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Grève à la SNCF en décembre : la 13ème depuis 2002

Départ en vacances rime souvent avec grèves dans les transports, notamment en fin d'année où les grèves à la période de Noël sont presque considérées comme traditionnelles par la SNCF. Sans surprise alors, plusieurs préavis de grèves viennent d'être annoncés pour le week-end de départ du 17 au 19 décembre, et des reconduites pour les week-ends du 24 et du 31 décembre, par les syndicats SUD-Rail, CGT et UNSA. Des appels à la grève locale ont également été lancés.

Les revendications initiales concernaient les conditions de travail et les rémunérations sur lesquelles des négociations se sont tenues le 17 novembre dernier. Mais ces revendications sont-elles justifiées ?

Historique des grèves du mois de décembre

  • 2019 : 27 jours consécutifs du 5 au 31 décembre et participation allant de 9 à 50%. Mouvement de grève lancé par CGT, UNSA, SUD-RAIL, CFDT, FO.
  • 2018 : 14 décembre et 6% de participation. Mouvement lancé par la CGT seule.
  • 2016 : 8 décembre et 1,9% de participation. Mouvement lancé par la CGT et Sud Rail.
  • 2013 : 15 décembre et 4,6% de participation. Mouvement lancé par la CFDT.
  • 2012 : 8 décembre et 2% de participation. Mouvement lancé par la CFDT.
  • 2011 : 11 décembre et 5% de participation. Mouvement lancé par Sud.
  • 2010 : 2 jours. 24 décembre et 1% de participation. Mouvement lancé par Sud. Et 12 décembre, 5% de participation. Mouvement lancé par la CFDT.
  • 2009 : 8 jours non consécutifs du 3 au 14 décembre, 6 à 28% de participation. Mouvement lancé par Sud et la CFDT.
  • 2008 : 5 jours non consécutifs du 12 au 26 décembre, 4 à 20% de participation. Mouvement lancé par Sud.
  • 2007 :  2 jours, 5 et 6 décembre, moins de 1% de participation. Mouvement lancé par Sud.
  • 2006 : 10 décembre, 15% de participation. Mouvement lancé par Sud.
  • 2004 : 2 jours, 6 et 7 décembre, 2 à 10% de participation. Mouvement lancé par Sud et CGT.
  • 2003 : 16 décembre, 4% de participation. Mouvement lancé par Sud et CGT.

Si la crise du Covid est mise en cause pour les conditions de travail qui se dégradent, quand on regarde l’évolution du nombre de conducteurs de trains travaillant à la SNCF, aucune baisse significative n’est perçue. En effet, la SNCF affirme que le nombre de conducteurs en 2021 s’articule autour des 14 000 employés ; en 2019, c’était 14 797 employés, et si on regarde leur évolution des dernières années, on constate que ce chiffre a plutôt augmenté.

Concernant les revenus des cheminots, leur salaire brut moyen en 2021 est de 3 295€ par mois,[1] bien supérieur au salaire moyen en France. En 2020, le salaire moyen d’un cheminot est compris entre 3 000 et 3 550€ bruts par mois, un chiffre donc similaire à celui de cette année qui ne laisse pas percevoir de diminution. Cela, pour un travail de 1 568 heures par an. C’est certes un salaire élevé, mais qui n’a pas été augmenté depuis 5 ans, selon les syndicats, alors qu’il devrait être valorisé avec l’inflation, d’où le mécontentement présent. Cette revendication ne dit rien cependant des augmentations individuelles ou à l’ancienneté qui sont applicables dans l’entreprise, dont la grille des salaires suit en cela celle de la fonction publique.

