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Le Smic, un mauvais instrument de lutte contre les inégalités

Le rapport annuel des experts sur le smic n’apporte guère de nouveaux points. On ne peut pas non plus, d’un strict point de vue économique, en discuter les conclusions qui préconisent, comme chaque année, l’absence de coup de pouce et qui ajoutent le souhait d’en terminer avec la revalorisation automatique. Mais on peut quand même critiquer l’extrême prudence traditionnelle de leur propos, concernant la flexibilité que permet la jurisprudence en matière de différences dans la fixation géographique des salaires.

Comme chaque année, le rituel du Smic revient sur le devant de la scène. Et comme chaque année, se pose la question du « coup de pouce » que le gouvernement a la liberté de décider au-delà de la revalorisation automatique légale. Le dernier coup de pouce date de juillet 2012 (cadeau d’anniversaire de François Hollande), il avait atteint 0,6%, ce qui avait porté la revalorisation du smic à 2% au total. Et comme chaque année depuis, le rapport des experts chargés de conseiller le gouvernement préconise de ne pas accorder de coup de pouce. Il ne se contente pas cette année de cette préconisation, mais développe toute une argumentation pour expliquer que le smic n’est efficace ni pour favoriser l’emploi, ni pour réduire la pauvreté[1], et pour suggérer de mettre fin à l’indexation automatique du smic.

Aussitôt la planète France se réenflamme, chacun reprenant ses positions obligées, de façon aussi automatique que le mécanisme de revalorisation du smic : « dynamitage » pendant que « les milliardaires se gavent » (CGT), accentuation du gouvernement des riches (FO), désolation chez les Insoumis etc., et même à droite on demande d’« arrêter la surenchère libérale ».

Un tel scénario est voué à se répéter à l’infini, aussi longtemps que chaque bord évoquera le smic en lui demandant de répondre à des objectifs différents. A l’objectif d’efficacité économique auquel s’adresse le rapport des experts, répond la conception du smic comme un instrument à visée exclusivement sociale permettant de réduire les inégalités et la pauvreté. Dans cette lignée, d’origine marxiste, on ne peut pas s’étonner de voir la CGT continuer à demander la fixation du smic brut à 1.800 euros par mois (il est à 1.480 euros actuellement, et la revalorisation automatique ne l’augmenterait que d’une quinzaine d’euros), et ce, sans se préoccuper de la faisabilité économique de la mesure. Entre les deux conceptions, seul un dialogue de sourds peut s’instituer.

Les considérations économiques sur lesquelles les experts consultés se prononcent ont cependant leur prolongement humain, à savoir qu’un smic trop élevé est inefficace, et donc ne permet ni de favoriser les emplois, ni de lutter contre la pauvreté. A ce sujet, Gilbert Cette, animateur du groupe des experts, rappelle qu’il n’y a pas de corrélation nécessaire entre smic et pauvreté. D’un côté seulement 23% des bénéficiaires de la revalorisation du smic sont des ménages pauvres. Ceci indique bien que la pauvreté, dont les critères prennent en référence le ménage et non pas l’individu, se situe plus souvent ailleurs que dans le travail, c'est-à-dire dans  l’absence de travail ou dans le travail insuffisant, et encore dans les charges de famille. De l’autre côté il y a, et cette fois ce sont les charges de famille qui sont en cause, nombre de travailleurs au smic qui sont dans la pauvreté (fixée conventionnellement à 60% du revenu médian). Et on ne peut qu’approuver les experts de retenir qu’il existe d’autres instruments plus efficaces que le smic pour inciter au travail, comme la prime d’activité, ou pour assurer un revenu correspondant à l’importance des charges de famille, et il s’agit ici des prestations familiales qui sont presque toutes accordées sous conditions de ressources. Au passage, on évoquera la situation des pays étrangers, qui, comme nos deux grands voisins britannique et allemand, sont plus généreux que nous pour accorder aides familiales et aides au logement.

Le point de savoir si le smic est un obstacle à l’emploi n’est quant à lui pas disputé : salaires trop chers par rapport à la productivité des non-qualifiés, et ce malgré la forte réduction des cotisations patronales (que nos concurrents étrangers pratiquent aussi…), rigidité des salaires qui appauvrit la négociation collective au niveau des branches, aplatissement de l’échelle des salaires… Les arguments des experts ne sont pas discutables de ce point de vue.

Rationnels, les experts le sont. Mais on peut aussi les trouver bien prudents ! A propos de la flexibilité du smic en fonction du coût de la vie selon les régions – comme d’ailleurs en fonction des âges de la vie, ils s’empressent de s’interdire toute réouverture des débats, essentiellement en raison des controverses auxquelles ces questions conduisent. On se permettra de trouver le motif un peu court., et de saisir l’occasion pour faire part d’une importante avancée provenant – une fois n’est pas coutume, de la Cour de cassation. Celle-ci a en effet jugé le 14 septembre 2016, que le principe « à travail égal, salaire égal » n’interdisait pas des différenciations dans les salaires, à condition que celles-ci soient dûment justifiées. La Cour de cassation a ainsi approuvé la Cour d’appel d’avoir estimé que Renault pouvait proposer à Douai des salaires 13% inférieurs à ce qu’ils sont à Paris, ceci étant justifié par les différences de coût de la vie entre les deux régions.

Voici un argument que l’on peut opposer à la trop grande prudence des experts qui estiment impossible en pratique un smic non uniforme sur le territoire. Renault l’a bien fait, et il n’est pas le seul. Non, il n’y a aucune impossibilité, tout ceci n’est qu’un combat idéologique.


[1] Les experts prennent bien soin de rappeler qu’ils s’expriment en considération de ces deux seuls critères, en laissant le gouvernement se décider sur l’ « opportunité » d’un coup de pouce …