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Le succès du dialogue social chez Michelin, source d’espoir ?

Le dialogue social est-il si mauvais en France, et n’aboutit-il jamais à des accords d’entreprise satisfaisants pour l’ensemble des partenaires sociaux ? A l’inverse de ce que l’opposition actuelle à la loi travail (largement aiguillonnée par les syndicats pour des raisons de rivalité qui ne devraient pas avoir droit de cité) prétend nous faire croire, des exemples comme ceux de Michelin sont de nature à redonner espoir.

Le gérant actuel de Michelin, Jean Dominique Sénard, qui s’est vu décerner le prix du stratège 2015 (remis par Emmanuel Macron), explique dans Les Echos[1] sa grande satisfaction d’avoir pu négocier plusieurs accords portant sur l’organisation du travail (voir encadré ci-dessous), ainsi que sa conviction profonde que la solution consiste à passer des accords dérogatoires au niveau de l’entreprise. Sa méthode a été d’utiliser le referendum d’entreprise couplé avec une intense préparation et un dialogue social ayant mobilisé pendant plusieurs mois de nombreuses équipes. Il est piquant de constater qu’il s’est appuyé non seulement sur la CFDT et la CFE-CGC, mais aussi sur Sud, le même syndicat qui actuellement adopte une attitude extrémiste en boquant tout accord dans le conflit SNCF. En revanche, chez Michelin, c’est la CGT qui a adopté une attitude extrémiste en voulant notamment faire valoir son droit d’opposition dans l’usine de La Roche sur Yon, mais que FO a refusé de s’y joindre, interdisant ainsi l’exercice de ce droit qui nécessite une majorité de 50% d’opposants.

L’attitude de Sud a dans ce cas été marquée par un pragmatisme nécessité par la reconnaissance du marché international extrêmement concurrentiel dans lequel Michelin se trouve plongé. Ainsi donc, on voit que les mêmes syndicats peuvent adopter des attitudes différentes selon les cas, et que la raison de l’extrémisme syndical dans le conflit SNCF provient de ce que cette dernière n’est pas (encore) dans une situation de concurrence pour ce qui concerne le trafic voyageurs. Par la même occasion on voit l’importance de la concurrence imposée par le traité CE comme moyen de ramener à la raison des syndicats qui autrement bloquent toute réforme avec les conséquences catastrophiques que l’on connaît sur les finances d’une entreprise comme la SNCF.

Michelin et la pratique du referendum d’entreprise.

Michelin a une longue expérience des accords d’entreprise dans le domaine de l’organisation du travail, expérience qui s’est développée à partir de l’instauration des 35 heures.

- Accord initial sur les 35 heures. Après 14 mois d’échec des négociations débutées en janvier 2000, et malgré trois recours judiciaires intentés par la CGT Michelin, un referendum étendu à l’ensemble des 27000 salariés du groupe approuve le 3 avril 2001 la proposition de la direction[2]. Ce referendum était une grande première dans les entreprises. La participation a été de 95% des salariés, qui ont approuvé à 60%, avec toutefois un vote minoritaire chez les salariés postés. « On préfère encore que rien ne change ! Au moins, on sait ce qu’on a aujourd’hui », argumentait (déjà) la CGT pour expliquer son refus du referendum et ses recours judiciaires. 

- 14 années plus tard, le 19 mai 2015, Michelin fait approuver un nouveau referendum portant sur un « pacte d’avenir » à l’usine de Roanne destiné à éviter une restructuration en contrepartie d’une plus grande flexibilité du travail. Ce referendum, dont les syndicats disent avoir eu l’initiative, a été précédé de six mois de discussions par six groupes de travail ayant mobilisé 70 personnes, et a été approuvé par 95% des salariés[3]. Trois syndicats ont signé l’accord : CFDT, Sud et CFE-CGC. Le délégué Sud qualifie de « bon accord » ce pacte, en notant que le niveau de salaire et les 35 heures sont conservés.

