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La balance commerciale est déficitaire, et la balance des paiements aussi !

L’administration des douanes a publié récemment son évaluation du solde du commerce extérieur de la France en déficit à -84,7 milliards d’euros (FAB/FAB). Notre note sur le sujet a fait l’objet de critiques parce qu’elle ne prenait en compte que les échanges de biens et non les services avec le reste du monde. Pour avoir une estimation du solde du compte des services, il faut s’intéresser au compte des transactions courantes de la balance des paiements pour 2021 réalisée par la Banque de France.

Disons-le tout de suite, le compte des transactions courantes est déficitaire (-25,8 milliards d’euros). Le solde du compte des services montre une position excédentaire de 35,7 milliards d’euros en 2021, ce qui témoigne du fait que nous « exportons » plus de services que nous en importons. Une dynamique inverse de ce qui est constaté pour les biens (solde déficitaire de -72,4 milliards après retraitement comptable par la Banque de France). Mais cette bonne tenue des services est insuffisante pour redresser la balance des paiements. En effet, même si l’ajout du solde des revenus primaires et secondaires est positif de +10,9 milliards, et si le solde du compte de capital brut est lui aussi excédentaire (+11,3 milliards d’euros), la balance des paiements est toujours déficitaire de -14,5 milliards d’euros, même si l’on constate une nette amélioration par rapport à l’année précédente (-41,7 milliards d’euros) en 2020.

Par ailleurs, il est courant d’entendre que « comptablement, la balance des paiements est équilibrée »…  cela ne veut pas dire que cette dernière est à l’équilibre mais qu’il existe une égalité entre les deux membres de l’équation : ainsi le déficit de -14,5 milliards de la somme des comptes des transactions courantes et du compte de capital est égal au déficit constaté sur le compte financier de la balance des paiements minoré des erreurs et omissions.

Ainsi outre l’amélioration sensible du compte des transactions courantes (biens et services, à cause de ces derniers), l’amélioration de la balance des paiements s’appuie d’abord sur un solde du compte de capital anormalement excédentaire (financements exceptionnels de l’UE oblige) et en miroir, sur un solde des comptes financiers très déficitaire (-48,7 milliards d’euros), soit pratiquement au niveau de l’année précédente (-52,5 milliards d’euros) et sur un compte des erreurs et omissions colossal (-34,2 milliards d’euros), qui sera sans doute réajusté lors d’une prochaine mise à jour (avec le compte financier). Il faut donc rester prudent.

 

Un solde des transactions courantes en déficit de -25,8 milliards d’euros

Comme l’a montré l’administration des douanes, la position négative du solde du commerce extérieur (-84,7 milliards d’euros FAB/FAB en comptabilité douanière et -72,4 milliards en comptabilité Banque de France) s’explique avant tout par un solde négatif de pas moins de 15 catégories de produits sur 21 en 2021, soit un accroissement du déficit commercial de -26,4 milliards (CAF/FAB) et matériel militaire et hors livraisons dites « sous le seuil » (-23,2 milliards en les incluant). Nous en donnons ici le détail par grandes familles de produits :

 

Source : DGDDI, https://lekiosque.finances.gouv.fr/fichiers/etudes/thematiques/A2021.pdf

Comme l’explique l’annexe méthodologique du Sénat[1], la balance des paiements, équilibrée par définition représente la somme du solde des transactions courantes et du compte de capital d’une part et d’autre part de la position du compte financier (brut) aux erreurs et omissions près.

 

Source : Banque de France[2].

Le compte de commerce extérieur évalué par l’administration des douanes diffère de l’estimation produite par la Banque de France quant au solde de la balance commerciale en biens. Elle s’établit pour 2021 à -84,7 milliards FAB/FAB[3] pour l’administration des douanes, quand le compte des transactions courantes s’agissant des biens est estimé par la Banque de France à -72,4 milliards d’euros. La différence entre les deux publications statistiques est méthodologique, et permet de comparer la balance de paiements française aux autres balances des pays partenaires dans le cadre des normes internationales définies par le FMI[4] pour la Banque de France. Le différentiel s’établit donc à +12,3 milliards d’euros, tout en restant largement négatif. On relèvera que le solde de la balance commerciale en biens est toujours déficitaire et dans ses deux sous-composantes : s’agissant de l’énergie (-40,6 milliards d’euros), mais aussi s’agissant des autres biens hors énergie (-31,8 milliards), alors même que cette composante était très peu déficitaire avant crise en 2019 (-4 milliards).

Le compte de services (ancienne balance des invisibles) est quant à lui excédentaire de près de 35,7 milliards d’euros, sous l’effet de la croissance de la composante des services de transports (+14,3 milliards) et plus faiblement du tourisme (+5,3 milliards), lié à l’augmentation du tourisme intraétatique au détriment de l’étranger pour la seconde année consécutive dans un contexte de crise sanitaire. On observe que les services de Conseil et de R&D s’agissant des entreprises montent en puissance et leur solde s’établit à +10,6 milliards d’euros, soit +56% par rapport à 2019, ce qui est en ligne avec les perspectives de croissance du PIB pour 2021 à +7% après -7,9% en 2020 (en volume).

