de construire confiée aux collectivités locales et la désorganisation qui s’en est suivie. D’autre part, l’existence d’une zone grise entre le nombre de permis de construire autorisés et les mises en chantier effectives. A l’époque, ce sont les professionnels de l’immobilier qui avaient alerté les services du ministère du Logement sur ces écarts.

Or, dans son référé, la Cour déplore toujours les mêmes difficultés : « la Cour a identifié 12 bases de données essentielles pour la politique du logement, qui portent sur le suivi de l’offre et de la demande ainsi que sur la situation des bénéficiaires des politiques sociales dans ce domaine. S’y ajoutent des bases plus spécifiques sur le suivi des vacances de logements, le traitement de l’habitat indigne ou la gestion des situations éligibles au droit au logement opposable (Dalo). Sur ces 12 bases, six ont fait l’objet d’une analyse technique par la Cour.  Les observations de la Cour confirment la complexité des bases, leur défaut d’actualisation et, dans certains cas, l’insuffisante fiabilité ou exhaustivité des données qu’elles contiennent. »

La Cour pointe un défaut de partage des données : « La direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) et la direction générale des finances publiques, notamment (DGFiP), ainsi que les autres acteurs publics responsables de la production de ces bases, partagent encore trop peu ces données. » Et la perte de données occasionnée par la suppression de la taxe d’habitation qui renseignait sur la situation des occupants, ne va faire qu’accentuer les choses. La Cour demande de créer un répertoire inter-administratif des locaux adossés aux bases de la DGFiP. Une demande qui n’est pas nouvelle, puisque dans un précédent rapport la Cour pointait déjà que « l’administration fiscale n’est toujours pas en mesure d’identifier, dans un territoire donné, les logements bénéficiant d’une dépense fiscale, ni d’en chiffrer le coût à l’échelle d’un territoire. »

La Cour relève également que « Les politiques du logement reposent de manière croissante sur un partenariat renforcé entre un État stratège et les collectivités territoriales ». Le suivi des logements doit donc s’apprécier plus finement au niveau territorial. Pour la Cour, c’est à l’État territorial d’accroître sa capacité d’information et de décloisonner avec les opérateurs centraux ou déconcentrés et les collectivités territoriales.

Pour la décentralisation des politiques du logement

Mais pour la Fondation iFRAP, il faut aller plus loin et décider la décentralisation des politiques du logement. Notre constat est que trop de strates partagent actuellement la compétence logement. Les collectivités sont devenues des investisseurs majeurs avec 3 milliards de subventions d’investissement et autres avantages fiscaux accordés au secteur HLM. Si la loi 3DS a apporté quelques aménagements sur la réglementation SRU et le quota de 25% de logements sociaux, le suivi des logements concernés reste d’une grande complexité tout en étant confié à l’Etat. Il vaudrait mieux, pour plus d’efficacité, que les collectivités aient la main et définissent localement les besoins en logements et plus spécifiquement en logements sociaux.

Notre proposition : laisser les régions agir en concertation afin que l’on ne soit plus obligé de construire de logements sociaux dans les zones détendues et, a contrario, dans les zones tendues, d’obliger les communes comptant plus de 30 % de logements sociaux à les céder à des bailleurs privés. Si on faisait le choix d’une vraie décentralisation des politiques du logement, il serait possible de baisser les aides des collectivités d'environ 1,5 milliard €, tout en ramenant le parc de logements sociaux progressivement dans la moyenne européenne, soit 10 % du parc. Les besoins de construction ne peuvent être appréhendés finement qu’au niveau de chaque territoire.

Fiabiliser les données en s'appuyant sur le privé

Un autre point que soulève le référé, est la part croissante qu’occupe le secteur privé dans la production d’informations sur le logement. Pour la Cour il existe un « risque d’une dépendance vis-à-vis de producteurs privés ». Et pour cause, de nombreux sites internet privés facilitent désormais une connaissance géolocalisée des loyers comme des transactions foncières ou immobilières. À l’inverse, les associations départementales d’information sur le logement (Adil), financées par les partenaires publics, en charge des 34 observatoires des loyers, ne permettent pas de couvrir tout le territoire national en temps réel. Un constat d’autant plus incompréhensible que de nombreuses villes s’engagent sur la question du contrôle des loyers qui doit, s’il est mis en œuvre, s’appuyer sur des données fiables et exhaustives. Pour la Fondation iFRAP, il n’y a rien de choquant à ce que le privé s’empare de cette question en mettant en œuvre des innovations qui contribuent à la transparence des données sur le marché du logement.

Ce référé de la Cour est alarmant en ce qu’il révèle les failles de la politique du logement, s’appuyant sur des bases de données incomplètes ou éparpillées. Les recommandations qui vont toutes dans le sens de fiabiliser, actualiser et partager les données entre les différents services producteurs, auraient dû être mises en oeuvre depuis longtemps, particulièrement la dernière d’entre elles « documenter les études d’impact des projets de lois relatives au logement par la présentation de données fiables et actualisées. » (n°7) Rappelons qu’au moins 12 projets de loi sur le logement ont été adoptés depuis 2000.