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Les 35 heures et la triple peine des entreprises

Le sujet des 35 heures resurgit tout d'un coup comme un diable de sa boîte. On le croyait pourtant enterré, comme le souvenir d'une réforme âprement combattue, mais à laquelle il avait fallu bon gré mal gré s'acclimater. Et pourtant, voici que le récent sondage Opinionway pour Challenges et la banque Palatine met sa suppression nettement en première ligne, avec 56% des sondés, des souhaits des PME (entre 15 et 500 millions de chiffre d'affaires). Le sujet est aussi abordé à droite par François Fillon. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault lui-même a déclaré qu'il n'y avait pas de « sujet tabou ». Mais, malgré toutes ces prises de position, le retour aux 39 heures n'est guère envisageable. Ce qui n'empêche pas les entreprises d'être victimes d'une cascade de peines financières découlant des 35 heures, ce qui rend indispensable que le gouvernement ne renonce pas au choc de compétitivité dont il est actuellement tellement question, et réaménage dans toute la mesure du possible le régime des heures supplémentaires.

Le régime fiscal favorable des heures supplémentaires, que le gouvernement vient de modifier pour les re-fiscaliser et les soumettre de nouveau aux cotisations sociales, est bien entendu complètement lié à celui des 35 heures puisque le législateur de 2007 avait pensé y trouver le moyen de se débarrasser de ces 35 heures. Moyen malheureusement aussi discutable que le régime qu'il était censé corriger, ne revenons pas sur ce point.

Ce qui est frappant, c'est ce à quoi va aboutir la suppression du régime de la loi TEPA. Disons tout de suite que cette suppression concerne au premier chef les TPE et les PME. Nombre d'entre elles ont en effet gardé une durée hebdomadaire de 39 heures, en payant les heures supplémentaires 25% plus cher (sauf accord professionnel). Pour ces entreprises, la fin du régime est extrêmement préjudiciable. Non pas tant par la disparition de la déduction forfaitaire sur les charges patronales, qui reste modeste [1], qu'en raison des répercussions sur elles de la perte subie par les salariés (3,8 milliards en 2010). Il ne faut pas oublier que la solution de l'embauche de salariés supplémentaires est très difficilement disponible dès lors que la perte de 11% du temps de travail (correspondant à la différence entre 39 et 35 heures) ne justifie pas une embauche supplémentaire car les salariés ne sont pas polyvalents. C'est encore plus évident lorsque les salariés travaillent sur des machines individuelles. Plus généralement, nombre de coûts fixes (support matériel, outillage, formation etc...) sont indépendants de la durée du travail et leur amortissement est plus difficile avec une durée inférieure du travail. La solution des heures supplémentaires est alors la seule praticable. Les salariés ressentent très mal la perte importante qu'ils subissent, et les employeurs se trouvent confrontés à une détérioration du climat social et à la démotivation des salariés, ce qui les contraint à compenser eux-mêmes cette perte par des primes ou des hausses de salaire, quand ils peuvent le faire. Cette situation permet de comprendre le désarroi actuel des TPE/PME qui se traduit dans le sondage que nous avons signalé. Par opposition, les grandes entreprises, avec un grand volant de salariés et diverses solutions comme la RTT ou l'annualisation du temps de travail, ont pu faire face à la diminution du temps de travail.

Beaucoup de TPE/PME attendent donc actuellement avec une particulière anxiété de savoir comment le gouvernement va pouvoir répondre à leur revendication portant sur l'allègement de leurs charges. Après avoir pour le moment « encaissé » depuis deux mois avec leurs salariés la charge complémentaire qu'entraîne la suppression du régime de la loi TEPA, voilà que le gouvernement paraît vouloir exclure tout « choc » de compétitivité concernant le coût du travail… motif pris de l'impossibilité de diminuer davantage le pouvoir d'achat des Français.