- En janvier 2016, un referendum semblablement orienté vers la flexibilité et organisé à l’usine de La Roche sur Yon, approuve à plus de 60% un plan d’investissement, et dans la foulée l’accord est signé par la CFE-CGC et Sud (représentant plus de 30% des salariés), qui prévoit 50 millions d’investissements, une centaine d’emplois créés, et en contrepartie une plus grande flexibilité avec le passage en 4x8 des personnels de production. Cette fois, FO et la CGT s’opposent, mais FO refuse toutefois de suivre la CGT dans l’exercice d’un droit d’opposition (réservé aux syndicats représentant plus de 50% des salariés). Le délégué Sud constate que « c’est le marché qui veut ça » et qu’ « en Europe, toutes les usines de pneus poids lourds, comme La Roche sur Yon, sont en 4x8 ».

On peut préciser que deux mois avant ce referendum, en novembre 2015, la CGT avait fustigé la direction de Michelin, en prétendant qu’ « on n’arrive pas à savoir où ils veulent vraiment aller » et en ajoutant qu’ « il suffit de lire la presse pour voir que nos concurrents comme Goodyear, Pirelli, Continental, sont dans une stratégie de conquête du marché du poids lourd, mais pas nous ». Une référence plus qu’osée, lorsque l’on se rappelle que c’est la même CGT qui est à l’origine du sabotage de la reprise de l’usine française Goodyear d’Amiens.

Les succès de Jean-Dominique Sénard ne sont pas les seuls, puisque des progrès similaires ont pu être accomplis dans le domaine de la flexibilité du travail au sein de Renault et de Peugeot. Et la signature par la quasi-totalité des salariés de Smart, qui concerne un accord temporaire « à l’allemande » sur le temps de travail,  représente, n’en déplaise à la CGT, une reconnaissance de la nécessité d’une plus grande flexibilité que celle permise par les textes légaux actuels.

Il faut bien sûr se réjouir des succès obtenus par le gérant de Michelin et d’autres dans la gestion du dialogue social. Mais aussi souligner qu’il s’agit du type même des entreprises totalement engagées dans la concurrence internationale. En même temps cependant, pourquoi ce qui a été possible pour Michelin ne l’a pas été pour l’établissement de Goodyear en France ?

La loi travail reste quant à elle en-deçà de l’évolution nécessaire. Jean-Dominique Sénard regrettait dans l’interview cité, que le domaine des accords d’entreprise ne concerne que l’organisation du travail, et ne s’étende pas aux « sujets qui fâchent, comme le contrat de travail, la rémunération, les heures supplémentaires ». Sur ce point, le projet de loi travail, même s’il aboutit, n’apporte de changement qu'à la toute petite marge, en élargissant seulement le droit de baisser à 10% au lieu de 25% la compensation obligatoire des heures supplémentaires, et encore avec l'accord requis de la majorité des syndicats représentatifs, sauf referendum qui n'est pas à la disposition de l'employeur. Il faudra remettre la loi sur le métier.


[1] Livraison du 7 juin.

[2] Prévoyant la mise en place d'une réduction du temps de travail pouvant atteindre quinze jours, avec 4% d'augmentation de salaire en 2001, le maintien du pouvoir d'achat sur 2002 et 2003 et une prime de 1% dès la signature de l'accord. Enfin, 1.000 embauches en CDI sont prévues sur dix-huit mois.

[3] Les conditions en ont été un effectif ramené de 830 à 720 emplois (sans licenciements), le retour à une organisation à 5x8 (5 équipes qui se succèdent 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, 6 jours supplémentaires de travail par an (28 dimanche travaillés par an), une flexibilité payée par abondement de l’employeur, 2 millions investis pour améliorer la qualité de vie au travail et 80 millions investis dans de nouvelles machines avec la réorientation de la production vers le très haut de gamme. « Il faut savoir faire quelques sacrifices pour son boulot », dit un salarié.