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Logement, accélérer la construction ou l'interdire ? Le dilemme

En 2019, l'exécutif s'interrogeait sur comment gagner la bataille du logement. Pourtant, avec la loi Climat en préparation, les objectifs de zéro artificialisation nette vont avoir des conséquences sur la contruction de logements, dans des secteurs où la demande est importante, et l'accueil de nouvelles entreprises, sans compter la complexité accrue des documents d'urbanisme. 

Le rapport commandé par Edouard Philippe, alors Premier ministre, au député Jean-Luc Lagleize, et remis en novembre 2019 portait sur la mobilisation du foncier. « Gagner la bataille du logement », c'est le titre qu’en a tiré le député pour son livre paru en janvier 2021, laissant entendre que le foncier est la clef de la bataille du logement.

Les propositions de l’auteur ne sont pas toutes nouvelles, mais le point fort de cet ouvrage est l'engagement à respecter les souhaits des Français en matière de logement : appartement ou maison individuelle, locataire ou propriétaire, en métropole, en ville moyenne ou à la campagne. Un changement complet par rapport à la période des années 1950-1990 des grands ensembles obligatoires, devant loger et mieux socialiser les Français, et aux injonctions actuelles des élus et des administrations prétendant savoir ce qu’est le « bon » logement à la place des Français.

"Construire pour tous, c’est rendre le mode d’habitat libre et volontaire pour chaque Français (...) propriétaire, locataire, propriétaire des murs : nous devons rendre tous les choix possibles" propose l'auteur, même s'il insiste sur les nombreux aspects positifs de la vie en appartement (ville verte, transport facile, emplois, loisirs), et sur l’inconvénient de la vie en pavillon (besoin d'un transport individuel).   

La source du problème

La pénurie de terrains en France est l’hypothèse qui expliquerait la crise actuelle du logement. Pourtant, Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, souligne dans l'ouvrage de Jean-Luc Lagleize que "La situation de la France est critique en Europe. Le territoire national est 15% plus artificialisé que l’Allemagne, 50% plus artificialisé que l’Espagne ou le Royaume-Uni". Cette affirmation est surprenante quand on a voyagé en Europe, et résulte d’une interprétation très particulière des données publiées par France Stratégie dans le tableau ci-dessous. La troisième colonne (Taux d’artificialisation) montre au contraire que ce taux est très inférieur en France (5,5%) à celui de l’Allemagne (9,4%), du Royaume-Uni (8,3%) et des Pays-Bas (13,4%). Il est très voisin de celui de l’Italie (5,3%) et très supérieur à celui de l’Espagne (2,7%). Une situation qui s’explique en partie, en Espagne, par sa faible densité de population et son faible PIB par habitant.

Le calcul de la ministre semble basé sur la surface moyenne artificialisée par habitant (6ème colonne). Une mesure qui ne traduit pas la situation globale d’artificialisation du pays. Il est pourtant naturel que les Français, qui ont la chance de vivre sur un vaste territoire, puissent disposer chacun de jardins privés ou de parcs publics plus étendus qu’ailleurs, et aient besoin de plus de routes, d’autoroutes, d’aéroports et de voies ferrées pour se déplacer. Comme le documente l’INRA, la densité des agglomérations est plus faible dans les pays vastes et peu peuplés (Canada, Etats-Unis, Australie). Au total les écarts de mesure entre les deux méthodes sont considérables, la situation du taux d’artificialisation de la France étant excellente par rapport aux pays européens développés voisins.

 

Artificialisation

 

Taux national

Surface par personne

France/Pays-Bas

-59%

+62%

France/Allemagne

-41 %

+15%

France/Royaume-Uni

-34%

+56%

France/Italie

 +4%

+81%

France/Espagne

+100%

+57%

Note de lecture : chaque Français dispose de 15% de plus de sol artificialisé que chaque Allemand, mais la France est près de 2 fois moins artificialisée que l'Allemagne.  

L’utilisation de données biaisées conduit naturellement à conclure à une situation catastrophique et à prendre des mesures extrémistes qui vont pénaliser les Français et handicaper l'économie française.   

Loi climat et résilience

Les chiffres cités par la ministre sont aussi ceux qui ont été mis en avant auprès des 150 participants de la convention citoyenne pour le climat et les ont convaincus que la situation française est dramatique. La loi résultante de leurs débats impose une division par deux du rythme d'artificialisation d'ici 2030. 

Les conséquences d'une telle mesure

L'étude d'impact qui a été publiée en même temps que le projet de loi souligne que l'objectif "zéro artificialisation nette" existe depuis 2018 et la loi sur la biodiversité. Déjà dans les lois SRU, ALUR ou encore récemment ELAN, la sobriété foncière a été ré-affirmée dans les documents d'urbanisme.

