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L'aide sociale selon la Constitution allemande

Les médias se sont fait récemment l'écho de la décision rendue par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui déclare contraire à la Constitution allemande le mode de calcul de l'aide sociale. Ce mode a été fixé par application de la loi Hartz IV passée par le gouvernement Schröder en 2004.

Cette décision a donné lieu, tout au moins en France, à des résumés qui risquent d'en trahir la signification. Il ne faudrait pas en effet en tirer la conclusion que la loi Hartz IV, qui a considérablement réduit les droits des chômeurs et l'aide sociale, serait déclarée illégale pour cause d'insuffisance de minima sociaux. La Cour a voulu surtout imposer une méthode de détermination de cette aide, méthode dont la France pourrait utilement s'inspirer.

La loi Hartz IV

Cette loi accorde une allocation de fin de droits perçue par les chômeurs de longue durée, allocation qui a été fusionnée avec l'aide sociale au-delà d'un an au chômage. Parallèlement, la durée d'indemnisation du chômage a été réduite de 32 mois à 12 mois.

Quelque 6,7 millions de personnes, dont 1,7 million d'enfants de moins de 15 ans, vivent aujourd'hui en Allemagne de l'allocation Hartz IV : 345 euros par adulte et par mois, 311 euros (soit 90%) pour la seconde personne du couple, 207 € (60%) par enfant jusqu'à 14 ans et 276 euros par enfant au-delà de 14 ans, auxquels s'ajoute la prise en charge du loyer et des frais de chauffage.

Depuis l'origine, les professionnels du social s'indignent de la précarité dans laquelle vivent les familles bénéficiaires de Hartz IV et du fait que Hartz IV ne prend pas en compte les besoins spécifiques des enfants (couches, fournitures scolaires, vêtements en période de croissance…), ce qui a motivé le recours judiciaire ayant récemment abouti à la décision de la Cour constitutionnelle.

En France, l'équivalent le plus proche serait le RMI, devenu le RSA, dont les montants sont les suivants en 2010 : 460 € pour une personne seule sans aucun travail et sans aide au logement, 690 € (soit 50% de plus) s'il y a un enfant ou un autre adulte au foyer (788 € si l'enfant à moins de trois ans). Toutefois, la comparaison n'est pas vraiment significative dans la mesure où seulement environ 1,5 million de foyers perçoivent le RSA actuellement, ce qui correspond certainement à une couverture de la population inférieure à celle procurée par l'allocation Hartz IV.

La Loi Fondamentale allemande garantit à chacun le droit à un minimum de moyens « en ligne avec la dignité de la personne humaine », ce que la Cour interprète comme les « conditions matérielles indispensables à l'existence physique de la personne et à sa participation minimale à la vie sociale, culturelle et politique ».
La question était donc de savoir si les montants de l'aide définie par la loi Hartz IV (voir encadré) sont suffisants pour assurer le secours minimum prévu par la Constitution.
En substance, la Cour n'a pas tranché ce point mais a déclaré qu'elle n'était pas en mesure de le faire en raison de l'estimation littéralement « pifométrique » des besoins auxquels la loi est censée subvenir. La Cour commence en effet à poser que les montants forfaitaires de l'allocation « ne sont pas à l'évidence insuffisants » car ils permettent en tout état de cause de subvenir aux besoins physiques de l'existence. La Cour est cependant un peu plus explicite pour l'allocation accordée aux enfants, dont elle déclare qu'elle n'a pas pris en charge des besoins indispensables, en particulier scolaires, pour éviter leur exclusion.

La Cour conclut que « du fait qu'il n'est pas établi que les allocations forfaitaires légales sont à l'évidence insuffisantes, le gouvernement n'est pas directement obligé par la Constitution de les augmenter. En revanche, le gouvernement doit, en conséquence des instructions données, conduire une procédure qui non seulement permette de s'assurer que les allocations nécessaires pour accorder un secours minimum soient en ligne avec la dignité humaine, mais aussi corresponde à une évaluation réaliste des besoins constatés. Le gouvernement devra ancrer les résultats de cette procédure dans la loi de façon à fonder le droit aux allocations ».

Il y a lieu d'être prudent dans les conclusions à tirer de cette décision, et de se garder de toute formule accréditant l'idée que la Cour constitutionnelle aurait remis en cause la législation émanant des réformes Schröder de 2003/2005. En particulier, la loi Hartz IV, qui réduit considérablement la durée des droits et fusionne l'aide sociale avec l'allocation de fin de droits, n'est en rien atteinte dans son principe. Actuellement, le montant total des allocations accordées par cette loi se monterait à 25 milliards d'euros par an, et certains experts estiment à 10 milliards la conséquence de la décision de la Cour pour le budget de l'Etat. Il paraît généralement reconnu que cette décision ne conduira à revoir que les allocations dont bénéficient les enfants, bien que la portée de cette décision s'étende à la totalité des allocations. L'affaire est à suivre, la Cour ayant imposé au gouvernement un délai expirant à la fin de cette année pour se conformer à son injonction.

Il est par ailleurs intéressant de noter que la Cour veut imposer une méthode réaliste de détermination de l'aide sociale, en rapport avec les besoins réels des personnes concernées, même si le critère constitutionnel – la satisfaction des besoins physiques minimaux de l'existence, plus une notion bien vague de participation à la vie sociale – encadre l'aide sociale dans des limites restrictives. Cette méthode n'est pas sans rappeler le débat existant dans le domaine voisin de la définition de la pauvreté : certains pays comme les Etats-Unis appliquent une notion absolue de la pauvreté (combien ça coûte), alors que d'autres, et notamment les pays européens en ont une approche relative (le seuil de pauvreté fixé à 60% du revenu médian du pays concerné) et en font une mesure des inégalités plus que de la pauvreté. L'Allemagne se rapproche ici de la conception américaine.

Le RSA français (voir encadré), dont le montant est égal à l'ex-RMI, n'est quant à lui pas déterminé par référence à des besoins réels minimaux dûment chiffrés. C'est, comme Nicolas Sarkozy l'avait exprimé, beaucoup plus un forfait dont le montant reflète ce que l'Etat croit pouvoir faire dans le but de faire sortir les personnes et leur foyer de l'état de pauvreté. Mais il s'agit d'un concept différent, ce qui engendre une certaine confusion dans la mesure où le seuil de pauvreté est très supérieur (908 € pour une personne seule en 2007, et 1817 € pour un couple avec un enfant de 14 ans, contre 460 € pour l'allocation RSA minimum). L'aide sociale ne peut pas permettre d'atteindre un tel but, et il serait bon que la France s'inspire de la conception allemande afin d'assigner des limites raisonnablement atteignables à la politique d'assistance.