Pour ce qui est des effectifs totaux, il y a un mécontentement des syndicats également, qui informent que l’entreprise ferroviaire diminue ses emplois en 2020 et 2021 à hauteur de 1 % par année. Cette baisse est bel et bien présente : on constate une réduction de 9 % des effectifs de la SNCF entre 2011 et 2020.[2]

 

Cependant, cette diminution n’est pas le résultat de licenciements, mais plutôt de départs à la retraite qui ne sont pas tous remplacés pour cause de restructuration de l’entreprise. En effet, en 2018, l’Etat a signé un pacte ferroviaire pour permettre à la SNCF de faire face à l’ouverture à la concurrence et se désendetter. L’Etat reprend 35 milliards d’€ de la dette SNCF (qui s’élève à plus de 50 milliards) et a demandé en échange une maîtrise des dépenses et investissements afin de contrôler tout nouvel endettement. Un pacte qui implique des objectifs d’économies, qui déplaisent aux employés de l’entreprise.

Les économies que peut faire la SNCF reposent principalement sur trois leviers de performance : la fin du statut de cheminot pour les embauches à partir de 2020, la modernisation du réseau, et la modernisation de ses ressources humaines.

La fin du statut de cheminot 

La première économie est réalisée avec la fin du statut de cheminot pour les embauches à partir de 2020, une mesure qui a mené à de nombreuses grèves en 2018, mais le gouvernement refuse de renoncer à ces économies, et pour cause, cette mesure devrait permettre des gains de 100 millions d’€ par an pendant 10 ans. En 2018, la SNCF estimait à 27 % les surcoûts par rapport à ses concurrents, dont un tiers était lié au statut. Celui-ci concerne 131 000 des 147 000 employés de la SNCF en 2018 en France. Le statut des employés actuels de la SNCF ne sera pas touché, cependant, ces derniers sont attachés à ce qu’il représente.[3]

Ce statut créé en 1920, offrait des avantages en contrepartie d’un travail pénible, qui est de maintenir les infrastructures ferroviaires en fonctionnement 24h sur 24. Aujourd’hui, ce statut concerne les conducteurs, mais aussi les contrôleurs, cadres, agents de maîtrise et de bureau, qui bénéficient d’une garantie de l’emploi, de 28 jours de congés payés, de RTT lorsqu’ils dépassent 7h de travail par jour, d’une retraite à 50 ans pour les conducteurs et 55 ans pour les autres bénéficiaires jusqu’en 2016, et repoussée de 2 ans progressivement jusqu’à 2024 pour les deux catégories. Ils bénéficient également d’autres avantages tels que des logements de la SNCF, dont une partie à loyer social.[4]

A cela, s’ajoutent les facilités de circulation, une mesure qui permet aux employés de la SNCF ainsi qu’à leur famille (jusqu’aux grands-parents) de voyager en train à coût pratiquement nul, une mesure qui profite à plus d’1 million de personnes, dont les bénéfices seront potentiellement supprimés après avoir été vivement critiqués pour représenter un manque à gagner de 105 millions d’€ par an au groupe.[5]

La modernisation du réseau

La modernisation du réseau est nécessaire alors que SNCF réseau constitue la branche la plus endettée du groupe avec une dette qui se creusait de 2 à 3 milliards d’€ chaque année. De plus, le réseau ferroviaire français est parmi les plus coûteux d’Europe avec un niveau de redevances d’accès deux fois supérieur à celui de la moyenne européenne. Ainsi, en plus des investissements de maintien et régénération des infrastructures qui sont actuellement insuffisants, des innovations du réseau devront être développées. Parmi ces innovations, la création de tours de contrôle pour la commande centralisée du réseau (CCR) qui permettront de centraliser la régulation des circulations et de remplacer les 2 200 postes actuels d’aiguillage, et donc de réaliser des économies sur le long terme. Ce sont de telles mesures qui limitent les embauches au sein du groupe, et à terme réduisent les effectifs. Les investissements de modernisation du réseau ont pour objectif de sécuriser le trafic, de le moderniser, mais également de l’augmenter, avec l’objectif d’un passage de 13 à 16 trains par heure en gare de Lyon par exemple.[6] Ce sont des rénovations qui ont des coûts importants, 2,8 milliards d’€ en 2021,[7] et qui devront donc être rentabilisés, ne laissant pas la place à la préservation des avantages des employés.

