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Le constat choc et les propositions floues de la Cour des comptes sur l’avenir de la Sécurité sociale

La Cour des comptes a publié début octobre son rapport sur la Sécurité sociale. La teneur de ce rapport pourrait se résumer de la façon suivante : choc sur le constat, flou sur les propositions. Alors que les finances sociales ont été fortement impactées par la crise du Covid, bien plus encore que pendant la crise de 2008-2010, avec un déficit du régime général (+FSV) de 34 Mds € en 2021 et qui devrait atteindre encore 21 Mds € en 2022, la Cour des comptes ne fait que peu de propositions. Elle renvoie à de précédents rapports pour ce qui est des dysfonctionnements constatés dans nos régimes de retraite ou de santé, et elle fait preuve d'une extrême prudence sur les réformes à mener.

Sur vingt ans, entre 2000 et 2019, l’augmentation de la part des dépenses publiques dans le PIB (+ 4,5 points) s’explique par l’évolution des dépenses sociales : + 2,8 points pour les dépenses de retraite et + 1,7 point pour les dépenses publiques de santé. Les finances sociales constituent donc la priorité du redressement des comptes publics, les dépenses sociales[1] représentent en effet plus de la moitié des dépenses publiques.

Dans le détail, les chiffres donnent le vertige pour 2020 

Le régime général et le FSV ont présenté un déficit de 38,7 Mds € en 2020 (39,7 Mds pour tous les régimes obligatoires de base +FSV, en raison du déficit de la CNRACL de 1,5 Md). En 2010, au plus fort de la crise il était de 29,6 Mds € et était revenu à 1,9 Md € en 2019. Un retour à l’équilibre qui s’est donc étalé sur 9 exercices alors que le déficit était largement inférieur à celui constaté en 2020.

En cause, une chute de 11,8 Mds des recettes (prélèvements sociaux) en 2020 par rapport à 2019. A noter que cette situation aurait pu être encore plus défavorable puisque la branche vieillesse a reçu un versement complémentaire de 5 Mds € (soulte EDF).

Côté dépenses c'est une hausse de 24,9 Mds € constatée dont 22,2 Mds € de dépenses d'assurance maladie. Plus précisément dans le champ des dépenses visées par l'Ondam ce sont les dépenses des établissements de santé qui ont le plus dérapé + 7 Mds mais en proportion les autres prises en charge qui couvrent notamment les dotations à Santé Publique France ont progressé de 250% (de 2 à 7 Mds €) !

La loi d'août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie a prévu l'allongement de la durée de vie de la Cades de 2024 à 2033 et l’amortissement de 136 Md€ de dettes. Cela comprend la reprise des déficits cumulés à fin 2019 des déficits cumulés des branches maladie (16,3 Md€), FSV (9,9 Md€), vieillesse pour les non-salariés agricoles (3,6 Md€), la CNRACL (1,3 Md€). Pour 92 Md€, il s'agit d'une reprise des déficits cumulés prévisionnels des exercices 2020 à 2023. Enfin pour 13 Md€, il s'agit de la couverture d'un tiers de la dette des hôpitaux à fin 2019. La Cour tire la sonnette d'alarme : il est quasiment certain que le plafond de 92 Md€ d’autorisation de reprise de déficits par la Cades au titre des exercices 2020 à 2023 sera dépassé d'ici 2023.

Pour 2021, la situation n'est guère meilleure 

Le régime général et le FSV seront encore en déficit de 34,6 Mds en 2021. Les recettes seraient toutefois meilleures qu'anticipé, en hausse de +31 Mds par rapport à 2020. Côté dépenses c'est le double effet "Ségur+crise sanitaire" comme le dit la Cour qui plombe les comptes : les dépenses reculent certes de 8 Mds par rapport à 2020 mais elles s'établissent encore à +14,7 Mds par rapport à 2019. Côté crise sanitaire, la Commission des comptes de la Sécurité sociale a calculé 14,8 Mds de dépenses liées, dont 4,7 Mds de dépenses de vaccination, 6,2 milliards de dépenses de tests. Pour le Ségur de la santé, la Cour comptabilise 7,9 Mds de dépenses supplémentaires au titre de 2021[2]. Le déficit s'expliquerait donc par des dépenses d'assurance maladie supplémentaires non anticipées malgré de meilleures recettes. Entre 2019 et 2021, la dette supplémentaire portée par la Cades aura bondi de 51 Mds€.

