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Les licenciements économiques deviennent impossibles

face à une politique absolue de maintien des emplois, sinon des activités déficitaires !

Brutalement résumée, la décision Philips rendue par le Tribunal de Grande Instance de Chartres signifie qu'il est interdit au groupe néerlandais de cesser sa production largement déficitaire (1 million d'euros de pertes par mois) de téléviseurs LCD, seule activité de son usine de Dreux, parce que cette activité est regroupée dans un ensemble bénéficiaire « grand public » qui comprend des produits de rasage, de beauté et de bien-être ainsi que du matériel domestique. On suppose que si Philips faisait de mauvaises affaires en vendant ses rasoirs, elle aurait le droit de cesser sa production de téléviseurs …

Philips offrait pourtant aux 212 employés de Dreux des indemnités de 24 mois de salaire, plus un an de congé de reclassement … Mais ce n'est pas suffisant, et les employés exigent davantage, et pour le moment de continuer une activité dont Philips a décidé de se défaire complètement devant la concurrence asiatique, l'usine française étant la dernière d'Europe.
C'est la fin d'un long processus, puisqu'en 2003 l'entreprise de Dreux comptait 1.700 employés, chiffre ramené à 212 après plusieurs plans sociaux successifs, et qu'en 2007 la fabrication des téléviseurs plasma a cessé.

Du côté de Total, il n'y a aucune menace de licenciement, mais là aussi les syndicats exigent des promesses de maintien des raffineries pendant les cinq prochaines années, malgré la chute mondiale de la consommation du carburant essence.

Le processus d'interdiction des licenciements arrive maintenant quasiment à son terme. On savait déjà que la cause des licenciements économiques ne pouvait être considérée comme « réelle et sérieuse » qu'en présence de difficultés économiques. Si l'entreprise est membre d'un groupe c'est, d'après la Cour de cassation, au niveau de l'activité mondiale qu'il faut raisonner pour déterminer l'existence de ces difficultés, et en principe dans le cadre limité du secteur d'activité concerné. Mais ces dernières années la jurisprudence est devenue encore plus sévère.

- Ainsi, par un arrêt du 4 mars 2009, la Cour de cassation a jugé que l'employeur n'a pas apporté la preuve que l'activité (française) de sciage de bois de chêne était distincte de celle (conduite aux USA et en Grande-Bretagne) de négoce de bois et de matériaux de construction, ce qui a dû bien surprendre l'employeur en question. L'entreprise ne pouvait donc valablement licencier en France, et aurait dû en tout état de cause proposer un reclassement aux USA ou en Grande-Gretagne, quand bien même l'employé, dûment sollicité d'exprimer ses souhaits, avait déclaré « Cher [le département] uniquement » !

- Dans un autre arrêt du 30 septembre 2009, la filiale d'une société italienne, en prévision de très mauvaises perspectives, avait procédé en 2004 à une réorganisation entraînant des licenciements économiques. Malgré cela, la société avait été en perte en 2005, et en liquidation judiciaire l'année suivante. La Cour de cassation, pourtant saisie après la faillite, a refusé de reconnaître le caractère réel et sérieux de la cause du licenciement, faute d'avoir prouvé qu'au moment des faits les difficultés étaient « avérées ».

- Le cas Philips nous apprend maintenant que le secteur d'activité « grand public » est un seul et même secteur, même s'il comprend des produits aussi dissemblables que des rasoirs, des crèmes hydratantes et des téléviseurs.

Résumons-nous. Nous sommes parvenus en France à la fin d'un processus qui consacre l'obligation absolue de maintien des emplois.

- Dans le cas d'une entreprise isolée (arrêt du 30 septembre 2009), la réorganisation est impossible, car la justification des difficultés économiques nécessite en pratique que la société soit au bord du dépôt de bilan, dans la mesure où l'employeur doit apporter la preuve autrement impossible que les difficultés sont insurmontables. La bonne gestion de l'entreprise est interdite, bien que le droit commercial en fasse une obligation et que l'entrepreneur soit condamnable financièrement, voire pénalement, s'il poursuit son activité dans des conditions le menant à la ruine. Ici, c'est l'oseille ou la faillite.

- S'il s'agit d'un groupe, la notion de secteur d'activité étant pratiquement privée de sens (arrêt du 4 mars 2009 et cas Philips), l'employeur qui n'est pas en difficulté économique au niveau mondial est interdit de licenciement économique. Il se trouve devant les choix suivants : soit il maintient son activité déficitaire, soit il parvient à un accord avec ses salariés, aux conditions que ceux-ci pourront évidemment lui imposer, en vue, soit d'un licenciement soit d'un remplacement d'activité avec maintien des emplois.

Dans le cas de Total, on peut remarquer que même le remplacement d'activité sans licenciement est refusé par les salariés. Même s'il faut noter qu'il s'agit là seulement d'une revendication, il n'y a pas de raison de penser qu'un tribunal, s'il était saisi, donnerait une solution différente de celle consacrée dans le cas de Philips, car Total détient des participations dans 25 raffineries dans le monde et en exploite 12 (chiffres 2008) dans le cadre d'une activité « aval » qui n'est pas déficitaire. Christophe de Margerie, dont l'entreprise est engagée dans un puzzle mondial, a beau s'étonner des difficultés rencontrées en France pour adapter les structures de l'entreprise, et le gouvernement a beau penser qu'il suffisait de prévoir une reconversion du site, les syndicats réclament quant à eux le maintien de l'activité elle-même, et ils ont effectivement la jurisprudence avec eux, sûrement dans le cas de Total et moins évidemment dans celui de Philips [1].

La réalité est que, en tout cas à Dreux, les employés cherchent à contraindre Philips à reconvertir l'activité du site, plutôt qu'à maintenir une activité condamnée. Ce qui est en cause, c'est donc bien l'obligation de maintien des emplois dans toutes les circonstances. En d'autres termes, la revendication portée par l'extrême gauche, voire par une partie de la gauche [2], d'interdire des licenciements par une entreprise qui n'y est pas réellement contrainte par sa situation financière, est maintenant satisfaite. Elle l'est même au-delà de ce qui était souhaité, puisqu'il était demandé d'interdire les licenciements par des entreprises faisant des bénéfices, ce qui impliquait a contrario leur admissibilité en période de pertes, alors que dans le droit actuel la simple existence de pertes ne suffit pas à caractériser les difficultés économiques justifiant les licenciements.

La satisfaction de cette revendication a été aidée par une loi extrêmement restrictive, interprétée de façon encore plus sévère par des magistrats professionnels (en appel et devant la Cour de cassation) doctrinaires et ignorants des exigences entrepreneuriales (lire notamment nos articles sur la flexicurité et le licenciement économique).

Mais où est la victoire ? La loi ne gagne rien à se voiler la face devant la réalité. Tôt ou tard, et probablement très bientôt, il faudra bien que Dreux ferme, en tout cas dans son activité actuelle, et que les capacités des raffineries françaises soient adaptées. Entre-temps, les entreprises auront perdu leur faculté de réaction, et la position française est tellement excentrée par rapport à celle de ses voisins que la sortie de crise ne verra peut-être pas le retour des investissements étrangers porteurs d'emplois.

[1] Car l'usine de Dreux n'est pas adaptée pour autre chose que ce qu'elle fait actuellement, à savoir le montage de téléviseurs dont Philips a cessé mondialement la fabrication. La décision de référé du Tribunal de Chartres ne peut avoir qu'un effet à court terme.

[2] Ne venons-nous pas de voir aussi le député UMP Frédéric Lefebvre se déclarer solidaire de la CGT ?