La réorganisation des ressources humaines

La modernisation des ressources humaines devrait se faire par l’optimisation des fonctions transverses, de manière à rejoindre les standards européens. Une mesure qui devrait économiser près d’un milliard d’€,[8] mais qui déplaît à la CGT, selon laquelle les employés ne devraient pas avoir à payer les effets de la crise ou de la reprise de la dette par l’état.[9] Une autre mesure consiste à se reposer sur la polyvalence des agents SNCF et l’externalisation de chantiers d’infrastructures, des mesures qui impacteront nécessairement les emplois au sein de l’entreprise. Cependant, ces mesures n’ont rien d’inédit, entre 2012 et 2017, les effectifs ont déjà été réduits de 6 000 emplois. La Cour des comptes affirme qu’il s’agit d’un rythme que le groupe devra garder s’il veut parvenir à ses objectifs, et qu’il devra mener à des transformations profondes de la politique de ses ressources humaines pour permettre une meilleure productivité du travail et une plus grande maîtrise de la masse salariale. Elle explique aussi qu’il sera nécessaire que le groupe revoie ses modalités de rémunérations, alors que le salaire se base principalement sur l’ancienneté, un automatisme qui doit être revu pour obtenir des manœuvres de la marge salariale et privilégier le mérite. Des affirmations qui sont perçues par les syndicats comme « condensés de raccourcis et d’inepties » ; « fondé sur quelques inexactitudes, ou à tout le moins approximations ».[10]

C’est donc contre la réforme de 2018 que les cheminots expriment une fois de plus leur mécontentement. Cette réforme a pour objectif de préparer l’entreprise à sa mise en concurrence en réduisant sa dette et en augmentant sa compétitivité. De tels changements nécessitent des économies, d’autant plus en sortie de crise sanitaire, les comptes de l’entreprise ferroviaire ayant été fortement pénalisés en 2020 : une perte de 3 Mds en 2020 avec une fréquentation qui n'était que de 44% d'une année normale. « SNCF Voyages devrait retrouver 70% du chiffre d'affaires d'avant crise pour atteindre le seuil de rentabilité » estime la Cour des comptes pour autant que la clientèle professionnelle revienne et ne soit pas tentée de remplacer nombre de déplacements par des visioconférences.


[1] https://www.cheminotcgt.fr/wp-content/uploads/2021/09/202109_Tract_salaires_urgence.pdf

[2] http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/finances/Essentiel/Essentiel_SNCF.pdf

[3] https://www.lepoint.fr/societe/fin-du-statut-de-cheminot-100-millions-d-economies-par-an-pour-la-sncf-08-05-2018-2216731_23.php

[4] https://www.lemonde.fr/entreprises/article/2018/02/27/statut-de-cheminot-de-quoi-parle-t-on-exactement_5263318_1656994.html

[5] https://www.leparisien.fr/economie/sncf-les-billets-de-train-gratuits-pour-les-cheminots-et-leurs-familles-remis-en-question-03-09-2021-LXHKGOWIZJC2ZL2A6TGCURHF5Q.php

[6] https://www.bienpublic.com/economie/2021/09/15/sncf-reseau-423-m-investis-dans-les-infrastructures-ferroviaires

[7] https://www.lettreducheminot.fr/divers/modernisation-plus-de-28-milliards-deuros-pour-le-reseau-ferre-en-2021-seconde-partie/

[8] http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/finances/Essentiel/Essentiel_SNCF.pdf

[9] http://www.cfdtcheminots.org/wp-content/uploads/2021/06/49_2021_2p_FT_SNCF_R--SEAU.pdf

[10] https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/social/sncf-la-cour-de-comptes-critique-la-gestion-du-personnel-et-des-accords-sociaux-tres-favorables_AN-201911180103.html