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La pauvreté en France selon l'INSEE

Les statistiques de l'INSEE ne prennent pas en compte l'effet du rSa

Les récentes statistiques publiées par l'INSEE concernant les revenus des Français nécessitent des explications pour éviter d'en tirer des conclusions, ou pire d'en faire des slogans, qui seraient éloignés de la vérité.

En matière de pauvreté, l'INSEE nous indique qu'il y aurait 13,4% de personnes pauvres (en 2007), chiffre d'ailleurs pratiquement invariant depuis de nombreuses années.

1. La notion relative de la pauvreté est en fait une mesure de l'inégalité

C'est le fait de disposer de ressources inférieures à 60% du revenu médian (celui qui divise la population en deux moitiés numériquement égales, par opposition au revenu moyen).

En France, la mesure retenue par l'INSEE n'est pas absolue comme aux USA par exemple, c'est-à-dire par rapport aux biens et services auxquels la personne peut avoir ou non accès, mais relative, c'est-à-dire qu'elle est une mesure de l'inégalité.
On est pauvre si on dispose de ressources inférieures à un certain pourcentage de celles d'une personne placée au milieu de l'échelle des revenus, le consensus retenu pour ce pourcentage étant maintenant de 60%, après avoir été de 50%.

C'est donc une convention, et cette convention a beaucoup d'importance puisqu'à 50% le pourcentage de pauvres serait de 7,2 et non pas de 13,4%. Cette méthode de calcul a aussi pour conséquence que le seuil de pauvreté augmente mécaniquement du seul fait que le revenu médian augmente.

2. Pauvreté des individus et pauvreté des ménages

La pauvreté est une notion calculée pour les individus en tant qu'ils sont membres de ménages dont la composition est variable. Ce sont les ressources totales du ménage qui sont prises en considération, en affectant les coefficients suivants : 1 pour le premier adulte, 0,5 pour le second adulte, et 0,3 pour les enfants jusqu'à 14 ans. La pauvreté est donc la même pour tous les membres d'un même ménage.

Chaque membre d'un même ménage est ainsi considéré comme pauvre (seuil à 60%) si ce ménage dispose de ressources totales inférieures aux minima suivants :
- 908 € si le ménage est composé d'une personne seule
- 1181 € pour une famille monoparentale avec un enfant de moins de 14 ans (1362 € si l'enfant a 14 ans et plus)
- 1362 € pour un couple sans enfant (1635 € avec un enfant de moins de 14 ans ou encore 1817 € si l'enfant a 14 ans), et ainsi de suite en utilisant les coefficients ci-dessus.

La conséquence de cette méthode est que la pauvreté pour chaque individu dépend de la composition du ménage dont il est membre et aussi des ressources totales de ce ménage.

C'est ainsi que pour un couple avec deux enfants de plus de 14 ans, tous les membres d'un tel ménage seront « pauvres » si les ressources totales sont inférieures à 2271 € par mois (soit plus de deux fois le Smic, ce qui correspond au sixième décile des niveaux de vie individuels !).

L'autre corollaire de cette règle est que le nombre des personnes dans la pauvreté est artificiellement augmenté du fait que tous les membres d'un ménage se trouvent logés à la même enseigne : dans l'exemple qui précède, le parent qui travaille est considéré comme pauvre bien que disposant d'un salaire net mensuel de 2271 €. Si, autre exemple (absurde, ne serait-ce que parce qu'il n'y aurait plus de revenus médians) tous les ménages français étaient des couples monoactifs avec un enfant et dont la personne active gagnerait au plus 1635 €, tous les Français seraient pauvres …

3. L'inégalité entre les 10% des plus riches et des plus pauvres reste constante

En ce qui concerne les inégalités au niveau du revenu disponible des ménages, et si l'on mesure ces dernières par déciles de la population, c'est-à-dire par tranches de 10%, de la plus pauvre (D1) à la plus riche (D9), on constate un écart de 4,6, ce qui n'est pas considérable.

Il est à noter que cet écart, qui mesure la différence de revenus après transferts, serait de 6,1 si l'on considérait les revenus avant transferts. Le plafond des ressources de la tranche D1 voit en effet, du fait des transferts, son revenu augmenter de 10.360 à 12.480 euros, tandis que le plancher de la tranche D9 voit au contraire son revenu diminuer, de 63.490 à 57.620 euros.

Dernière information, cet écart de 4,6 en 2007 est comparable à celui de 2000 (4,4, la différence étant due selon l'INSEE à des changements méthodologiques) [1].