Enfin, le solde des revenus primaires et secondaires est extrêmement positif (+10,9 milliards d’euros) sans qu’il soit possible à date de faire le départ entre le solde des revenus primaires (si positif, en provenance des travailleurs français à l’étranger et des revenus issus d’investissements réalisés également à l’étranger) et le solde des revenus secondaires (représentant les aides internationales ou les contributions budgétaires aux institutions européennes et les transferts de fonds etc…).

Au total le compte des transactions courantes est négatif à -25,8 milliards d’euros, se redresse par rapport au point bas atteint en 2020 au plus fort de la crise (-43,7 milliards d’euros), mais reste encore extrêmement dégradé notamment si l’on compare la position de ce compte depuis 2010, où le point le plus bas avait été atteint en 2014, à -20,6 milliards d’euros.

Un solde du compte de capital positif en 2021 à +11,3 milliards d’euros

Le compte de capital « a été séparé de celui des transactions courantes », au milieu des années 1990, afin de disposer d’un compte retraçant spécifiquement l’aide au développement (remises de dettes, soutien à l’investissement) et les flux résultants des acquisitions et cessions d’actifs incorporels (brevets d’auteurs, marques etc.). Comme l’évoque la note méthodologique de la Banque de France[5], « le compte de capital ne joue pas un rôle très important dans la balance des paiements française. », sauf que le solde du compte explose en 2021 après des années très proches de l’étiage.

Il s’agit sans doute des subventions du plan de relance européen attribuées à la France dans le cadre du financement de son propre plan de relance, qui se traduisent par des transferts rassemblant « des aides à l’investissement reçues de l’étranger ».  Le solde excédentaire montre que les sommes accordées excédent largement les sommes décaissées habituellement au titre de l’APD (aide publique au développement). On sait qu’en 2021 les sommes décaissées ont représenté 5,1 milliards d’euros, complété par un second versement début 2022 (7,4 milliards) sur un total de 39,4 milliards à verser d’ici 2024. Cet élément est inédit puisqu’elle rééquilibre la balance des paiements qui sinon resterait fortement négative :

Compte financier brut : -48,7 milliards d’euros

Après un déficit du compte financier brut de -52,5 milliards d’euros en 2020, le compte financier brut devrait encore afficher un solde négatif de -48,7 milliards d’euros en 2021. Ce déficit traduit une entrée nette de capitaux en France. Cela relève que le déficit des transactions courantes (-25,8 milliards d’euros) par un accroissement des engagements vis-à-vis de l’étranger.

Par ailleurs, au sein des opérations financières, les investissements directs sont à l’avantage de la France avec des investissements directs nets français à l’étrangers de 66,2 milliards contre des investissements nets étrangers en France de 43,9 milliards.  Les investissements étrangers un temps gelé par la pandémie en 2020 (9,9 milliards seulement) remontent donc en puissance.

En revanche les investissements de portefeuille la position est négative à cause depuis la 3ème année consécutive d’engagements de la France vis-à-vis du reste du monde significativement supérieurs à nos avoirs sur le reste du monde, même si cet écart se réduit : -68,7 milliards en 2019, -36,4 milliards en 2020 et -16 milliards en 2021.

Enfin, si le solde des avoirs de réserve (+22,8 milliards) et le solde des instruments sur produits dérivés (+17,4 milliards) sont positifs, en revanche, celui des prêts et emprunts est très largement négatif (position emprunteuse nette vis-à-vis du reste du monde) de près de -95,3 milliards d’euros.

 

 

 

 

[1] Note méthodologique Mesure des échanges extérieurs de la France et mondialisation, Les documents de travail du Sénat, n°EC-03, juin 2009, https://www.senat.fr/eco/ec-03/ec-031.pdf. Ainsi que la note méthodologique de la Banque de France, 2015, https://www.banque-france.fr/sites/default/files/media/2019/07/04/bdp-methodologie_072015.pdf

[2] Jusqu’en 2020, voir la publication annuelle, https://www.banque-france.fr/statistiques/balance-des-paiements-et-statistiques-bancaires-internationales/la-balance-des-paiements-et-la-position-exterieure/balance-des-paiements-et-la-position-exterieure-de-la-france-donnees, et en particulier pour 2020, voir, https://www.banque-france.fr/sites/default/files/media/2021/10/26/bdp2020_annexe_stat_.pdf.

[3] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381430#tableau-figure1

[4] Note méthodologique publiée par la Banque de France s’agissant de son estimation de la balance des paiements au T4 2021, https://www.banque-france.fr/statistiques/balance-des-paiements-et-statistiques-bancaires-internationales/la-balance-des-paiements-et-la-position-exterieure/balance-des-paiements-de-la-france-donnees-recentes.

[5] Note méthodologique de la BdF, op.cit, p.32.