On peut comprendre que les impératifs budgétaires imposent certaines augmentations de la fiscalité. Mais pas que le gouvernement bloque au détriment des entreprises toute mesure d'allègement de charges au nom d'une mesure fiscale dont ces entreprises sont précisément les victimes. C'est au total une triple peine que se voient infliger les entreprises : elles se sont d'abord vues contraintes durant la dernière décennie de supporter avec l'instauration des 35 heures l'augmentation de leurs coûts de production (rappelons que la vingtaine de milliards d'exonérations sur les bas salaires préexistait à l'instauration des 35 heures et n'a pas pour objet de compenser la charge induite par ces 35 heures) ; elles doivent maintenant subir elles-mêmes les conséquences de la suppression de la loi TEPA et d'une façon ou d'une autre compenser la perte subie par leurs salariés. Enfin, elles se verraient privées de la réduction du coût du travail au profit du pouvoir d'achat de ces mêmes salariés qui ont été les bénéficiaires des 35 heures. Au final, on leur demande en même temps d'être appelées à combler le déficit public par de nouveaux impôts et d'être les garants du pouvoir d'achat des salariés !

Cette situation n'est ni acceptable, ni « juste », alors que les salariés se retrouvent quant à eux dans la même situation qu'au moment de l'instauration des 35 heures, avec en outre l'avantage d'un supplément de salaire atteignant maintenant 25% pour toute heure supplémentaire.

Durée légale du travail et coût du travail ne sont que les deux faces du même problème. La durée légale n'est en effet pas autre chose que le seuil à partir duquel l'employeur doit payer des heures supplémentaires au taux majoré. Si le gouvernement exclut de diminuer les charges patronales par un basculement sur la TVA et/ou la CSG, on pourrait penser à aboutir au même résultat– en partie- par un retour aux 39 heures. Malheureusement cette solution n'est pas sérieusement envisageable.

Il est impossible d'imaginer que ce retour signifie travailler 39 heures payées 35. D'ailleurs, une certaine modération salariale pendant la dernière décennie a fait que les 35 heures n'ont pas été payées 39 à l'origine. Impossible aussi de bousculer à nouveau tous les accords d'entreprise qui ont permis d'absorber le choc des 35 heures et sur lesquels nombre d'entreprises ne souhaitent pas revenir. Impossible en général, sauf à détériorer gravement le climat social, de préconiser toute solution qui se traduirait par une perte substantielle de la rémunération des salariés, ce à quoi mènerait inéluctablement le retour aux 39 heures. Il n'empêche que dans les TPE/PME et particulièrement dans certains secteurs comme la restauration, les 35 heures constituent toujours un sujet bien qu'elles aient déjà plus de dix ans d'âge.

Les employeurs sont pris au piège. C'est pourquoi il est absolument indispensable que le gouvernement corrige les effets de la triple peine qu'il leur inflige.
- Au premier chef, ne pas renoncer à l'amélioration de la compétitivité des entreprises par la diminution du coût du travail et le transfert des charges répondant à des impératifs de solidarité nationale. Il n'existe à la vérité par d'autres sources de financement que la TVA ou la CSG, et préférablement la première.
- Actuellement les heures supplémentaires sont rémunérées à un taux majoré de 25% (sauf accord d'entreprise, auquel cas la majoration est au minimum de 10%). Il n'est pas justifié de conserver une telle majoration si l'on supprime les exonérations. Une diminution de cette majoration pourrait être envisagée, sans pour autant qu'elle se traduise par une trop forte baisse des rémunérations qui viendrait tout aussi sûrement détériorer le climat social.
- Alternativement, ou en combinaison, augmenter très fortement le seuil, actuellement fixé à 20 salariés, en-dessous duquel les employeurs bénéficient de la déduction forfaitaire patronale. Le nouveau seuil pourrait être fixé à 250 salariés.
- Augmenter la liberté de négociation à l'intérieur des entreprises afin de permettre davantage de flexibilité, sur ce sujet comme sur d'autres, en autorisant que ces accords puissent déroger aux conventions collectives, aux accords de branche et à la loi.

[1] En général 0,50 € par heure supplémentaire, les entreprises de moins de 20 salariés conservant le bénéfice de leur déduction de 1,50 € par heure. Au total pour la France, l'avantage pour les entreprises ne se monte qu'à 700 millions d'euros.