4. Le rSa doit fortement diminuer pauvreté et inégalités à partir de 2010

Les mesures faites par l'INSEE concernent l'année 2007. Les conclusions devraient changer de façon importante à partir de 2010 en raison de l'introduction du rSa (revenu de solidarité active).
Le rSa est un minimum social qui remplace depuis juillet 2009 les anciens minima que sont le RMI et l'API. A travers des règles compliquées qu'il n'est pas question de développer ici, il garantit que la reprise d'activité n'annule que progressivement, en fonction de la hauteur des compléments de rémunération, les avantages sociaux perçus en l'absence d'activité, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Le bénéficiaire de ce « rSa activité » peut donc conserver une partie du « rSa socle » perçu en l'absence d'activité, à savoir actuellement 460 € par mois. Le résultat est que, pour ce qui concerne l'effet sur la pauvreté, le complément versé permet d'assurer une rémunération globale qui se situe dans beaucoup de cas au-delà du seuil de pauvreté.

Il est difficile de donner des indications précises. Toutefois, quelques chiffres permettent de fournir un ordre de grandeur : en année pleine, le « rSa activité » aboutira à distribuer environ 2,5 milliards d'euros à environ 2,5 millions de bénéficiaires, le gouvernement ayant indiqué un chiffre moyen de 109 euros par mois. On sait par ailleurs que les revenus de 6% environ des personnes se situent entre le seuil de pauvreté à 50% (7,2% de la population) et le seuil à 60% (13,4% de la population), soit entre 757 et 908 euros. Augmenter le revenu de 109 euros en moyenne devrait donc permettre à une personne dont le revenu est au minimum de cette tranche de s'assurer un revenu de 865 euros, c'est-à-dire pas très loin du seuil de pauvreté à 60%.
Autrement dit, et compte tenu du mode de calcul du rSa activité [2], il suffira à une personne seule, dans le cas le plus simple, de disposer d'un revenu d'activité de 730 euros (environ 70% du Smic) pour parvenir à dépasser le seuil de pauvreté à 60% (908 euros). Autre exemple, un couple avec deux enfants de 14 ans ne disposant que d'un revenu au Smic (1055 euros) recevra un complément mensuel égal à 565 euros (moins les allocations familiales et une éventuelle aide au logement), ce qui est évidemment considérable en proportion.

L'institution du rSa devrait donc contribuer à abaisser le nombre de pauvres très notablement en dessous de 13,4% de la population. Corollairement, le rSa aura un effet non négligable sur la réduction des inégalités, excepté aux extrêmes. La partie de la population qui ne sera pas concernée par la diminution de la pauvreté restera par construction celle qui est sans emploi, et qui continuera à percevoir le rSa socle (ancien RMI) de 460 euros. Le rSa se confirme donc comme une réforme socialement très importante pour les bas salaires et les emplois à temps partiel.

Reste à savoir si cette générosité, a priori difficile à critiquer en soi, est ce dont la France avait besoin. Au plan financier d'abord. Les chiffres que nous avons indiqués reviennent à augmenter le Smic de 5 à plus de 50% selon la composition des ménages. Même s'il convient de tenir compte de la contrepartie que constitue la déduction de certains avantages sociaux comme les prestations familiales et l'aide au logement, l'augmentation des ressources au niveau du Smic et au-delà restera certainement considérable.

C'est une dépense publique de 2,5 milliards d'euros qui se traduira par l'augmentation à due concurrence du déficit, donc de la dette publique et en définitive des impôts. En prenant en compte les exonérations fiscales et sociales sur les bas salaires et le rSa, la prise en charge par l'Etat des ressources des personnes concernées devient elle aussi considérable.

C'est ensuite un effort ciblé en faveur des bas salaires, mais qui, étant subordonné à la reprise d'un emploi, ne profitera pas aux véritables pauvres – pas ceux qui répondent aux statistiques de l'INSEE, mais ceux qui sont sans emploi dans un temps où le chômage est en plein essor et doivent se contenter du « rSa socle », c'est-à-dire de l'ex- RMI. C'est encore un effort qui ne profitera pas aux classes moyennes, et rapprochera au contraire la situation de ces dernières de celle des classes dites pauvres. Enfin, le rSa risque, pour sortir de la trappe à pauvreté, de créer une trappe à bas salaires. Dernier avatar de la politique d'assistance, la mesure appelle bien des critiques.

[1] Si l'on regarde les statistiques, non pas de revenu des ménages, mais de niveau de vie individuel, c'est-à-dire en utilisant les coefficients des unités de consommation exposés au paragraphe 2, les écarts des mêmes déciles tombent à 3,4, semblables eux aussi à ce qu'ils étaient en 2000

[2] rSa = 460 euros + 62% du revenu d'activité – ressources totales