Le texte de loi envisage donc une trajectoire de réduction de l'artificialisation des sols, mais propose enfin une définition moins extrémiste de ce concept : "Toutes les surfaces forestières, naturelles et agricoles (hors bâti agricole), comme les espaces récréatifs tels les parcs urbains, pourront être considérées comme non-artificialisées". On peut espérer que la majorité des jardins des particuliers et les espaces naturels ou paysagés des entreprises, administrations ou universités, seront rapidement considérés comme non-artificialisés. 

Mais la loi climat va un cran plus loin en affirmant un objectif chiffré de réduction de l'artificialisation, ce qui n'existe pas dans les traités et conventions internationaux ou européens. L'Allemagne, citée par l'étude d'impact, a certes posé un objectif chiffré de réduction de l'artificialisation (30 ha par jour en 2020, reporté en 2030 au lieu des 120 ha/jour constatés en 1998 ; avec un objectif de 0 en 2050) mais a semble-t-il rencontré des difficultés à le mettre en oeuvre et l'a déjà révisé. Mais surtout, l'Allemagne ne connaît pas la tension que connaît la France en matière de logement. Elle n'a pas non plus de retard à combler en matière de densité de son tissu industriel.

Le projet de loi évoque dans les impacts macro économiques que la lutte contre l'artificialisation peut rendre plus onéreuses les opérations d'aménagement et renchérir le foncier. Il ajoute de façon laconique "En limitant l’étalement urbain, elle peut aussi avoir un effet sur la construction et la réhabilitation en particulier de logements, dans des secteurs où la demande est importante." Mais le bénéfice attendu est supposé plus élevé en termes de lutte contre l'étalement urbain et d'amélioration du cadre de vie (transports, pollution). De même le rapport évoque la complexification pour la réalisation de nouvelles zones d'accueil des entreprises. L'impact sera également important pour les collectivités qui devront faire coincider les différents documents d'urbanisme et de planification en y intégrant ce nouvel objectif.

Conclusion

Tout se passe comme si la France refusait de tirer parti d’un de ses atouts majeurs : l’espace de ses 550.000 kilomètres carrés. La crise du logement se manifeste par une pénurie quantitative et qualitative (rapport Lemas), et des prix élevés dans les zones tendues. Partant du diagnostic erroné d’une France globalement sur-artificialisée, les remèdes proposés pour sortir de la pénurie de terrains à bâtir, de leur prix élevé et donc de la crise du logement, ne peuvent pas être efficaces et risquent au contraire de se traduire par des contraintes supplémentaires qui engendreront des coûts et des choix onéreux pour tous les Français.

Le rapport Lagleize reprend logiquement la plupart des mesures classiques déjà proposées en France et à l’étranger, souhaitables mais dont les effets limités sont sans commune mesure avec les besoins : surélever des bâtiments existants, construire sur les friches commerciales ou industrielles, rénover les centres des villes petites et moyennes en déshérence, autoriser la construction dans l’arrière-cour (ou le jardin) de maisons existantes, mobiliser les terrains publics, convertir des bureaux en logements, dissocier le foncier et le bâti (une mesure comptable qui ne crée pas un mètre carré de plus de foncier), limiter les locations meublées et touristiques, sortir de l’IFI les logements donnés en location, créer des observatoires du foncier… Des actions pouvant faciliter la construction de quelques milliers de logements par an, quand le besoin est de 400.000 à 500.000 nouveaux logements par an.       

En plus de ces propositions consensuelles, d’autres tendent à dissimuler le vrai prix du foncier, celui qui résulte de la confrontation de l’offre et de la demande. Soit en le fixant de façon administrative, soit en interdisant les ventes aux enchères, soit par des cessions obligées à des opérateurs privilégiés. Des procédés opaques, sources inévitables de passe-droits, de ressentiments et de mauvaise allocation de ressources dont le vrai montant resterait inconnu.  

Extrait des entretiens d’experts consultés par Jean-Luc Lagleize

  • Philippe Jarlot : MDH promotion :

On en conclut qu’il y a une crise du logement en France. Or, en étudiant d’autres pays européens, il est aisé d’en déduire que ce n’est pas une crise du logement que nous vivons en France, mais une crise de l’aménagement du territoire. Le prochain logement ne pourrait-il pas se demander comment éviter les zones tendues du logement en France ?

  • Henry Buzy, Management des services immobiliers 

Un diagnostic s’impose, la France n’a pas de problème de rareté foncière mais elle souffre de la rétention et de l’inaccessibilité économique des emprises à bâtir.

  • Jean-Marc Torrollion, FNAIM

L’hyper réglementation est génératrice de la pénurie, et toute forme de restriction d’usage crée un phénomène d’inflation.​