Les perspectives pour 2022 

Le déficit du régime général+FSV se réduirait à 21,6 Mds € (22,6 pour l'ensemble des régimes de base, même si en incluant la Cades, on parvient par un effet d'optique à un rééquilibrage des comptes). Ce n'est qu'à partir de 2024, que la Cour prévoit un retour de la croissance et de la masse salariale proche de l’avant-crise sanitaire. Cela se traduirait par une stabilisation autour de 13 Mds € de déficit (15 Mds tous régimes) à partir de 2024.

Pour la Cour, le redressement des comptes sociaux doit passer par une maîtrise des dépenses. Elle rappelle qu'après la crise de 2009, le redressement était passé par une augmentation des prélèvements, une voie qui n'est plus exploitable, étant donné le poids des prélèvements obligatoires en France. La Cour insiste également sur le fait que les risques sociaux n'ont pas vocation à être financés par de la dette, les prestations sociales ne constituant pas un investissement sur l'avenir.

Par ailleurs, des transferts éventuels de dettes de la sécurité sociale à l’État, ou de recettes de l’État ou de la Cades à la Sécurité sociale peuvent améliorer les résultats annuels, mais seraient sans effet sur les soldes des administrations publiques dans leur ensemble. Et ils ne peuvent se concevoir comme une dispense de la sécurité sociale à participer à l’effort global de redressement des finances publiques.

Les pouvoirs publics sont donc au pied du mur et des aménagements à la marge ne seront pas suffisants pour redresser les comptes. C'est donc à des réformes d'ampleur qu'il faut s'atteler.

Retraites, Santé : la Cour devrait faire preuve de "radicalité"

Concernant les retraites, la Cour indique qu'une fois la crise passée, de nouvelles adaptations seront indispensables pour tenir compte notamment des évolutions démographiques et de l’allongement de la durée de la vie.  Des recommandations sur les retraites déjà formulées à l'occasion du rapport "une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise" remis au Premier ministre. Pourtant, à ce moment (juin 2021), la Cour s'était montrée relativement prudente : 

Un relèvement de l’âge de la retraite devrait s’accompagner d’actions impliquant les partenaires sociaux et les entreprises elles-mêmes, visant à favoriser le maintien dans l’emploi de salariés qui seraient partis plus tôt en retraite à législation inchangée. En effet, en 2018, seuls 63 % des nouveaux retraités et 52% des nouvelles retraitées avaient une activité professionnelle au moment de leur départ en retraite ; les autres percevaient d’autres revenus de remplacement (allocation chômage, pension d’invalidité ou revenu de remplacement) ou étaient sans revenus connus.

Dans le précédent rapport sur la loi de financement de la Sécurité sociale 2020, la Cour émettait quelques réserves sur le bénéfice d'un report de l'âge :

Les réformes menées en France depuis 1993 dans le domaine de la retraite ont conduit à freiner la progression des dépenses à court et à long terme. Le passage à l’indexation sur les prix et non plus sur les salaires, à la fois des salaires portés aux comptes et des pensions, a conduit aux économies les plus importantes : plus de 40 % des effets des réformes en 2019. Les mesures visant à rééquilibrer les durées d’activité et de retraite en augmentant les âges de départ à la retraite et l’emploi ont eu des effets de moindre ampleur. 

Quant à la convergence des retraites public-privé, dans un autre rapport, la Cour s'était montrée plutôt méfiante :

Les scénarios de réformes structurelles modifiant les règles d’affiliation des fonctionnaires sont les plus ambitieux en termes d’équité entre régimes, mais ils auraient un impact particulièrement marqué sur le niveau de pension de certaines catégories de fonctionnaires. Ils apparaissent techniquement complexes à mettre en œuvre et pourraient faire peser, durant une période de transition plus ou moins longue, des charges très lourdes sur les finances publiques. 

Autant de bémols alors que le Gouvernement aurait plutôt besoin d'une feuille de route des différentes étapes d'une réforme qui n'a que trop tardée. La Cour montre bien que la France se situe en matière de retraites en dessous des curseurs observés ailleurs en Europe :

Âge d’ouverture des droits à retraite au 1er janvier 2021 et à terme

Par ailleurs, ces remarques négligent les avancées considérables qui ont été réalisées avec la mise en place du répertoire de gestion des carrières uniques qui va permettre une meilleure connaissance des trajectoires professionnelles et donc de l'impact des mesures de rapprochement public/privé.

Cependant elle en conclut qu'une "reprise de la réforme du système des retraites ou un ajustement des paramètres d’ouverture des droits ou de calcul de la pension nécessiteraient une expertise renforcée pour en faire partager les enjeux, une concertation approfondie pour en faire comprendre les objectifs et un calendrier de mise en œuvre suffisamment étalé pour en faciliter l’acceptation et permettre les adaptations nécessaires dans les entreprises". Une précaution incompatible avec l'urgence de la situation décrite en introduction.

Santé : les solutions de la Cour des comptes marginalise le rôle des complémentaires santé au profit de la CNAM

S'agissant de la santé, la Cour renvoie fréquemment vers de précédents rapports pour rappeler l'antériorité de son diagnostic.

Elle rappelle que le retour à l'équilibre des comptes est un impératif et que cela passe d'abord par la sortie du mode gestion de crise. Deux recommandations permettraient déjà une meilleure connaissance et gouvernance de la dépense d'assurance maladie : il s'agit de la révision de la loi de financement de la Sécurité sociale dont les contours sont imprécis et une révision de l'Ondam sur une base pluri-annuelle. Dans le rapport sur l'avenir des finances publiques, la Cour allait plus loin en recommandant de fixer une norme de dépense pour une progression des dépenses maladie qui restent inférieures ou égales à la croissance du PIB. Elle appelle ensuite à mettre le holà sur différentes dépenses qui se sont emballées avec la crise sanitaire, notamment la télémédecine qui ne fait pas suffisamment l'objet de contrôle ou les dépenses de biologie médicale (tests Covid).

Elle recommande enfin de relancer les chantiers de réforme et de citer plusieurs sujets passés à l'étude dans cet opus : les soins de suite, la dématérialisation des prescriptions médicales. Des propositions qui font écho aux précédents rapports de la Cour qui depuis de nombreuses années appelaient déjà à exploiter les gisements d'économies au sein des dépenses de santé et améliorer la qualité et la pertinence des soins sur des thèmes aussi variés que le coût de distribution des médicaments, les transports programmés dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux, la politique des greffes, le virage ambulatoire du système de santé, la lutte contre les maladies cardio-neurovasculaires, la médecine libérale de spécialité, etc. Mais cette approche thème par thème ne permet pas clairement de voir comment redresser l'ensemble du système de santé.

Il faut pour cela assurer un pilotage plus efficace : c'est la question centrale sur laquelle la Cour ne formule pas de propositions choc. Une proposition timide de déconcentration, plutôt que de décentralisation, avait bien été avancée en 2017 pour confier plus de rôles aux ARS et pour un Ondam régionalisé. Une proposition qui ne figure plus dans le rapport sur l'avenir des finances publiques. Quant au partage des rôles entre assurance maladie obligatoire et assurance complémentaire, le rapport de juin 2021 sur les complémentaires santé critique leur peu d'efficience. C'est pour cette raison qu'il envisage de cantonner les complémentaires sur certains risques (dépassement d'honoraires, dentaire, optique) tout en laissant la CNAM responsable des dépenses d'hospitalisation. Une proposition qui se traduirait par une marginalisation des complémentaires santé que l'on retrouve dans le projet de Grande Sécu. Cette évolution de notre système de santé qui mènerait vers une plus forte étatisation. Pas sûr que ce soit une attente des Français ni qu'une telle transformation permettrait une meilleure maîtrise des dépenses. 


[1] Portées par les administrations de Sécurité sociale, ce qui n'inclue pas les dépenses sociales portées par les collectivités locales

[2] Dont 6,3 Md€ au titre de la revalorisation et la transformation des métiers (pilier 1), en plus de 1,4 Md€ en 2020, 1,3 Md€ consacrés au financement d’investissements physiques dans les établissements de santé et du rattrapage numérique dans les domaines sanitaire et médico-social (pilier 2) et 0,3 Md€ pour la fédération des acteurs de santé dans les territoires (pilier 4). Par ailleurs, 0,5 Md€ du pilier 2 sont prévus pour le financement d’investissements dans les établissements médico-sociaux, hors périmètre de l’Ondam en 2021.